En une phrase, c’est « la première comédie romantique lesbienne en France » pour Océanerosemarie. Cyprien Vial, son binôme à la réalisation, apporte une nuance : « C’est une comédie […] et il se trouve que les héroïnes sont lesbiennes ». Pour les deux, c’est enfin un film qu’ils auraient voulu voir depuis longtemps ; un film où les histoires d’amour sont aussi des histoires de couples homosexuels.
« Embrasse-moi ! » est dans la continuité de « La Lesbienne invisible », le spectacle d’Océanerosemarie, actrice de son propre rôle dans le film. Cyprien Vial avait proposé une adaptation au cinéma co réalisée avec la comédienne qui a finalement préféré écrire une suite. « Une nouvelle histoire, un nouveau support. »
Avec à l’affiche, Alice Pol, Michèle Laroque, Isaach de Bankolé, ou encore l’inattendue Nicole Ferroni, le résultat est un film d’une incroyable fraicheur qui propose, avec une grande subtilité, un nouveau regard sur deux genres : le genre comédie, comme le genre homo.
« Embrasse-moi ! » est présenté en avant-première de sa sortie nationale le 5 juillet dans le cadre du Festival Solidaire Causette, dont Rue89 Bordeaux est partenaire. Rencontre avec les deux réalisateurs.
Rue89 Bordeaux : Peut-on présenter « Embrasse-moi » comme une histoire d’amour avant tout ?
Océanerosemarie : Absolument, c’était le but de ce film. On a voulu un film totalement identifiant pour tout le monde, quelque soit l’orientation sexuelle. On a voulu montrer que, finalement, on a tous les mêmes histoires et les mêmes problèmes d’engagement et de confiance. C’est une histoire d’amour entre deux héroïnes homos parce que c’est important de donner plus de visibilité aux homos. Mais tout le monde peut s’identifier à ces personnages.
Cyprien Vial : Ce film est né d’un manque qu’on a connu tous les deux dans nos adolescences ; celui de ne pas avoir connu des personnages de films homos assez humains, qui ne soient pas caractérisés par leur sexualité. C’est un film avec deux héroïnes lesbiennes où la question de l’homosexualité ne fait pas question, n’est pas un problème. C’est juste une comédie romantique à laquelle tout le monde peut s’identifier. Puisqu’on s’est identifié très simplement à des héros de comédies romantiques hétéros pourquoi pas l’inverse ?
Notre proposition ne veut pas révolutionner le genre de la comédie romantique. Au contraire, elle s’inscrit dans les codes classiques avec beaucoup de gourmandise et d’appétence. Elle frôle parfois le pastiche et le film ne se prend pas du tout au sérieux.
C’est un film qui aurait pu se faire autour d’un couple hétéro ?
CV : Oui et non ! Même si les héroïnes ne se définissent pas par leur sexualité, le personnage d’Océanerosemarie, qui est une « don juane », est construit avec des caractéristiques d’une sexualité lesbienne ou gay. C’est-à-dire qu’il y a une grande liberté chez le personnage qui assume son homosexualité depuis longtemps. Le fait de garder le contact avec ses ex, de constituer une sorte de famille assez joyeuse et structurante, est caractéristique de cette forme de sexualité…
O : On voulait faire une comédie romantique avec des héros gay de manière très classique sans vouloir révolutionner un genre. J’ai cette démarche dans mon travail de vouloir donner une image positive des lesbiennes parce que, en fait, j’ai aussi souffert comme beaucoup d’autres lesbiennes d’avoir toujours à me reconnaître dans des films de lesbiennes dépressives ou des folles furieuses. C’est vraiment relou ! Et du coup on a voulu défendre une image positive avec des filles qui n’ont pas de problèmes liés à leur homosexualité.
En France, comme dans d’autres pays, on a toujours évoqué l’homosexualité autour du thème du comming out. C’est toujours le même pitch : une hétéro qui rencontre une lesbienne dans une relation où elle se retrouve troublée et perturbée. Finalement, tout est axé sur la découverte de l’homosexualité. C’est ennuyeux parce que, quelque part, même s’il y a une intention de bien faire, on ne fait que dire que les homos souffrent. Moi je veux lutter contre ça, en proposant des personnages de fiction extrêmement positifs, qui n’ont pas de problèmes, qui sont comme n’importe qui.
Est-ce pour cela que ce film est militant ?
CV : Il est militant de façon douce, qui s’adresse à tout le monde, en utilisant un genre plein de bon sentiments pour militer très largement.
