Le New York Times a fait de lui le candidat qui a « explosé la bulle de l’élite politique française ». The Guardian l’a élu « star du débat politique ». Cependant, le « factory worker » n’a pas toujours surfé en faut de la vague durant cette campagne présidentielle. Il a d’abord ramé pour obtenir ses signatures, et essuyé ensuite des menaces de morts et des intimidations avant et après l’attentat des Champs-Elysées.
Pour raconter sa campagne, Philippe Poutou revient sur les 5 moments qui ont donné à sa candidature plusieurs tournures inattendues. Le candidat du NPA se dévoile, des coulisses de « On n’est pas couché » jusqu’à sa sortie remarquée face à Marine Le Pen pour le Grand débat.
1- Les signatures, plus difficiles que d’habitude
Dès le mois de janvier, Philippe Poutou a manifesté ses inquiétudes au sujet des 500 signatures nécessaires à la validation de sa candidature à l’élection présidentielle. Mi-février, à un mois du dépôt de sa liste de soutiens fixée au 17 mars et malgré le soutien du candidat Jean Lassalle, le Bordelais n’en avait même pas la moitié. Une course contre la montre est entamée.
« Ç’a été plus difficile que d’habitude pour plusieurs raisons. Premièrement, il y a eu une non-médiatisation de notre candidature plus marquée que d’habitude ; on était totalement écarté de l’actualité du fait des primaires de la droite et de la gauche. Deuxièmement, il y a eu un ras-le-dol des élus vis-à-vis de la loi Notre [lors des élections précédentes, un candidat ou son équipe pouvaient déposer directement leurs parrainages au Conseil constitutionnel. Pour l’élection 2017, les formulaires de parrainage devaient être adressés par les élus par voie postale, NDLR].
Malgré notre grosse fierté d’avoir réussi, la campagne a commencé avec un retard handicapant. On est arrivés sur le tard après la grosse présence médiatique de certains candidats. On a démarré avec des sondages à 0,05% qu’on a tout de même remonté par la suite. Aussi, il y a eu un discrédit ; on était là comme si on ne servait pas à grand chose. »
2- Le buzz du 4 avril, le Grand débat
Le 4 avril, une star est née ! Philippe Poutou crève l’écran avec son « immunité ouvrière » dans un échange aussi inattendu que tendu avec la candidate frontiste. Après avoir taclé François Fillon suite aux révélations du Canard enchaîné sur les salaires de son épouse, il s’attaque à Marine Le Pen qui a refusé de se rendre le 22 février à une convocation de la justice dans l’affaire des assistants parlementaires du Front national au Parlement européen.
Alors que cette dernière ironise sur l’intérêt soudain que manifeste le candidat NPA à la police, il lui répond du tac-au-tac : « Nous, on n’a pas d’immunité ouvrière, si on est convoqué par la police, on doit y aller. »
Cette réplique, qui a valu à son auteur un élan de sympathie international, n’était pas préparée assure Philippe Poutou.
« Tout était fait pour ne laisser aucune place à ce genre d’échanges. C’était archi-saucissoné. L’émission était organisée de telle manière que chacun devait répondre à des questions sur son programme. Les gros ne voulaient pas se faire attraper par les petits. Je n’aurais jamais sorti cette formule dont tout le monde a parlé si Marine Le Pen ne m’avait pas cherché.
Bien sûr, c’est une formule déjà employée dans nos meetings. Mais notre problème est comment sortir les choses. Dans un face à face, c’est impressionnant. Là, c’est sorti tout seul !
Ensuite, il y a des gens qui m’ont remercié, qui m’ont dit “vous avez dit ce qu’on pensait”. Il y a une réalité qui s’exprime à travers ça, c’est le ras-le-bol de la mascarade électorale. On a ressenti un effet positif. On a rempli les salles lors des meetings. Vendredi dernier à Annecy, on a refusé du monde, ce qui nous est jamais arrivé ! »
3- « On n’est pas couché », en vrai et en parodie
Le 25 février, Philippe Poutou a fait face à un fou rire des animateurs de l’émission « On n’est pas couché » quand il a été question de licenciements. Un peu perdu, le candidat NPA a demandé si la séquence n’allait pas être coupée au montage puisque l’émission est enregistrée. La réponse est venue quelques heures plus tard.
Mais avant même sa diffusion, la séquence de 2 minutes est partagée des milliers de fois sur les réseaux sociaux. Elle est critiquée pour son « mépris » envers un ouvrier qui n’est pas un politicien professionnel et son manque de respect envers un « petit » candidat à la présidentielle. De retour sur le plateau d’ONPC, Philippe Poutou est pris à parti par les animateurs pour son double jeu l’accusant d’avoir été cool dans les coulisses de l’émission et méchant une fois le dos tourné.
L’affaire prend de l’ampleur après la sortie de la vidéo de campagne de Philippe Poutou parodiant la scène du fou rire.
« Comme pour la présidentielle de 2012, les vidéos de la campagne s’en prenaient aux médias. La parodie de ce passage à ONPC n’était pas forcément la première qu’on voulait sortir, mais le planning très court pour faire les clips a fait que ce soit celle-là qui sort en premier. Je m’étonne que Laurent Ruquier et son équipe aient du mal à accepter la critique, eux qui sont amateurs d’auto-dérision.
