Dans une salle d’une école de la banlieue de Beyrouth nichée au pied d’un pont de voies rapides, un groupe d’enfants s’agite autour de tables disposées en U.
Âgés de 6 à 8 ans, ces jeunes réfugiés irakiens au Liban viennent d’écouter les consignes de Lisa Miroglio pour imaginer et réaliser une BD. L’illustratrice française intervient au sein de l’association Projet Fratelli dans le cadre de « Correspondances en terre libanaise », mission humanitaire initiée par Fleur Cattiaux, responsable de l’association bordelaise Maelstrom, et rendue possible grâce au soutien de Nayla Fahed, directrice de l’ONG Lebanese Alternative Learning (LAL).
Éducation et numérique
Nayla Fahed est une ancienne professeure de littérature à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth. En 2014, elle a décidé de tout abandonner pour se consacrer à son ONG. L’objectif de l’organisation est d’éviter le décrochage scolaire des communautés défavorisées en mettant en place une plateforme internet, Tabshoura, qui propose des programmes en open source et des interventions sur le terrain pour accompagner les structures d’accueil des réfugiés dans l’utilisation des outils numériques.
« Les pays occidentaux, surtout les États-Unis à travers USAID, envoient énormément de gadgets technologiques pour les réfugiés sous prétexte d’encourager l’éducation : tablettes, écrans numériques… Sauf que presque toutes les structures d’accueil ne savent pas les utiliser et n’ont rien à mettre dedans ! »
LAL a ainsi obtenu 200 000 $ de la fondation Malala pour développer sur 2 ans ses programmes d’éducation. Nayla Fahed s’est entourée d’une équipe de développeurs et d’enseignants afin de proposer un contenu validé ensuite par le Centre de recherche et de développement pédagogiques de Beyrouth.
« Nous avons eu deux grandes évaluations de nos programmes. La première concerne le travail entrepris auprès des enfants malades dont l’hospitalisation est de longue durée, la deuxième auprès des enfants réfugiés. Les deux ont été positives. »
Parallèlement à son objectif principal, LAL œuvre également pour la création d’ateliers créatifs proposés par des artistes volontaires. Ainsi, des ateliers théâtre ont pu voir le jour, mais aussi des ateliers recyclages avec des approches de création artistique « sur ce qui ne se recycle pas ». Dans ce cadre, l’ONG a soutenu le projet des ateliers BD voulu par Fleur Cattiaux.
Le dessin pour dire les choses
Fleur Cattiaux a étudié l’histoire de l’art à Bordeaux. Elle a ensuite occupé divers postes au Musée d’Aquitaine et au Capc. « Correspondance en terre libanaise » est dans ses cartons depuis plus de deux ans :
« J’ai participé aux activités d’une association qui travaille sur l’immigration à Bordeaux [Alifs, NDLR] et, naturellement, j’étais sensible à la question des réfugiés. J’ai contacté plusieurs ONG internationales et je me suis proposée comme bénévole. J’ai toujours eu des réponses positives du genre “oui, on a besoin de personnes comme vous, on vous tient au courant”. Sauf que rien ne suivait ? J’ai fini par avoir mon idée. »
Cependant, de l’idée à l’action, le chemin ne s’annonçait pas aussi simple jusqu’à ce que cette jeune bordelaise de 26 ans croise le chemin de Nayla Fahed.
« C’est une amie qui m’a conseillé de la contacter. En novembre 2016, on s’est rencontré à Paris dans un café. En une demie heure, je lui dit ce que je voulais faire et elle m’a dit banco. »
« Ce que l’on ne peut pas dire par l’écrit, on peut le formuler par le dessin » était le credo de Fleur Cattiaux. Pour animer ses ateliers, elle rencontre Lisa Miroglio à Starsbourg qui accepte la mission. D’abord prévu pour septembre 2017, « Correspondance en terre libanaise » a lieu plus tôt, en mai. Un financement participatif a été lancé à la hâte pour financer le voyage, « mais nous avions pris nos billets bien avant, décidées à faire aboutir le projet ».
