Éviter le naufrage ? Tenir le cap ? Se renflouer ? Tous les clichés politico-maritimes y sont passés lors de la visite de Bernard Cazeneuve aux chantiers navals CNB Beneteau.
Ce jeudi 1er juin, l’ancien premier ministre, qui dirige la campagne du parti socialiste pour les législatives, est à Bordeaux pour soutenir les candidats locaux. Les enquêtes d’opinion et les votes des Français de l’étranger, peuvent laisser penser qu’elles pourraient être emportées comme les autres par la marée Macron.
« On ne prend pas la mer avec des barreurs de petit temps, il faut des bateaux éprouvés », lance donc Bernard Cazeneuve, sabrant ainsi au passage « l’inexpérience » des candidats de La République en Marche (LRM).
L’ancien Premier ministre propose de donner à Emmanuel Macron « une bonne majorité » qui conserverait les acquis de la précédente et s’opposerait à certains projets de l’exécutif : hausse de la CSG, défavorable aux retraités, pour financer les allègements de charges salariales ; réforme du code du travail par ordonnances – ce qui ne manque pas de sel quand on se souvient que le gouvernement Valls a recouru au 49.3 pour adopter la loi El Khomri – ; réduction des effectifs dans l’éducation nationale ou la santé…
De l’expérience, la députée sortante et ex collègue de Bernard Cazeneuve au gouvernement, Michèle Delaunay, en a bien sûr à revendre… C’est à son initiative, et dans sa circonscription (la 2e de la Gironde), que l’ancien Premier ministre se rend chez Beneteau, fleuron industriel bordelais quai de Brazza (850 salariés), et symbole de la France qui marche – le gros des catamarans de croisière Lagoon sont exportés.
Parti unique
Avant de briguer un troisième mandat – la cancérologue de métier a été élue une première fois en 2007 face à Alain Juppé -, elle était tentée de passer la main à sa suppléante, la conseillère municipale et départementale Emmanuelle Ajon. Mais à la demande de cette dernière, Michèle Delaunay, 70 ans, a rempilé pour cette « campagne inédite, dans une forêt de points d’interrogation ».
La principale inconnue est bien sûr le score que réalisera son adversaire de La République en Marche, Catherine Fabre, maître de conférence à l’Université de Bordeaux, nouvelle venue dans l’arène politique (lire par ailleurs). Dans cette 2e circonscription (Bordeaux centre, Bastide), Emmanuel Macron est arrivé largement en tête au premier tour de la présidentielle (31,87%, meilleur résultat des 12 circos girondines), 6 points devant Jean-Luc Mélenchon.
En Marche ! y lance sa référente adjointe en Gironde, face notamment à deux candidates « macron-compatibles », et bien identifiées des Bordelais, la juppéiste Anne Walryck et Michèle Delaunay. Et selon un sondage Sud Ouest Ifop-Fiducial publié ce jeudi, Catherine Fabre serait largement en tête au premier tour, devant Aude Darchy, candidate de la France insoumise, et la députée socialiste, éliminée…
« Je suis séduite par l’idée de rassemblement qu’incarne Emmanuel Macron, car les Français en ont assez du manichéisme droite-gauche, argumente donc Michèle Delaunay. Mais je suis réellement opposée à l’idée d’un parti unique, un parti du président. Il ne faut pas lui donner une majorité godillot de jeunes élus qui vont tout voter au doigt et à l’œil. Les Français ont besoin de sentinelles vigilantes et expérimentées pour les défendre. »
Le « et et » socialiste
L’ancienne ministre déléguée chargée des Personnes âgées regrette au passage qu’En Marche ! ait investi en Gironde des candidats face aux députés les mieux disposés à son égard, notamment Gilles Savary, figure de la droite du PS :
« Il y a une différence entre rassemblement et parti unique. Gilles est disposé à supporter Macron, mais on lui demandait de retirer son dossard socialiste. Moi non plus je n’étais pas prête à abandonner l’étiquette sous laquelle j’ai été élue contre la forte personnalité d’Alain Juppé. »
Pas disposée aussi à lâcher la proie PS pour l’ombre En Marche !, pourrait-on ajouter… Candidat socialiste de la 1ère circonscription (Bordeaux nord, Caudéran, Bruges, Le Bouscat) en lieu et place de la députée sortante Sandrine Doucet, qui a du renoncer pour raisons de santé, Philippe Dorthe, se dit lui aussi « prêt à se caler avec la philosophie d’Emmanuel Macron » :
« J’ai entendu le message des Françaises et des Français selon lequel il faut prendre ce qu’il y a de bien à gauche et à droite. Je serai et de la majorité présidentielle et de son opposition, si les décisions ne vont pas dans le sens de l’éthique qui est la mienne. »
Opposante farouche
C’est une toute autre posture que défend Naïma Charaï, candidate dans la 3e circonscription de Gironde (Bordeaux sud, Bègles, Talence, Villenave d’Ornon). Porte-parole nationale de Benoît Hamon pendant la campagne présidentielle, elle s’inscrit comme ce dernier dans une ligne d’ « opposante farouche » au nouvel exécutif, et juge « pathétiques » les socialistes qui draguent la majorité présidentielle :
« Mes adversaires, ce sont la droite et les libéraux qui représentent Emmanuel Macron lors de cette élection législative : son Premier ministre (Edouard Philippe) a voté contre les lois sur la transparence de la vie politique ou la transition énergétique, contre le compte pénibilité, et s’est abstenu sur le mariage pour tous. Dans notre circonscription très ancrée à gauche se présente sous l’étiquette LRM un adjoint d’Alain Juppé (Marik Fetouh, NDLR), qui a voté toutes les délibérations de la mairie de Bordeaux depuis qu’il est élu. »
Jusqu’ici suppléante de Noël Mamère, l’élue socialiste fait à nouveau ticket (mais inversé) avec le député sortant et maire de Bègles (pour quelques jours encore), une « belle histoire de transmission politique », selon Naïma Charaï.