O : Absolument, c’est une façon de militer qui n’est pas dans la démonstration politique. Il n’y a aucun discours de ce genre dans le film. Mais en soit, c’est militant puisque c’est une modernité dans le sens où il est question d’une famille recomposée, d’un couple mixte… sans que ce soit vraiment évoqué. C’est un film d’anticipation parce que la société va être comme ça d’ici quelques années où, ni la mixité raciale, ni l’homosexualité, ne seront des problèmes.
CV : Cette vision aurait du être proposée déjà il y a quinze ans…
O : Comme personne l’a fait, et à force d’attendre, on s’est dit qu’on va le faire nous même !
Ce film emprunte beaucoup de références à des comédies célèbres : La Boom, Pretty Woman… C’est voulu ?
CV : Oui c’est voulu. Parfois c’est inconscient, parfois c’est volontairement surligné. C’est un plaisir pour nous de jouer avec des clichés de la comédie romantique classique anglo-saxonne et d’y glisser des héroïnes homos.
O : Si on prend la scène de la rencontre, il y a une référence au frères Farelli et leur film « L’Amour XXL » où le héros est amoureux d’une femme obèse qu’il voit avec les yeux de l’amour en Gwyneth Paltrow. On avait cette référence en tête qui donne à Océanerosemarie un regard sur Cécile, la fille qu’elle rencontre et dont elle tombe amoureuse, qui sublime ses gestes. Elle la voit faire des roues parfaites et des saltos arrière spectaculaires alors que Cécile fait peut-être des roulades dans l’herbe. Il y a aussi des références à Jim Carrey avec des expressions de visage très fortes.
CV : Le but était de coller à la vision du personnage de Océanerosemarie qui est un personnage éminemment candide et naïf. On a voulu une comédie non formatée où l’héroïne est finalement amoureuse et n’a pas peur d’agir. Du coup notre personnage est en dehors de l’air du temps, et on revendique le fait qu’elle réagisse par pur instinct.
Océanerosemarie, le film est une histoire personnelle ?
O : Disons que ce n’est pas un personnage réel, c’est un persona. Ce n’est pas moi, mais entre les deux. C’est en tout cas quelqu’un très proche de moi, qui s’inspire de ma vie, et de mon expérience. C’est pour moi la suite des aventures d’Océanerosemarie qu’on connaît dans mes autres spectacles. Il y a une certaine continuité. Dans le spectacle « La Lesbienne invisible », elle découvrait la vie, elle cherchait une histoire d’amour et à trouver sa place dans le monde. Dans le film, on la retrouve, quelques années plus tard, plus affirmée. Elle va rencontrer le grand amour. J’aime bien l’idée que le personnage puisse ce mouvoir dans plusieurs formes, entre des chroniques, des spectacles sur scène, et des films.
Comment avez vous choisi les acteurs ? On est surpris par la présence de Nicole Ferroni. Les personnages étaient écrits pour ces acteurs ?
O : Il y avait des choix déjà faits dès le début, comme pour Michèle Laroque et Alice Pol. C’était des choix structurels. C’était important pour nous d’avoir des actrices connues et qui puissent endosser des rôles de comédie. On avait envie de ces deux actrices qu’on ne connaissait pas vraiment. Dès que nous nous sommes rencontrés, il y a eu un désir mutuel de faire ce film.
Nicole est une amie. Je lui ai proposé le rôle simplement et elle se l’est complètement approprier. Il était bien moins gros au départ. Elle l’a réécrit. Ses propositions étaient tellement fortes qu’on était ravi de lui avoir donné le rôle.
CV : Nicole est la dernière a avoir intégré le casting. Elle a proposé des choses qui ont fait avancer l’intrigue. Son énergie et son humeur symbolisent ce qu’on voulait : des gens sympathiques et investis dans la vie, et donc sympathiques et investis dans le film. Le but était de constituer une famille et un cercle d’amis joyeux. Les acteurs ne se connaissaient pas. Dès les premiers jours, il y a eu de bons échanges. Ça été possible grâce notamment à Michèle Laroque qui, en quelques jours de tournage, a réussi à mettre tout le monde à l’aise.
Que voulez-vous que les spectateurs retiennent ou se disent en sortant de ce film ?
CV : On n’a pas une idée de ce que le spectateur doit se dire. On veut qu’il ait passé un bon moment. Même pour ceux qui ne sont pas concernés par la sexualité des héroïnes.
O : Pour une projection à La Ciotat, il y avait des gens qui ne savaient pas ce qu’ils allaient voir. En sortant, j’ai entendu un vieux monsieur dire des homos : « ils ont les mêmes problèmes finalement ».
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