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Expéditions légères : #4 Autopsie d’un nuage

Rassemblant une scientifique, une réalisatrice, un écrivain et deux accompagnateurs, l’expédition Alosa alosa, utilise le kayak pour suivre le parcours migratoire des aloses entre leur lieu de naissance et l’océan.

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Expéditions légères : #4 Autopsie d’un nuage

Françoise Daverat vérifie la bonne immersion du capteur alguetorch (©Mélanie Gribinski)

La rivière est un autre monde. Un monde où le reste du monde s’efface. L’actualité reste coincée dans les portables au fond des sacs étanches. Les voluptueux reliefs du Lot-et-Garonne ne se révèlent qu’au hasard d’un cingle ramenant le cours du fleuve au pied d’un abrupt ou d’une ligne droite opportunément orientée vers le coteau, dans une distance suffisante pour lui permettre de surplomber l’escarpe des aulnes, saules, frênes et autres ripisylves bornant notre regard.

Des arbres, des halliers, dont la densité ne laisse pas d’avantage deviner l’arrière-plan de vergers, de routes ou de voies ferrées pourtant si densément présents sur la carte numérique – satellitaire – dont je me suis servi pour définir les étapes de notre itinérance. Même les villes et les villages semblent absorbés par la végétation. Certains, pourtant attendus, n’apparaissent pas. Et ceux qui se montrent un peu, comme Colayrac Saint-Cirq hier soir, semblent  avoir basculé de notre côté, dans notre isolement. Quelques fois, une rumeur de route, un pont, un vacarme de train, nous reconnecte brièvement à la géographie perdue mais nous sommes toujours étonnés lorsqu’un repère indiscutable nous permet de recaler notre position.

Ainsi ce n’est qu’un peu après l’incident, en arrivant au point de confluence avec la Baïse, que nous avons su où il s’était produit. Sous le nom d’incident je veux évoquer l’apparition un petit nuage blanc au flanc d’une berge plantée de maïs, vaguement inquiétant malgré sa dissipation avancée, que notre flottille traverse sans presque le remarquer.

Si j’y prête attention, c’est peut-être parce que je me souviens du témoignage de Pascal et Isabelle, nos hôtes de Lamagistère, obligés de se calfeutrer chez eux à chacun des traitements phytosanitaires infligés aux arbres fruitiers de la rive opposée. Ce franchissement invisible me rappelle aussi The shrinking man, un film de 1957 dans lequel un homme se met à rétrécir d’abord de façon imperceptible puis par étapes accélérées, jusqu’à  disparaître dans l’infiniment petit. Métamorphose consécutive à la rencontre, en bateau, d’un brouillard suspect.

Une heure plus tard, à Nicole, point d’arrivée de notre première partie, je n’ai constaté ni l’éloignement de mes cale-pieds, ni l’allongement de ma pagaie. Seul le dépouillement des données récoltées par le Pocis, l’un des quatre capteurs installés par Françoise sur mon Kayak, en révélant un pic de pesticides ou d’herbicides, pourra confirmer mon appréhension ; et appuyer l’hypothèse d’un impact sur le rétrécissement brutal, « le crash », du stock d’aloses dans la Garonne, le Lot et la Dordogne.

 


#Alosa alosa

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