Mercredi 31 mai. La citadine orange de Laure Quattrocchi avance sous le ciel noir. Il pleut à grosses gouttes. Il fait chaud. Fenêtres fermées, la voiture se transforme en sauna. Ouvertes, en piscine. Dilemme existentiel et bientôt obsolète : la jeune femme participe à la deuxième édition du « Mois Sans Voiture », qui débute ce jour là à Bordeaux.
De son plein gré
Direction Mériadeck et le parking Front du Médoc, que Laure connaît bien. Elle raconte, tout sourire, qu’elle y a récupéré sa voiture il y a deux mois. A la fourrière. « Et m’y revoilà, de mon plein gré cette fois ! » blague-t-elle. Aujourd’hui, pas d’amende, mais une récompense.
Ou plutôt plusieurs, car chacun des 70 participants du défi co-organisé par la startup parisienne Koolicar, la MAIF et Bordeaux Métropole, reçoit gratuitement, en échange de sa voiture, un mois d’abonnement aux transports en commun, 4 aller-retours sur les lignes de bus départementales, 100€ de crédit pour des services d’auto-partage, une prise en charge de l’assurance de la voiture et… un parapluie :
« Histoire ne ne pas rentrer à la maison complètement trempée », ironise Laure.
La trentenaire en reprise d’études le reconnaît :
« Même si je participe au défi par conscience écologique, tous ces avantages, ça motive, c’est sûr ! »
Ses mots résument bien l’esprit que Stephane Savouré, le fondateur de Koolicar, veut conférer au défi : accompagner les Bordelais dans la transition de leur mobilité au quotidien, en l’encourageant par une série d’avantages.
Avec un résultat relativement positif : en 2015, douze des 50 participants du défi ont choisi de vendre leur voiture à l’issue de la première édition du mois Sans Voiture. Ce chiffre, bien que symbolique, reste dérisoire au regard des 724 224 habitants de Bordeaux Métropole. A tel point qu’il inspire à François, un participant, cette boutade : « Grâce à nous, plus de bouchon sur la rocade ! » Si seulement…
Pour Frédérique Lorentz, directrice marketing de Koolicar, les conditions ne sont pas réunies pour que l’impact soit significatif :
« Chez Koolicar, nous n’en avons pas les moyens, humains et financiers, tout simplement. Et puis, pour que les effets soient décuplés, il faudrait une prise de conscience concrète, analyse-t-elle. Et une prise de conscience à plusieurs échelles : à l’école, au niveau éducatif, j’en rêve, ainsi qu’une réelle volonté de faire bouger les choses au gouvernement. »
Deux jours avant la fin du Mois Sans Voiture, Laure semble avoir arrêté son choix :
« S’ils nous proposent un prix raisonnable, calé sur la cote Argus du véhicule, on s’en débarrasse. »
Et de préciser :
« Pourtant, des galères, j’en ai eu pendant ce mois : carte Vcub bloquée, vélo cassé… Je me suis même retrouvée bloquée à Talence un vendredi soir, sans tram pour rentrer ! »
Loin d’être prête à se passer d’un véhicule, elle précise :
« Si on vend la voiture, on investit dans un van, pour les vacances, la liberté, les weekends improvisés … Bref, l’esprit van, quoi ! »
En un mot, Laure est convertie, mais seulement à moitié.
Le plastique c’est fantastique
Mériadeck, le 31 mai dernier. Même musique qu’à Sans ma voiture:
« Je suis persuadée que la récompense, c’est l’élément déclencheur de l’acte citoyen et écolo : c’est la carotte de l’écologie joyeuse ! »
Gabrielle de Perthuis, chargée du développement à Yoyo, a le verbe en fête : la startup, qui récompense les habitants engagés dans une démarche de tri de plastique, se lance officiellement à Bordeaux.
Petits fours et grands discours : c’est l’heure du bilan de la phase d’expérimentation pour la communauté Yoyo, fondée en 2016 par Eric Brac de la Perriere. Lancée en décembre avec le soutien de Bordeaux Métropole, elle compte aujourd’hui 300 trieurs-citoyens et 25 coaches qui forment les trieurs et collectent aussi les bouteilles en plastiques, ensuite recyclées en circuit court.
Objectif affiché par Emilie Jannière, responsable du projet à Bordeaux : 3000 trieurs et 250 coaches d’ici la fin de l’année. Tous seront récompensés par des points, qu’ils pourront ensuite convertir en cadeaux.
Faire sa part
Thierry Herpin est citoyen, coach Yoyo et artisan encadreur. Depuis janvier, il a déjà rassemblé 150 sacs, 7500 bouteilles, et formé 20 trieurs :
« Une initiative pareille, les gens l’attendaient. Je crois qu’aujourd’hui, on avait besoin qu’une structure organise et valorise l’action citoyenne et le tri. Si chacun faisait sa part, à son échelle et apportait sa petite goutte d’eau, il n’y aurait plus de problème. »
100 % d’accord, Peggy Kasa confirme :
« Faire attention à l’énergie, c’est devenu un vrai rituel grâce aux Familles à Energie Positive. »
L’infirmière, double participante au défi des FAEP, organisé par Bordeaux Métropole et l’association Prioriterre, se dit « en transition ». Elle détaille quelques astuces : ne pas tirer la chasse d’eau la nuit, ne pas prendre des douches de plus de 5 minutes, débrancher les appareils électriques en veille…
« On peut multiplier ces petits gestes à l’infini. On se prend au jeu et à la fin, ça pèse dans la balance ! »
Pour Maxime Privolt, de l’association Prioriterre, même son de cloche que chez Koolicar. Pour peser plus lourd dans la balance, une solution : « faire passer le mot, et diffuser l’idée, pour plus d’économie d’énergie ». Au risque de ne pas dépasser le stade de la simple opération de communication, ponctuelle et symbolique.