Des Vertes et des parcours
Face à la multiplication des candidatures (22 dans sa circonscription, record de Gironde), dont bon nombre d’écologiste, elle assure aussi être la candidate verte légitime :
« Noël Mamère m’a fait découvrir Ellul et Charbonneau, je reprends à mon compte l’idée de Benoît Hamon selon laquelle les questions écologiques et sociales sont indissociables, et je prendrai toute ma part à la refondation de la gauche avec les écologistes, les communistes et l’aile gauche du PS. »
Enfin, quoique conseillère régionale depuis 2004, Naïma Charaï assure incarner elle aussi le « renouvellement des parcours » :
« Je suis une femme issue de l’immigration, de parents marocains, scolarisée dans le Lot-et-Garonne alors que je ne parlais pas un mot de français. Qui aurait parié que 40 ans plus tard je pourrais être candidate aux législatives ? Rien ne m’a été donné, mais c’est grâce à la République qu’une femme issue d’une famille extrêmement modeste, d’une fratrie de 10 enfants, a pu faire des études, et présider en tant que bénévole une agence nationale. Et sans Noël Mamère je n’aurais pas franchi le plafond de verre. »
Des perdreaux et des bateaux
Si Philippe Dorthe n’est pas un perdreau de l’année – élu au conseil municipal de Bordeaux en 1995, il est actuellement conseiller départemental et régional -, il conteste lui aussi le label « société civile » sur lequel surfent les candidats LRM, à commencer par sa rivale Dominique David, une ex chef d’entreprise :
« J’ai été conducteur de travaux pendant 20 ans à la SNCF, je connais le monde de l’entreprise, assure le Bacalanais. Et si quelqu’un a aidé au développement des entreprises dans cette région c’est bien Alain Rousset, auprès duquel je travaille depuis des années. En outre, je suis le seul candidat qui prône le retour de l’emploi productif en milieu urbain. Je souhaiterais notamment travailler sur une loi qui permettrait aux collectivités de mettre en place des zones franches spécialisées, pour être performantes dans les appels d’offres internationaux. »
Ce qui selon Philippe Dorthe, faciliterait la vie du cluster refit aux Bassins à flot, dont le socialiste plaide la cause depuis des années. Comme Michèle Delaunay, qui propose un bouclier locatif, le candidat PS a aussi mis l’accent pendant sa campagne sur les questions de coût du logement.
Une thématique sans doute porteuse à Bordeaux, où les prix ont augmenté en flèche, et sur laquelle les socialistes tentent peut-être de faire oublier qu’ils ont renoncé à la loi d’encadrement des loyers. Et une preuve sans doute que les candidats socialistes, dont le programme s’est rapproché de celui de La République en Marche, ont besoin d’avancer des propositions pour se distinguer…
Blanc seing
Pourront-ils toutefois inverser la tendance, après un premier tour de la présidentielle qui a vu les voix socialistes se disperser ?
« Je ne me fie pas aux résultats du premier tour de la présidentielle, indique Philippe Dorthe. Emmanuel Macron est arrivé premier avec beaucoup de voix socialisantes qui ont voulu éviter un deuxième tour François Fillon/Marine Le Pen, le reste a été siphonné par Mélenchon. On n’est plus dans la même configuration, les électeurs vont revenir vers leur famille traditionnelle. Il y aura certainement une appel d’air pour les candidats LRM mais les électeurs ne vont pas donner un blanc seing à des gens dont on ne connaît pas vraiment la pensée politique ».
Quant à Naïma Charaï, elle veut croire que les législatives ne sont pas un simple scrutin national, mais une somme d’élections locales, favorisant les candidat-e-s les mieux implanté-e-s. Réponse dès dimanche.
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