Donner rendez-vous devant la fontaine Wallace de la place Sarrail, est très symbolique pour le collectif Action Bord’EAUX. La ville compte 6 de ces élégantes fontaines d’abord offertes à Paris par un généreux mécène, Richard Wallace, pour étancher la soif des nécessiteux. Le banquier Daniel Osiris a fait de même à Bordeaux, en 1875.
Mais celle installée près de la Victoire est la seule de laquelle ne jaillit plus d’eau, suite à plusieurs déménagements. En cette veille de journée mondiale de l’eau, les associations Dynam’eau, Médecins du Monde et France-Libertés Gironde, ont ainsi voulu signifier les problèmes d’accès à cette ressource vitale pour de nombreux habitants de la métropole bordelaise :
« On estime à plus de 1000 le nombre de personnes occupant une centaine de squats qui n’ont pas d’eau potable et/ou d’accès à un assainissement décent », indique Maxime Ghesquière, de Dynam’eau.
Cet ancien technicien de Suez Environnement travaille sur des projets au Maroc ou au Togo, et passe la moitié de son temps comme bénévole dans les squats de l’agglomération bordelaise. En 2015, il réalise un branchement d’eau potable sur une borne incendie pour les occupants d’un campement des Sahraouis sur la rive droite. Une centaine de personne y vivent sous la canicule, buvant de l’eau insalubre stockée dans des réservoirs.
« Situation révoltante »
A cette occasion, Dynam’eau se rapproche de Médecins du Monde, intervenant aussi sur le squat. Avec France-Libertés, l’ONG fondée par Danielle Mitterrand et qui milite pour la reconnaissance du droit à l’eau (récemment rejetée par la droite sénatoriale), les trois associations créent le collectif Action Bord’Eaux.
« La situation des Sahraouis quai Deschamps était particulièrement révoltante, raconte Morgan Garcia, coordinateur de la mission squats à Médecin du Monde. L’eau venait d’être installée pour arroser les jardins du Parc des Angélique en bord de Garonne, alors que des centaines de demandeurs d’asile n’avaient pas reçu la visite des services de la métropole. Aujourd’hui, 80 personnes vivent sur un terrain sans eau du Haillan, et des femmes et des enfants sont obligés de traverser la route à un endroit particulièrement dangereux pour se fournir à une borne d’incendie. »
Outre les conditions d’existence indignes pour les populations, et les dangers pour leur santé, Action Bord’Eaux pointe le coût économique du laisser-faire.
« Le gaspillage d’eau est hallucinant dans les squats, relève Maxime Ghesquière. C’est 24000 litres par jour qui coulent pour rien lorsque les tuyauteries sont abimées, soit la consommation d’un Bordelais pendant 6 mois. Or pour 150 euros, on sait installer des robinets sur des bornes à incendie, et éviter que celles-ci ne soient endommagées, ce qui coûte cher à la collectivité et est très dangereux. »
Si l’accès à l’eau est officiellement du ressort de l’État, et donc de la préfecture, l’eau potable – son assainissement et sa distribution – est une compétence de Bordeaux Métropole, qui en a concédé le service à Suez.
Projet à l’eau
C’est donc vers l’intercommunalité que s’est tournée Action Bord’Eaux, demandant notamment une subvention de 170000 euros pour améliorer l’accès à l’eau potable et l’assainissement de 50 squats ; cette opération comporterait une sensibilisation de leurs occupants aux bons comportements d’hygiène, et l’entretien de toilettes.
Joint par Rue89 Bordeaux, le service communication de Bordeaux Métropole indique que cette demande ne devrait pas être acceptée :
« C’est compliqué d’installer des compteurs car il doit y avoir derrière un abonné, un usager identifié. Cela pose aussi des difficultés car si on peut installer des branchements dans les parties publiques, il faut l’autorisation des propriétaires dans les parties privées, à l’intérieur des squats. On ne peut pas faire sans. »
Le collectif estime pourtant que la métropole pourrait s’inspirer de la régie Eau de Paris, qui peut signer une convention avec des squatteurs après la résiliation de l’abonnement par les propriétaires des lieux, pour maintenir l’accès à l’eau en attendant les décisions de justice.
« Mais à Bordeaux, il n’y a pas de vraie volonté politique, soupire Maxime Ghesquière. Sans mauvais jeu de mot, les responsabilités sont diluées, et chacun se refile la patate chaude entre l’État et les collectivités locales. »
Toilettes à roulettes
Selon lui, les services sociaux de la métropole se heurtent souvent aux volontés d’aménagement et aux divers projets immobiliers, à l’image des maisons d’Eysines occupées par le squat de L’Oasis.
« Pour nous, à la Ville de Bordeaux, c’est fondamental de maintenir l’accès à l’eau, plaide toutefois Alexandra Siarri, adjointe au maire en charge de la cohésion sociale. C’est parfois difficilement réalisable techniquement, comme le squat des Sahraouis de la rue Deschamps. C’est un droit fondamental. Comme l’accès à l’eau ou la scolarisation des enfants, l’organiser équivaut c’est vrai à stabiliser les publics dans un squat, alors que ses occupants ne sont pas autorisés à y rester. Mais on veille à chaque fois à faire en sorte que l’eau reste accessible ou ne soit pas coupée. »
A la métropole, on se dit par ailleurs ouverts à une autre proposition d’Action Bord’Eaux, le projet « Toilettes à roulettes » de sanitaires mobiles pour les besoins des personnes et communautés « vivant dans les occupations sans droits ni titres ». Et l’agglo signale qu’une réflexion est en cours pour maintenir et développer les points d’accès à l’eau – fontaines, toilettes et douches publiques. Même si l’avenir des deux douches gratuites allées de Bristol, sur la place des Quinconces, longtemps fermées, est encore incertain.
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