Les titres de la presse, régionale ou nationale, ont célébré l’enterrement du Parti socialiste. Il est vrai que le score des candidats s’est avéré faible ; on se serait cru au temps de la SFIO, quand celle-ci s’était écroulée, que ce soit en 1958 et surtout en 1969, ou au temps du Parti socialiste, en 1993. Pourtant, en ces temps lointains, la gauche girondine avait conservé nombre de bastions parlementaires.
Or le second tour des récentes élections législatives a vu un raz-de-marée balayer les candidats socialistes. La honte aura même été l’élection d’un élu socialiste rallié de longue date au mouvement macronien, Florent Boudié, député sortant, et celle d’un élu France insoumise à Bègles. Bref, c’est une hécatombe, et même l’ancienne ministre et tombeuse d’Alain Juppé, Michèle Delaunay, est tombée elle aussi… À l’échelle de la France, après les énormes défaites aux régionales et municipales, le champ de bataille est parsemé de victimes socialistes.
L’influence socialiste à la Région…
J’ai déjà soupesé sur Rue89 Bordeaux le passif et l’actif des socialistes en Gironde. Il s’agit ici de se demander si le parti est condamné au cimetière désormais. Dans le Nord et le Pas-de-Calais, par exemple, l’hécatombe est terrible. Or, pour ne considérer que la Métropole de Bordeaux, on peut penser que la momification reste partielle, que des facteurs de résurrection sont nombreux, que le Phénix peut renaître de ses cendres. C’est que l’enracinement des socialistes est profond. Certes, des défaites sanglantes ont été subies ici et là aux dernières élections municipales (Pessac, Saint-Médard-en-Jalles, etc.), au profit de la droite et du centre, déjà titulaires à Talence. Mais les outils en possession du PS lui accordent encore un pouvoir certain.
Contrairement aux Hauts-de-France et à Provence-Côte-d’Azur, chemins de croix du PS, celui-ci a été bien présent au second tour des Régionales l’an dernier, même s’il n’a obtenu que 44,2 % des voix (après 30,39 % au premier tour).
Au-delà du peloton de 84 conseillers régionaux et de la présidence d’Alain Rousset, il faut bien percevoir que celui-ci gère trois mille salariés (dont deux-tiers environ à Bordeaux), un budget global de 3,094 milliards d’euros en 2017 ; il anime surtout un budget d’investissement de 1,004 milliard, réduit à 828 millions si l’on en déduit le poste comptable du remboursement de la dette. Dans les cinq ans à venir (2017-2022), cela représente donc cinq milliards à répartir !
La capacité d’influence des socialistes (et de leurs alliés radicaux et écologistes) est ainsi bien réelle ; si le président est habile – et qui en douterait ? –, il peut communiquer sur ses politiques structurelles, dans l’éducation, la formation professionnelle, le soutien de l’éducation, la formation professionnelle, le soutien de l’innovation et des entreprises, etc. – sans parler de la contribution aux investissements dans les transports ferroviaires.
… au département et dans certaines communes
Par ailleurs, on sait que le Département est solidement ancré à gauche. À une toute autre échelle que la Région, il peut lui aussi porter un budget dans le domaine des collèges et des transports en commun (hors Bordeaux Métropole, à cause de la mutualisation sur ces registres) et surtout de l’action sociale au sens large. Son budget est plus modeste mais tout de même substantiel, avec une masse d’environ 1,6 milliard d’euros, dont la moitié pour l’action sociale. Mais c’est surtout la capacité d’investissement qui constitue un atout décisif et bien perçu par les citoyens : elle s’élève tout de même à une centaine de millions d’euros chaque année, par exemple pour les collèges.
Si l’on ajoute les salariés et surtout le budget d’investissement des communes restées socialistes, on peut additionner des sommes modestes mais dont l’accumulation n’est pas négligeable et peut constituer des leviers d’influence au plus près des futurs électeurs : 1,3 million d’euros à Carbon-Blanc, 16,1 millions à Cenon, 13,2 millions à Eysines, à proximité de Bordeaux – et l’on sait que ce sont treize communes de la Métropole sur 28 qui sont tenues par les socialistes ou apparentés. On atteint probablement une petite quarantaine de millions d’euros qui serait consacré aux investissements.
Mais c’est bel et bien Alain Juppé (et Virginie Calmels plus tard ?) qui bénéficie de l’image de marque d’investisseur procurée par la gestion de Bordeaux métropole, même si le socialiste Alain Anziani est son coadjuteur au nom de la coalition de gestion qui réunit gauche et droite.
Se renouveler
Certes, cet article pourra paraître bien peu enthousiasmant parce qu’il ne parle que de budgets… Mais, pour pouvoir renaître, sortir du cimetière où le macronisme l’a enseveli, le Parti socialiste aura besoin de ne pas être translucide… Or c’est « à la base » qu’il peut agir, se mettre en valeur, affirmer sa différenciation, grâce à sa supervision de quelque 10 000 salariés municipaux, départementaux (9 000) et régionaux (3 000), à la mise en œuvre de ses politiques sociales, éducatives, sportives, etc.
Il faut être conscient néanmoins que le citoyen n’a guère « la reconnaissance du ventre » et que seules comptent les tendances idéologiques et les mouvements d’opinion dans leur ensemble. La chance du PS, c’est que les échéances des prochaines élections territoriales vont lui laisser le temps de labourer le terrain, d’affirmer son enracinement.
Cependant, il lui faudra lui aussi se renouveler, comme l’a fait le Conseil départemental, se féminiser – à l’image de Christine Bost, la maire d’Eysines devenue la numéro 2 de Jean-Luc Gleyze (venu du Sud-Gironde) et quelque peu la « rivale » indirecte de Virginie Calmels à l’échelle de la Métropole –, éviter le retour des « affaires » qui ont terni son image de marque ici et là – moralisation de la vie politique oblige –, et surtout faire incarner son action par des leaders aptes à la communication, en émules du candidat Macron, donc. Mais il faudra mener cette stratégie institutionnelle avec tact, sans paraître arrogant ou sans chercher à prôner le neuf pour le neuf – comme en avait pâti peut-être Vincent Feltesse aux récentes élections municipales à Bordeaux.
Quoi qu’il en soit, ces « temples » de l’action qui abritent agents publics, budgets d’investissement, élus expérimentés et dotés des réseaux que leur procure leur ancrage territorial, peuvent très bien compenser les « tombes » remplies au soir du second tour des législatives. Prions Athéna pour que la sagesse pénètre ces socialistes et Apollon pour qu’ils séduisent ensuite les citoyens, et surtout Dionysos pour que le PS puisse faire couler des barriques de vin rosé aux soirs des prochaines élections !
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