Liberté
Diplômée d’un master à l’école des Beaux-Arts de Strasbourg. Lisa Miroglio, 25 ans, a suivi une formation « pour connaître les spécificités d’une intervention auprès de publics en difficulté ». Elle reconnaît que, à Beyrouth, « ça ne se passe comme on l’imagine ».
« Je m’attendais à rencontrer plus de problèmes pour communiquer avec les enfants. Mais finalement, ceux qui parlent l’anglais, on les responsabilise et on les prend à partie pour s’occuper des autres. »
Arrivée une semaine avant le début des ateliers, elle a voulu « connaître le pays » et « glaner des éléments qui pouvaient servir mon programme ».
« J’ai du réduire mes ambitions. Je disais aux enfants qu’ils n’étaient pas obligés d’être réalistes. “Faites marcher votre imagination » ; ce qui a été le déclic. Il n’ont pas beaucoup d’activités où ils ont libre court. A ceux qui ne savent pas dessiner je disais “fais-le comme tu veux ton personnage”. Ils n’imaginaient pas une telle liberté. »
Pour Fleur Cattiaux et Lisa Miroglio, l’expérience a dépassé leurs attentes. « A leur façon de nous dire merci, on comprend qu’ils ont su qu’on était là pour eux, alors que quelques jours plutôt, ils nous demandaient pourquoi on était là ». Une exposition des travaux produits lors de ces ateliers est prévue en janvier 2018 à la bibliothèque de Bordeaux-Mériadeck.
Dans les pages suivantes, nous publions des extraits du journal tenu par Fleur Cattiaux pendant son séjour à Beyrouth.
8 mai : Beyrouth, joyeux bordel
Beyrouth, une ville que nous avons découverte, aimée et parfois détestée ; une ville intense, bordélique et terriblement attachante.
Le quartier dans lequel se déroulent les ateliers s’appelle Bourj Hammoud. Situé au nord-est de la ville, à la frontière, il est visiblement plus populaire et plus mixte que celui où nous résidons. C’est un quartier très vivant dans lequel on trouve des souks, des écoles et des églises. Des fils électriques bardent le ciel et comme partout, la circulation automobile y est intense.
« Il est intéressant de noter que ce projet se déroule à Bourj Hammoud et ses environs, région qui, en 1915, a été fondée par les réfugiés arméniens fuyant le génocide dans leur pays. Que certains palestiniens y vivent. Que les régions avoisinantes accueillent les irakiens et quelques familles syriennes. Par son organisation et sa composition, ce quartier est le symbole même de ces “correspondances en terre libanaise” », Nayla Fahed.
Comme tout ce qui a l’air d’un désordre organisé ici, nos ateliers furent à l’image de la ville : bordélique, surprenant, bruyant, chaleureux, enthousiasmant. Un vivier d’idées qui partent dans tous les sens, la parole circulait en brouhaha chaotique. Du côté organisationnel, même combat. Nous avions demandé un maximum de huit enfants par groupe, il y avait bien souvent plus du double, parfois de nationalités différentes et aucun encadrant de la structure n’était là pour nous accompagner : challenge !
Pour les groupes de réfugiés, nous avions prévu de pouvoir communiquer en français ou en anglais. Mais les jeunes syriens et irakiens pour la plupart parlaient à peine l’arabe. Bref, chaque instant apporte sa dose d’imprévus, exigeant de nous une adaptabilité « minute ».
Comparées aux organisateurs, aux encadrants, aux enfants, à Nayla, nous étions souvent déboussolées et parfois stressées par ces multiples rebondissements. Mais face à eux, désarmants de sérénité et de confiance, nous avons tenté de lâcher prise et de nous laisser aller à ce rythme intense et tranquille à la fois.
