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Expéditions légères : #6 En pagayant, en conversant

Rassemblant une scientifique, une réalisatrice, un écrivain et deux accompagnateurs, l’expédition Alosa alosa, utilise le kayak pour suivre le parcours migratoire des aloses entre leur lieu de naissance et l’océan.

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Expéditions légères : #6 En pagayant, en conversant

(© Mélanie Gribinski)

Le kayak est une extension du domaine de la marche. Sur les chemins d’eau comme sur les sentiers il y a ce double choix, lui-même dédoublé. Première option : rester à part dans le silence, l’ouverture au paysage, la contemplation ou s’isoler dans la méditation introspective entrainée par la répétition du mouvement propulseur. Deuxième option : rejoindre tout ou partie de la flottille, écouter ou contribuer à la conversation suscitée par la proximité des corps en mouvement.

Le choix est cependant soumis à des forces assez difficiles à maîtriser. On veut prendre ses distances mais une forme de magnétisme agrégatif nous maintient dans le groupe, prisonnier de la conversation trop bruyante, trop prosaïque ou trop savante dont on souhaitait s’extraire. Et si, à l’inverse, on cherche à rattraper le peloton pour tirer parti de sa dynamique collective, distraire sa douleur physique ou sa fatigue, voire simplement partager une idée, c’est pour constater l’irrémédiable vanité de son effort, le maintien si ce n’est le creusement des distances entres les kayaks.

Les aloses en montaisons puis leur jeune descendance en dévalaison sont-elles soumises à de telles alternatives ? Doivent-elles rester ensemble pour partager les informations extérieures (odeurs, températures, salinité, courants…) ou intérieures (mémoire, intuition, génome…) qui pèsent sur leurs décisions ? Ont-elles un fonctionnement individuel ou coloniaire ? C’est ce dont nous parlons avec Françoise en ce matin du troisième jour – pendant l’un de ces rares moments où nous avons réussi à naviguer bord à bord – sans doute parce qu’à défaut de géniteurs morts nous pensons avoir vu quantité de juvéniles sur les gravières où nous avons débarqué.

Il y a des témoignages, me rappelle Françoise, racontant le fleuve transmuté en métal argenté par le passage multitudinaire des alosons. Il y a aussi cette hypothèse, poursuit-elle, invoquant la constitution de cohortes poissonneuses, au goulet de l’entonnoir estuarien, comme élément accélérateur de la migration de retour. Effet d’entrainement aujourd’hui dilué sinon perdu, le compte-goutte homéopathique – semblable à celui de nos kayaks – ayant remplacé le haut débit collaboratif.


#Alosa alosa

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