Le conseil de Bordeaux Métropole du 17 février dernier touche à sa fin. Parmi les derniers dossiers à traiter figure la création de 300 nouvelles places d’hébergement d’urgence. Comme il est rappelé lors du débat, chaque jour, une centaine de sans-abri n’ont pas de réponse du 115 et doivent passer la nuit dehors.
Aussi, le financement de ces places est approuvé par tous les élus métropolitains. Tous sauf un : Jacques Colombier, conseiller municipal de Bordeaux et seul représentant du FN au conseil de métropole.
« On refuse les SDF dans des centres d’accueil faute de place, à l’inverse on trouve des places d’accueil et d’hébergement pour les migrants par dizaines de milliers, justifie l’élu bordelais. Cette politique est je le pense profondément discriminatoire, au détriment des Français et des étrangers en situation régulière. Nous n’avons plus les moyens d’accueillir des immigrants sur notre sol. Cette aide tombe dans un panier sans fond. (…) La maitrise de nos frontières n’étant pas assurée je ne peux voter que contre cette subvention. »
Puisqu’on ne peut donner la priorité à l’accueil des SDF bien français, alors empêchons le plus grand monde faire valoir son droit au logement, dit en substance le Front national.
Cherchez l’idéologue
Cette « préférence nationale » sert au FN à justifier son rejet, dans toutes les collectivités où il est représenté, de nombreuses décisions d’utilité sociale. Si leurs votes ne sont jamais en mesure de changer la donne, les majorités n’ayant guère besoin de l’appui de leurs oppositions, ils sont très symboliques…
Au conseil départemental de la Gironde, ses deux élus (jusqu’au départ du FN de Sonia Colemyn) votent ainsi contre le soutien financier à Gironde Habitat, le bailleur social du département, visant notamment à permettre « la production de logements abordables pour tous ».
« Non pas car nous sommes contre le logement social évidemment, tente de plaider Grégoire de Fournas lors de la séance plénière du 17 décembre 2015, mais pour dénoncer l’utilisation idéologique et dogmatique de l’argent public. »
Selon lui, la loi qui interdit la priorité nationale crée une « préférence étrangère ». La preuve, pour M. de Fournas, à travers un cas particulier :
« Cette habitante récemment rencontrée sur un marché de notre canton atteinte d’un cancer qui ne peut plus monter des escaliers, qui demande un logement en rez-de-chaussée, où qu’il soit en Gironde, mais adapté à sa retraite de 1 000 € par mois et qui attend depuis 3 ans une réponse de Gironde Habitat. Dans le même temps, Gironde Habitat, fort de cette impuissance, est encore capable d’afficher sa volonté de venir en aide aux clandestins, notamment à Carcans. »
Aujourd’hui, on a plus le droit…
Dans un bâtiment appartenant à Gironde Habitat, mais désaffecté depuis une dizaine d’années, sont en effet provisoirement hébergées 5 familles de réfugiés. Un scandale aux yeux du FN, légitimant son choix de ne pas soutenir la production de logements sociaux qu’attendent des milliers de Girondins.
Pour faire valoir sa différence avec l’ « UMPS », le Front national va jusqu’à critiquer des organisations a priori irréprochables, comme les Restos du Cœur. Le 11 juillet dernier, le conseil municipal de Bordeaux vote ainsi la création d’un pôle social dans la ZAC Ravezies, prévoyant un espace pour l’association fondée par Coluche. Jacques Colombier vote pour, mais souhaite que « ce dispositif profite en priorité aux Français » :
« En effet, la générosité des Restos du Cœur fait qu’ils aident tous ceux qui rentrent dans leurs critères. Il est de notoriété publique que la situation juridique des populations aidées ne fait pas partie de leur grille de sélection. » Pris à partie, le conseiller municipal ajoute un peu plus tard : « Nous tenons tout à fait à ce que les crédits municipaux aillent en priorité en effet aux Français. C’est une position politique qui, du reste (…) est partagée par une très grande majorité des Français. »
Ce qui lui vaut une réplique immédiate du maire de Bordeaux, Alain Juppé :
« Je ne sais pas si les Français sont pour la préférence nationale. En tout cas, je pense que l’immense majorité des Français est d’accord pour nourrir les gens qui ont faim quelle que soit leur nationalité. »
Etrangers
Souvent assortie d’autres arguments, comme la nécessité de faire des économies, la « priorité aux Français » est servie par le FN à presque toutes les sauces, notamment pour critiquer les actions menées dans les quartiers populaires.
Le 8 juillet, Jacques Colombier vote par exemple contre 500000 euros de crédits pour la politique de la ville. Motif : cet argent profite à des quartiers « à forte proportion de population étrangère soit dans le langage commun, quartiers à forte immigration ». La métropole participe de la sorte « au grand mouvement d’une immigration qui se déverse sur notre pays, depuis des décennies ».
