La 3e circonscription de la Gironde (Bègles, Bordeaux sud, Talence, Villenave d’Ornon) est en train de devenir un vrai laboratoire de la recomposition de la gauche : au lendemain d’un premier tour dévastateur, le fief du député sortant, l’écologiste Noël Mamère, voit se confirmer le dynamitage du Parti socialiste et se former de nouvelles alliances.
Face au macroniste Marik Fetouh, arrivé dimanche soir en tête, la socialiste Naïma Charaï et Noël Mamère, devenu son suppléant, ont annoncé ce lundi qu’ils voteraient pour le candidat de la France insoumise, Loïc Prud’homme :
« Les valeurs et les projets portés par la République en marche représentent une menace pour le pays, estime sur sa page facebook l’ex porte-parole de Benoît Hamon En cohérence avec les valeurs de gauche et la volonté de rassemblement que j’ai portées pendant ma campagne, je soutiendrai le candidat de gauche présent au second tour. »
Guillaume Latrille, directeur de campagne de Loïc Prud’homme, se réjouit de savoir « désormais qui est sincèrement humaniste et écologiste et qui ne l’est pas » et de voir naître un rassemblement autour de son candidat.
« Quel candidat de gauche ? »
« Le candidat de gauche ? Je ne sais pas de qui Naïma Charaï veut parler, de moi peut-être », a répliqué à distance Marik Fetouh. En marge du conseil municipal de Bordeaux, l’adjoint d’Alain Juppé relativise ce choix de Naïma Charaï. Sur le papier, un report mécanique des 6869 voix socialistes vers Loïc Prud’homme lui permettrait de rivaliser avec le représentant de la majorité présidentielle.
« Mais personne n’est propriétaire de ses voix, et une grande partie des électeurs de Naïma Charaï sont éclairés. Si ils voulaient voter Prud’homme, ils l’auraient fait dès le premier tour. »
En outre, l’élu Modem à la mairie de Bordeaux va officialiser ce mardi un soutien de taille émargeant du PS : celui d’Isabelle Boudineau, vice-présidente de la région Nouvelle Aquitaine. La Première adjointe de Noël Mamère à la mairie de Bègles, s’oppose ainsi frontalement à sa collègue au conseil régional, Naïma Charaï :
« Marik Fetouh m’a l’air d’être quelqu’un de bien, déclare Isabelle Boudineau à Rue89 Bordeaux. Il est relativement indépendant, n’a jamais été chez Les Républicains. J’ai vu son combat contre la radicalisation, il a des convictions pas éloignées des miennes, notamment contre les lois sécuritaires de Manuel Valls. »
Ligne rouge
L’élue régionale est pourtant prête à soutenir ainsi une majorité qui pourrait intégrer l’état d’urgence dans le droit commun, et franchir d’autres lignes rouges fixées par Bernard Cazeneuve pendant la campagne…
« Parce que la ligne est encore plus rouge et encore plus épaisse côté France insoumise, justifie-t-elle. Mélenchon a toujours voulu la peau du PS, il est allé se présenter à Marseille pour tuer Mennucci (le candidat socialiste, NDLR). Et je ne partage pas sa conception de l’Europe et de la démocratie – son projet de révocation des élus en cours de mandat, la façon dont il traite les médias… »
Cette proche d’Alain Rousset ne voit non plus aucun hiatus dans le fait de soutenir un adjoint d’Alain Juppé, auquel s’oppose le groupe socialiste à la mairie de Bordeaux, et plus mollement, au conseil de Bordeaux Métropole, où Isabelle Boudineau est élue.
« On doit déjà composer avec son président Alain Juppé. La métropole, c’est un Yalta entre différents maires, ce n’est pas un problème de s’entendre sur les affaires publiques. »
Du rififi à la fête de la morue
Isabelle Boudineau, qui rêvait de succéder à Noël Mamère à la mairie de Bègles, mais a vu Clément Rossignol-Puech lui être préféré comme dauphin, pourrait aussi trouver dans La République en marche un soutien en vue des prochaines municipales.