Une énergie phénoménale
Le premier jour d’atelier se déroule à Triumphant Mercy Lebanon. Cette ONG a été créée en 2006 suite à la guerre avec Israël. Suite à la crise syrienne, elle est toujours en activité notamment dans la vallée de la Bekaa.
Près de 500 enfants et 125 adultes fréquentent ce centre à Bourj Hammoud, pour une équipe de treize personnes dont cinq volontaires. L’énergie déployée ici est phénoménale, elle permet à une petite partie des enfants d’accéder à l’enseignement libanais. Pour l’année 2017, seulement une dizaine d’enfants passeront l’examen d’entrée à l’école officielle libanaise.
Il n’est pas rare que les familles déplacées ne souhaitent pas rester au Liban, ils ne veulent donc pas que leurs enfants s’engagent dans l’enseignement national. D’autre part, certaines familles sont réticentes et même refusent que leurs enfants aillent à l’école car ils sont mélangés avec d’autres communautés. En effet, la mixité entre syriens et irakiens est très compliquée mais heureusement possible, nous en avons fait l’expérience.
De l’extérieur, le lieu ressemble à une boutique et, une fois à l’intérieur, nous avons découvert que l’espace a été optimisé. On peut y trouver six salles de classe, des bureaux, et une cour de récréation en sous-sol. Dans la salle où nous étions, le mobilier était destiné à des petits enfants. Les adolescents avec qui nous allions travailler, en majeure partie des irakiens, se sont retrouvés recroquevillées pour dessiner sur des tables basses.
Dans le groupe, il y a les enfants sérieux, les plus agités, les timides, les créatifs, les volontaires… Tout ce petit monde s’interpelle, discute, se chambre et il apparait clairement et très rapidement que malgré la différence d’âge, tous ces enfants étaient solidaires et se soutenaient. Les enseignantes nous ont informés plus tard que certains étaient traumatisés et d’autres souffraient des troubles du comportement.
Solidarité et indiscipline
Nous nous sommes à l’école Saint-Vincent-de-Paul, le lieu de notre second atelier. C’est une école officielle chrétienne située en plein cœur du quartier de Bourj Hammoud. Rien à signaler, elle est semblable à toutes les écoles que nous avons en France.
L’école accueille 523 enfants dont une quarantaine d’une autre nationalité « bien intégrés » selon la directrice Claire Saïd. Quant aux niveaux, ils vont du CP à la 6e – ces classes sont appelées « EB » suivi du chiffre correspondant au niveau (de 1 à 6).
L’école accueille notamment des enfants irakiens. Bien qu’installés dans une même infrastructure, les élèves libanais et les irakiens ne sont pas mélangés. Pas de récréation ensemble donc, pas de pause déjeuner partagée non plus.
Selon la directrice, cette séparation est due à deux programmes distincts : l’un géré par l’Education nationale pour les élèves libanais, l’autre géré par l’Unicef pour les réfugiés. L’organisation internationale propose des cours adaptés qui permettront aux enfants d’intégrer par la suite l’école libanaise. Néanmoins, des activités mixtes existent, elles sont en général à l’initiative du personnel enseignant et à l’occasion de fêtes religieuses ou de projets spécifiques.
Pour notre atelier, les élèves libanais entrent dans la salle deux par deux en nous regardant avec insistance. La directrice, Claire Saïd, nous présente puis donne la parole à l’un d’entre eux, Elias, pour présenter la classe.
Nous dévoilons enfin le programme des ateliers et Lisa évoque des méthodes de bande-dessinée. Très rapidement, l’enthousiasme se manifeste bruyamment. Si la discipline est mise à l’épreuve, la solidarité entre ces enfants est incontestable. Nous nous sommes rendues compte qu’effectivement l’enseignement est strict et que notre atelier devenait un espace récréatif. L’agitation allait de pair avec l’imagination débordante, ce qui s’est révélé intéressant par la suite. Même si réussir à aligner deux phrases, sans être coupé une dizaine de fois, relevait du miracle, des liens d’affection se créèrent très rapidement.
