Elle patiente. C’est devenu une habitude. Après avoir rapidement traversé la salle des pas perdus, Marie-Lys Bibeyran s’installe à l’une des quelques places réservées au public, à la chambre sociale de la cour d’appel de Bordeaux.
Bien entourée par ses fidèles soutiens et des candidats écolos et communistes aux législatives, elle attend que le dossier de son frère Denis Bibeyran soit examiné.
30 ans le nez dans les pesticides
Attentive, elle écoute les rapports et plaidoiries de la cour et des avocats d’un dossier qu’elle connaît par cœur. En 2009, son frère – ouvrier viticole – meurt à l’âge de 47 ans dont 30 passés à bosser dans les vignes et dont les 10 derniers mois atteint par un cancer des voies biliaires.
Depuis six ans, la Médocaine est devenue l’un des portes-voix de ces combats contre les pesticides. Après des actions déboutées devant les instances de la Mutuelle sociale agricole (MSA) puis un rejet du tribunal des affaires de sécurité sociale (Tass), Marie-Lys Bibeyran a choisi de faire appel. Patience, toujours patience.
Par deux fois, l’expertise du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles estime que la maladie rare qui touche Denis Bibeyran ne fait pas partie des maladies inscrites au tableau des maladies professionnelles. L’avocat de la famille Maitre François Lafforgue analyse, placide :
« Très souvent dans ces affaires, nous obtenons gain de cause après des avis défavorables de ces comités. Il faut que nous prouvions le lien de causalité entre la maladie et le travail. »
« Sans protection efficace »
Pour cela, il pointe d’abord une carence : la perte d’un échantillon médical par les services hospitaliers qui empêche toute nouvelle analyse. Puis, il avance les facteurs de risques : les dangereux produits phytosanitaires utilisés dont une partie a été interdite en 2001 en France.
Denis Bibeyran épandait les produits depuis son tracteur « sans protection efficace puisque la cabine était non-filtrante », selon l’avocat. Mais sa plaidoirie se heurte à une autre difficulté :
« Il faut donner la preuve avec des documents qu’on n’obtient pas. »
Car si la liste des produits auxquels Denis Bibeyran a été confronté de 2000 à 2008 existe, elle n’a pas été fournie par l’employeur pour les années précédentes. Marie-Lys Bibeyran cite pourtant deux articles du Code du travail qui oblige légalement l’employeur à les communiquer. L’avocat peut toutefois se fonder sur le témoignage de l’ingénieur conseil en prévention qui confirme l’utilisation de ces produits par l’ouvrier.
Carcan et cancer
Maitre Lafforgue se dit confiant vu les reconnaissances obtenues pour des salariés champ-ardennais. Marie-Lys Bibeyran précise l’importance de son action et du délibéré qui sera rendu le 21 septembre prochain :
« Il faut sortir de ce carcan des cancers rares, des tableaux des maladies professionnelles. Tout ça n’est qu’un prétexte de la MSA pour faire croire qu’il n’y aurait pas tant de professionnels malades car peu sont reconnus comme tels. »
Ce que confirme Maitre Françoise Pillet, avocate de la MSA, à Rue89 Bordeaux :
« La MSA se soumet à l’avis des comités régionaux de reconnaissance de maladies professionnelles et se soumettra évidemment à l’avis rendu par la cour, le cas échéant d’un pourvoi si la décision parait contestable d’un point de vue juridique. »
La cour d’appel a trois options possibles : débouter la famille Bibeyran, leur donner gain de cause ou demander une 3e expertise par un comité régional. Le feuilleton est loin d’être achevé.
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