Elle se démarque ainsi de son rival écologiste, qui devrait être élu maire de Bègles par le conseil municipal du 29 juin. Clément Rossignol-Puech et d’autres élus béglais ont en effet exprimé un penchant pour la France insoumise dans un communiqué de presse, sans toutefois donner ni nom ni consigne claire :
« Contre les dérives d’une politique libérale (déconstruction du code du travail, Etat d’exception permanent…), nous nous appuierons sur le socle de la gauche rassemblée et des valeurs de l’écologie. »
Comme Gilles Savary, Isabelle Boudineau semble quant à elle tourner une page, renvoyant la faute de la décomposition du Parti socialiste sur les frondeurs :
« La recomposition telle que souhaitée par Noël Mamère, Benoît Hamon, et Yannick Jadot est une erreur stratégique extraordinaire qui nous a mené à faire 6,3% à la présidentielle. C’est une gauche de protestation, moi je suis une sociale-démocrate. Naïma Charaï fait le choix de soutenir des gens qui nous ont toujours craché. Si on fait un tel constat, mieux vaut se séparer. »
Clarification
La décision d’Isabelle Boudineau (dont il faut sans doute relativiser l’influence sur le vote PS-EELV) a tout de suite été désavouée par le secrétaire départemental du Parti socialiste, Thierry Trijoulet :
« C’est un peu gênant car elle fait partie de l’exécutif du parti. ce n’est donc pas neutre. »
Pas adepte du conseil de discipline, ni fan de Mélenchon – « un gourou » –, Thierry Trijoulet demande à Isabelle Boudineau « une clarification », comme lorsque Gilles Savary et Pascale Got ont tenté de se rapprocher d’En Marche !.
Il critique également la position d’Alain Rousset : le président PS de la région Nouvelle Aquitaine a donné son soutien à l’hamoniste Naïma Charaï, tout en présidant le comité de soutien de Florent Boudié (10e circo), ex PS rallié à Macron. Ça brouille les cartes ? « Complètement », n’hésite pas Trijoulet :
« Pas sûr que les gens s’y retrouvent. »
Au PS, « un champ de ruines » pour Thierry Trijoulet, la clarification est peut-être en marche, mais elle sera laborieuse. Cette déchirure pourrait finir en schisme « comme en 1920 entre communistes et socialistes », selon le patron girondin du PS. Il faudra probablement attendre de voir naître le mouvement que Benoît Hamon souhaite lancer le 1er juillet avec les écologistes, puis la tenue d’un congrès pour enfin trancher la ligne entre les deux gauches irréconciliables.
Consignés
En attendant, et à l’image du débat dans la 3e circonscription, ce débat commence par une question simple : quelles consignes de vote donner là où le PS n’est pas présent au deuxième tour ?
A l’instar de l’écologiste Anne-Laure Fabre-Nadler, vice-présidente du conseil départemental de la Gironde, ses collègues socialistes au département pourraient par exemple appeler à voter Christophe Miqueu, le candidat de la France insoumise qualifié dans la 12e circonscription.
Mais le PS girondin n’a pas grand chose à espérer en retour des Insoumis. Le mouvement de Jean-Luc Mélenchon a annoncé ce lundi qu’il n’appellerait à voter que pour les candidats communistes et pour les socialistes frondeurs « ayant signé la motion de censure contre la loi El Khomri ». Ce qui n’est le cas d’aucun député girondin…
D’ailleurs les groupes d’appui des 4e (Cenon, Lormont, Carbon-Blanc, Floirac) et 6e (Mérignac, Saint-Médard) circonscriptions ont décidé de ne pas donner de consigne de vote au deuxième tour. La France insoumise n’essaiera pas de sauver les soldats socialistes Marie Récalde et Alain David.
Si bien que hormis Loïc Prud’homme, aucun candidat de gauche ne semble, en Gironde, en mesure de rejoindre le Palais Bourbon. La recomposition aura bien lieu, mais pas à l’Assemblée nationale.
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