Projet Fratelli
Notre dernier groupe fait partie du « Projet Fratelli ». Dirigé et organisé par deux frères maristes espagnols et un lasallien mexicain, le Projet Fratelli est né en 2015 d’un appel du Pape François encourageant les démarches solidaires au Moyen-Orient. A Saint-Vincent-de-Paul, il a pour objectif d’apporter un soutien scolaire à des enfants irakiens. Ils y apprennent l’anglais, le français, l’arabe, les mathématiques mais ils bénéficient également d’ateliers de création et de sciences, ainsi que d’un soutien psychologique.
47 enfants, âgés de 4 à 14 ans, sont séparés en quatre groupes selon leur niveau. Pour la plupart, ces enfants sont arrivés au Liban depuis plus de deux ans et ne sont scolarisés que depuis décembre 2016. Bahjat, responsable de Fratelli à Beyrouth, prend le temps de nous parler de la situation de ces petits irakiens, bouleversés, traumatisés, dans une situation transitoire :
« En août 2014, ces enfants ont quitté leur village en pleine nuit pour fuir l’arrivée imminente de l’Etat islamique. Ici, ils sont encadrés par 4 enseignants : deux libanais, un irakien et moi… Tu vois, la mixité est possible. »
Dans la salle dédiée à Fratelli, les murs sont couverts de peintures : des arbres, des portraits, des fleurs rouge… Des dames préparent le gouter pour les petits, le café libanais pour nous, et restent disponibles en cas de besoin, notamment pour la traduction. Après une prière collective, les jeunes irakiens s’installent. Dans un calme inespéré, et malgré une barrière de la langue plus prononcée, l’ambiance est apaisée et le travail productif, nous avançons plus rapidement qu’avec les autres groupes.
Des imaginaires au rendez-vous
Il serait difficile de deviner la situation des enfants du projet de Correspondances en terre libanaise en observant leurs premiers dessins. Contrairement aux idées reçues, aucune tâche de sang, aucun fusil ni même un indice de traumatisme post guerre, expression d’une potentielle catharsis, ne figure sur les images.
Nous avons fait le choix, après en avoir bien discuté, de ne pas orienter la création des enfants en ce sens, et de mettre de côté ce qui différencie les trois populations (libanaises, syriennes et irakiennes).
Il nous a semblé bien plus bénéfique de souligner ce qu’elles avaient de commun, ce qu’elles partageaient et ce qui pouvait les rassembler. Ces groupes sont composés d’enfants, qui ont finalement les mêmes besoins à travers leurs jeux, leur apprentissage à l’école et leur place dans la famille. Le projet qui les a inspirés est donc né de leurs aspirations, de leurs descriptions de la vie qu’ils mènent à Beyrouth, de ce qu’ils aiment y faire, de ce qu’ils n’aiment pas y trouver…
Le premier exercice d’écriture fut une réussite. Les enfants se sont mis d’accord très facilement et n’ont pas manqué d’imagination pour inventer des scénarios originaux. Ils élaborent quatre récits et donnent vie à des personnages aux prénoms majoritairement occidentaux, sans doute inspirés de leurs références télévisuelles.
Dans le groupe de réfugiés de Triumphant Mercy, c’est un super héros du nom de Jimmy, qui met à profit sa force remarquable pour jouer au football. Son tir est si puissant, qu’il envoi le balle jusque dans les montagnes du Chouf… Là-haut, elle cogne la vitre d’une voiture qui dévalait la pente à toute allure. L’impact modifie la trajectoire du véhicule, qui dégringole dans un lac déjà pollué par les poubelles et y déverse son fuel. Les poissons qui vivent dans l’eau et les passagers de la voiture sont en danger…
L’écologie dans les jeunes consciences
La classe d’élèves libanais a été divisée en deux. Les premiers ont mis en scène une jeune fille, Amar, qui quitte l’école pour profiter de vacances près de l’eau. Comme il fait très chaud, elle voudrait se désaltérer avec quelques fruits frais. Mais plus rien ne pousse au Liban. La déforestation a décimé toutes les forêts et les cultures ont aussi été affectées. Elle décide d’aller nager pour se rafraîchir. Et sous l’eau claire d’un lac, elle découvre une flore merveilleuse et une ville antique habitée par des sirènes et des animaux marins. Elle se lie d’amitié avec un dauphin nocturne qui lui offre un collier à oxygène afin de pouvoir l’inviter pour la soirée dans un restaurant de… fruits de mer.