Le 29 mars 2016, Alexandra Siarri, adjointe en charge de la cohésion sociale, attaque en conseil municipal de Bordeaux les deux élus du groupe FN, qui n’ont pas voté les budgets pour les associations dans les quartiers Politique de la Ville début 2016 pour un montant de 2,5 millions d’euros, et s’abstiennent ou votent contre à « quasiment chacune de [ses] délibérations » :
« Autrement dit, vous ne soutenez pas les classes populaires dans les quartiers. Vous contribuez largement au fait qu’elles deviennent miséreuses. »
Irresponsabilité
Le 11 juillet, le FN s’oppose à une subvention de 10000€ pour un programme de prévention de la délinquance, qui selon Jacques Colombier, « consiste surtout à acheter la paix sociale dans les quartiers ». Alexandra Siarri accuse à nouveau le FN de voter « systématiquement contre la totalité des délibérations qui concernent Saint-Michel, de Bacalan, des Aubiers, de Benauge, de Carle Vernet… »
« Ça veut dire que le Front national vote contre l’allocation de toutes les subventions, des structures qui accompagnent les habitants les plus fragiles de la ville et que, ce faisant, si vous étiez à ma place, vous ne feriez donc strictement rien pour ces quartiers et il s’y déroulerait plus qu’un sentiment d’insécurité, une véritable insécurité. Vos décisions, vos prises de parole dénotent une irresponsabilité extraordinairement grave. »
L’argument fréquemment avancé par les élus FN, c’est le groupement fréquent des délibérations qui l’empêche de faire le tri entre les « bons » et les « mauvais » récipiendaires de subventions municipales.
Tous les chemins mènent aux Roms
Certaines sont particulièrement dans son collimateur. Par exemple, le GIP (groupement d’intérêt public) Bordeaux Métropole Médiation. Actif dans les quartiers de Bordeaux Maritime, Bordeaux Sud et la Bastide, il travaille sur l’accès aux droits de leurs habitants ou la résolution de conflits de voisinage. Seulement voila : ses programmes bénéficient aussi aux Roms vivant dans les squats. Aussi, le 22 février 2016, en conseil municipal de Bordeaux, l’élue FN Catherine Bouilhet dénonce une subvention de 190000 € :
« Une fois de plus, la politique de la Ville consiste principalement à soutenir une politique massive d’immigration financée par les deniers publics. Cette politique non maîtrisée entraîne des conflits de voisinage, des squats et autres désagréments. Par conséquent, la tranquillité, la sécurité et la santé publique des habitants de Bordeaux sont menacées. »
Pour Alexandra Siarri, cette médiation a au contraire permis à des familles roms « de pouvoir vivre dans des conditions de dignité que la France doit leur apporter », et « permis aussi de sécuriser les riverains ».
Sages femmes et boxe thaïe
En 2016, le FN s’est opposé (en vain) à plusieurs autres délibérations, tous azimuts : abstention sur une subvention de 2000€ pour Kan-Kra Team, une école de boxe thaïe aux Chartrons, vote contre une autre de 5 000€ pour MANA, association « immigrationiste », dans la novlangue lepéniste.
Puisqu’elle prodigue des soins aux populations migrantes dans le cadre du CHU, ou prépare à la Parentèle des femmes d’origine étrangères, de culture parfois très différentes en matière de grossesse et d’accouchement, MANA est suspectée de « préparer une immigration de peuplement », et d’être discriminatoire à l’égard des Françaises…
Les femmes et les enfants d’abord ? Non, les Français, répond l’extrême-droite, mais pas tous. Les débats du conseil départemental offrent en effet des joutes interminables sur ces assistés qui selon le FN touchent frauduleusement le RSA, et qu’il faudrait davantage traquer.
« Qui peut nous dire qu’en Gironde nous n’avons pas 10% de fraudeurs comme dans le Haut-Rhin ou dans les Alpes Maritimes ? », département où, d’après Grégoire de Fournas lors d’une intervention en séance le 17 octobre 2016, cette chasse aurait permis d’économiser 10 millions d’euros.
Attrape moi si tu peux
Le conseiller frontiste, qui ne se dit pas hostile au principe du RSA, se réjouit du renforcement des contrôles par la CAF Gironde, qui ont « permis une recette de 2,36 M€, ce qui représente 1% des allocations servies en 2015. (…) Ce n’est absolument pas négligeable puisque cela représente quasiment un point d’augmentation en moins sur la taxe foncière sur les propriétés bâties ».
Pour Denise Greslard-Nedelec, vice-présidente du conseil départemental la lutte contre la fraude n’est pas une nouveauté, et celle-ci n’est selon elle pas massive :
« Sur les 50 dossiers examinés au mois de septembre, plus de la moitié ont été renvoyés car en fait il manquait simplement des informations, que les sommes concernées étaient inférieures à 100€ et sur ces 50 dossiers, 2 dossiers ont été avérés en “faute avérée” et pour lesquels il y a des sanctions. (…) Enfin, pour votre parfaite information, je voudrais signaler que depuis hier ou avant-hier une maire-adjointe à la mairie d’Hénin-Beaumont du Front national est poursuivie pour fraude au RSA qu’elle touchait alors qu’elle n’avait pas déclaré ses émoluments d’élue, de maire-adjointe, qu’elle avait une fausse adresse et une situation maritale erronée. Dont acte. »
Lors des votes sur le RSA au conseil départemental, le FN s’abstient. Et ne pipe mot sur le problème, bien plus important que celui de la fraude, du non-recours aux droits à l’indemnisation. Selon une étude menée sur le sujet en Gironde, plus d’un tiers des bénéficiaires potentiels s’abstiennent d’en faire la demande, entre autre par peur de la stigmatisation des « assistés ». Quand le sage montre la lune, l’imbécile met à l’index. Ou quelque chose comme ça.
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