Le message qu’on a voulu transmettre par ce clip ne concerne pas juste Ruquier. Ça concerne l’ensemble des médias qui ont fait preuve d’arrogance et de mépris envers nous. Je n’ai pas plus de raisons de critiquer Ruquier ou un autre. On a parodié ce passage pour son côté symbolique.
Par contre, je rejette l’histoire du double visage que Ruquier et ses animateurs ont évoqué lors du deuxième passage dans l’émission. Dans cette émission, il n’y a pas de coulisses, on ne rencontre personne à part les assistants, ni avant, ni après. »
4- Le local de NPA à Bordeaux vandalisé
Le 12 avril, le local bordelais du Nouveau parti anticapitaliste a été vandalisé par des tags sur sa devanture avec notamment une croix celtique – symbole des groupuscules nationalistes – et « communistes assassins ». Dans les rues adjacentes, les tags du nom de « Fillon » avec un cœur sont relevés par les militants NPA qui y voient là la main de « l’extrême droite et la droite extrême ».
Serait-ce les conséquences de l’intervention de Philippe Poutou lors du débat présidentiel des 11 candidats ? Ou la participation de Philippe Poutou à la manifestation organisée le 2 avril contre le meeting de Le Pen à Bordeaux ? Le candidat bordelais temporise.
« Je ne crois pas que ce soit une action spécialement menée contre nous. On était visé parmi tant d’autres puisque d’autres locaux ont été vandalisés. A part ça, on a rien eu comme problèmes, ni à Bordeaux, ni ailleurs en France.
Par contre, depuis le début de la campagne, l’extrême droite n’a pas retenu ses insultes. De Marine Le Pen, à David Racheline et Marion Maréchal-Le Pen, on a entendu de tout : débraillé, crasseux, sale… Il y a eu ensuite l’épisode du salon VIP chez Air France qui a été exploité. Or, dans le cadre des élections présidentielles, il y a un dispositif de confort proposé à tous les candidats qui sont même sollicités par la compagnie. On est dans le dur politique !
L’extrême droite a installé une ambiance méchante et insultante dans cette campagne. C’est tant mieux. Ils nous voient enfin. Marine Le Pen a même cité mon nom dans un de ses meetings, c’est une sorte de médaille ! »
5- Attentat et menace de mort
Le 20 avril, lors de l’émission « 15 minutes pour convaincre » sur France 2, la proposition de Philippe Poutou de désarmer les policiers avait déjà fait parler d’elle. Quelques minutes plus tard, elle est rattrapée par l’actualité. Sur les Champs-Élysées le soir même, une attaque terroriste fait un mort et deux blessés. La victime est un policier. Aussitôt, le candidat NPA est la cible d’insultes sur les réseaux sociaux.
Vendredi matin, Philippe Poutou a tenté d’affiner sa proposition dans l’émission « Les 4 vérités » précisant qu’elle ne concernait que « la police de proximité et la police qui encadre les manifestations et le quadrillage des quartiers populaires. On ne discute pas de la lutte anti-terroriste ». Mais le mal est fait. Il s’empire même après son intervention sur LCI où il déclare que « si les policiers n’étaient pas armés, peut-être qu’ils n’auraient pas été visés ».
« Depuis le vendredi matin, 300 messages d’insulte ont été recensés, dont 6 menaces de mort. Ça fait bizarre quand on est habitué à une sorte d’inexistence.
Bien avant cet attentat, la police n’acceptait pas notre proposition de désarmer les policiers. Certains d’entre eux nous l’ont fait savoir. Avec cet attentat, il y a eu une brèche et on les a entendu davantage.
Avant le deuxième débat, et avant l’attentat donc, les policiers nous ont réservé un drôle d’accueil à notre arrivée au studio ; ils nous ont refusé l’accès dans l’enceinte. Un policier me dit même : “Vous n’êtes pas un candidat”. On a du se garer à 500 mètres et revenir à pied. Pour rentrer dans le studio, on subit un contrôle d’identité. Le soir minuit, à la fin du débat et après l’attentat, on ressort et on repart pareil. A pied ! C’est là qu’on se fait insulter par un policier : “Enculé, ordure !” Et il nous restait 500 mètres à faire, le soir dans la rue. Imaginez si on était attendu par une bande d’extrême droite ! Il y a eu un traitement volontaire de mise en danger. A ce sujet, nous allons envoyer un courrier à France 2. »
« Une campagne particulière »
Que retenir de cette campagne, qui sera probablement la dernière pour Philippe Poutou ?
« C’est une campagne très particulière, du début jusqu’à la fin. C’est une campagne qui a été compliquée avec le vote utile, la mort du policier… Au delà du score, on a quand pu faire entendre notre voix. On veut convaincre, on veut de la confrontation, on veut un débat.
Il y a eu un énorme mouvement de sympathie, y compris dans les milieux de gauche et de droite. Malheureusement, ça s’arrête là. Les votes n’ont pas suivi. Mais je suis persuadé qu’on a fait une campagne utile. »
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