Ces récits démontrent bien la sensibilité des jeunes face à leur environnement pollué. Cette génération est aussi touchée par le désastre écologique de la capitale que les adultes libanais que nous avons questionné. Ils aimeraient que la nature du pays soit plus respectée et se chargent de dénoncer ce manque d’attention.
Dans un autre groupe de réfugiés plus jeunes, ce sont les pollutions sonores qui sont présentées par le bruit incessant de voitures. Leur personnage principal est une jeune fille nommée Carla qui se dirige vers la plage. En chemin, elle s’arrête dans un magasin pour acheter une balle. Ensuite, elle croise un chien qui essaye de la lui prendre. Elle se réfugie dans l’eau et grimpe sur le dos d’une baleine qui l’emmène sur une berge plus lointaine. De là, elle entend les klaxons des voitures. Elle arrête un conducteur et lui demande de l’aider à retrouver le chemin de sa maison.
La dernière histoire, celle de Sandra, est plus fantasque encore. Lors d’une journée ensoleillée, une fille prend son vélo pour aller à une réunion scout. En chemin, elle s’arrête pour acheter un croissant. Dans la boulangerie, elle est intriguée par un miroir et passe au travers comme une Alice. Elle y découvre un tout autre monde, mystérieux plutôt que merveilleux. Elle se perd dans un brouillard épais (serait-ce de la pollution de nouveau ?) puis s’enfonce dans un sol mou et collant. Inquiète, elle s’aperçoit qu’il lui manque son sac. Mais son ami Youssef apparaît et retrouve le ravisseur. C’est un lion qui s’en est emparé. Youssef dégaine son arc et ses fléchettes et endort le fauve pour récupérer le sac. La brume se dissipe et les deux enfants rentrent chez eux. Le lion trouvera un accueil chaleureux des autres félins du zoo en se réveillant.
« J’étais heureuse de constater une appropriation et une fusion des deux récits collectifs si spontanée. A l’évidence, les enfants réfugiés avaient besoin d’exprimer leur individualité au sein du groupe dont ils ne sont plus que rarement dissociés. Les élèves libanais quant à eux, semblaient contraints par l’éducation libanaise que je ne m’étonnais pas non plus de leurs manifestations créatives ou de toute autre nature. Ainsi, on retrouve les personnages des histoires, mais aussi des éléments nouveaux et personnels comme un drapeau irakien dans la bande dessinée de Rone, ou une évocation biblique de Jesus qui traverse les eaux dans celle d’Amanoel. La présence de la nature, des héros qu’on admire, et des emblèmes nationaux en disent long sur leur quête de petites personnes en devenir », Lisa Miroglio.
Le défi de la mixité
Mélanger les communautés, notamment dans le milieu scolaire, n’est pas chose facile. Pour des raisons différentes, elles ne cohabitent pas bien ensemble.
Il existe une réelle colère des libanais vis-à-vis des syriens et elle est liée à l’intervention des forces armées syriennes lors de la guerre civile meurtrière (1975-1990). Ce pays voisin est vu comme « l’envahisseur ». Pour l’accueil des déplacés de la crise syrienne, une partie des Libanais rencontrés sont partagées entre le désir d’aider les populations en souffrance et la colère de les voir s’installer et participer à l’asphyxie du pays. D’autres sont plus catégoriques, affirmant qu’il est essentiel de les accueillir et de les soutenir jusqu’à ce qu’ils puissent rentrer chez eux, c’est un devoir.