Economiser de l’énergie ? La famille Kasa, ainsi que les 252 autres familles ayant participé au défi à Bordeaux, en ont fait leur crédo cette année. Leur objectif était de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) de 8%, soit le seuil fixé par le protocole de Kyoto signé en 1997.
Et ça marche : le site Selectra estime les consommations annuelles du logement de Peggy à 2358 kWh d’électricité et 16320 kWh de gaz. Cette année, Peggy a consommé 2240 kWh d’électricité et 14126 kWh de gaz. Soit 14% de réduction d’émission de GES par rapport à l’année dernière.
Faire sa part pour un monde meilleur. Un mantra, prononcé tant par les organisateurs que les participants des défis écolo. C’est l’idée que porte Lauréline Perelli, du collectif Bordeaux en Transition, qui participe à Sans ma voiture :
« Je suis convaincue de la nécessité du changement par la base, et j’ai beaucoup d’espoir en ces actions pour diffuser le message et rendre possible ce qui, pour beaucoup, n’est encore qu’une utopie. »
Sortir de sa zone de confort
Lauréline, pourtant, est conscience qu’en renonçant à son moyen de locomotion, elle se prive d’un certain confort :
« Pour aller en cours, ça me prendra 30 minutes plutôt que 15. Et peut-être que je prendrai plus souvent la pluie ! Et peut-être que j’irai moins à la mer… Mais j’ai une certaine idée du bien commun, et c’est cette conscience écologique qu’il faut développer, à travers les défis, ou dans sa vie quotidienne. »
Une tension entre confort et respect de l’environnement, que confirme Jean-Pierre Levy, directeur de recherche au CNRS. : la bonne volonté de ces néo-convertis à l’écologie se heurterait à un paradoxe entre « une envie de réduire ses consommations, sans diminuer son confort. Et malheureusement, cette norme de confort s’impose très souvent face à l’argument environnemental »…
Cette hypothèse qui explique peut-être pourquoi seulement 0,007% de la population bordelaise a choisi de se séparer de sa voiture pour un mois… et que les économies d’énergie réalisées par les 253 familles participant aux FAEP ne représentent que 0,0061 % du total de la consommation d’énergie du secteur résidentiel de Bordeaux Métropole.
Problèmes de mayonnaise
Linda a également participé au défi des FAEP cette année au sein de l’équipe de Talence. Et en garde un souvenir plutôt mitigé :
« Pour moi, la mayonnaise n’a pas pris, la cohésion de groupe était inexistante ! On ne s’est vu qu’une fois en 8 mois, regrette la Talençaise. Bien sûr, j’ai appris des choses, quelques informations supplémentaires, notamment sur l’eau. Mais rien de révolutionnaire. En fait, j’aurais aimé passer à l’étape supérieure. »
Comprendre : plutôt que réduire le volume d’eau de la chasse d’eau à 1,5 litre comme cela est prévu par le « Guide FAEP des 100 écogestes », détourner et réutiliser l’eau usée de la machine à laver.
La psychologue, qui travaille auprès d’handicapés en réinsertion, continue son analyse :
« Et puis, les résultats sont faussés : c’est bien plus facile de réduire ta consommation si tu es un gros consommateur que si tu n’es déjà averti. »
En guise de conclusion, la dynamique trentenaire choisit de garder le positif :
« Les FAEP ? Disons que c’est un moyen de mettre le premier pied dans l’écologie… Avant d’aller plus loin ! »
Aujourd’hui, elle s’est engagée dans une démarche Zéro Déchet, avec toute sa famille. Sa fille Chloé, 6 ans et casque jaune de vélo sur la tête, s’affaire entre les stands du marché de la barrière Saint-Genès. Dans ses mains, un sac de toile et des cerises.
« C’est un vieux monsieur qui me les a données parce que je lui ai rendu un service », parade-t-elle, pas peu fière, devant Linda, sa mère. « Ne jette pas les noyaux surtout ! On en fera une bouillotte », réplique-t-elle.
Porte d’entrée
Pierre-Elie Dubois, membre du bureau collégial des Jeunes Ecologistes de Bordeaux-Aquitaine (JEBA), porte un regard critique, quoique bienveillant sur les défis écolos. Réelles mises en application de mode de vie plus durables, « les défis n’en demeurent pas moins imparfaits, puisque les participants ne changent pas d’habitude par conviction, mais par intérêt », accuse-t-il.
« Mais si on attend le monde parfait, on assistera à la destruction de la planète. Si on considère le défi comme étant une porte d’entrée, il faut maintenant construire la maison qui va derrière. »
A savoir accompagner ces challenges de réels changements politiques, économiques et sociétaux. Et Pierre-Elie Dubois de conclure, un brin philosophe, en citant Gandhi : « Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde. »
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