Rappelons que le Liban accueille plus de deux millions de réfugiés (palestiniens, irakiens, syriens) pour cinq millions d’habitants
D’autre part, les Irakiens sont très communautaires. Massacrés pour leur appartenance religieuse, ils ont vécu un trauma collectif, leur réaction est donc le repli sur soi, l’autodéfense. Pour le Liban, c’est un énorme défi d’intégration. Surtout que le pays est une étape de transition vers d’autres destinations comme le Canada ou les Etats-Unis, même s’ils y résident pendant de longs séjours.
Du côté des Syriens, arrivés après les Irakiens, la situation est assez similaire mais, historiquement et géographiquement, le pays est plus proche du Liban.
On pourrait imaginer une solidarité entre les deux populations. Et bien non ! Elles ne se côtoient pas.
L’arrivée des Syriens a été mal vue par la communauté irakienne, généralement plus vulnérable. Les voisins frontaliers sont beaucoup plus privilégiés au niveau des aides sur le territoire libanais, et bénéficient d’un marché de l’emploi déjà conquis dans le secteur de l’agriculture et celui du bâtiment depuis longtemps au Liban.
Les liens du récit collectif
En créant notre projet, nous avions eu vent de cette difficulté et c’est pourquoi il avait été imaginé une correspondance d’enfants issus de communautés différentes. Sur place, il nous a été confirmé que notre démarche avait du sens, du point de vue des établissements scolaires comme pour les ONG participant ou non au projet.
En effet, à Saint-Vincent-de-Paul, la directrice comme le responsable du projet Fratelli nous disent qu’un de leur premier objectif est de « créer des lieux où sont mélangés les enfants, mettre en place un travail éducatif visant à faire connaitre son identité, celle de l’autre, prendre connaissance des différences mais surtout des points communs ».
Par leurs histoires, les enfants avaient créés un lien, celui du récit collectif. D’une classe à l’autre, d’une communauté à l’autre, rien ne change vraiment : mêmes goûts, mêmes aspirations. Pour concrétiser cet échange, nous avons proposé à toutes les classes de se rencontrer et de faire connaissance dans le cadre de l’exposition de leurs travaux à l’école Saint-Vincent-de-Paul. Pour nous cela restait un défi en termes de temps et d’organisation. Nous allions accueillir près de 60 enfants, que nous devions mélanger pour favoriser les échanges et pour cela nous disposons d’un créneau de deux heures.
Nous nous sommes partagées les groupes afin de créer une mixité de Libanais, de Syriens et d’Irakiens. Ils ont tous participé à un quiz portant sur leur propre création. A une exception près, les enfants ont pu discuter, rigoler et s’entraider. Le fort communautarisme dont nous avions entendu parler jusque-là n’est pas venu jeter d’ombre sur cette belle rencontre.
L’exposition est restée quelques jours à l’école afin que d’autres publics, enseignants, familles et enfants d’autres classes puissent venir voir le beau travail réalisé par nos petits artistes. A notre grand regret, seulement cinq mamans se sont déplacées.
Plus tard, des enfants ont témoignés de leur expérience et de l’intérêt des rencontres entre eux. Bien que le temps ait manqué, ils ont pu discuter et s’interroger. Ce fut pour tout le monde un très bon moment.
De Rmeileh-Saïda à Sahel Akkar
Entassés dans le bus de transport collectif Mitsubishi, nous étions parti avec Bahjat à la rencontre des frères maristes et les enfants syriens pris en charge dans le centre socio-éducatif Fratelli de Rmeileh-Saïda, dans le sud du pays, à une heure de Beyrouth en voiture. Après 45 minutes de route, le conducteur nous déposa en bord de route, à deux pas de la mer cristalline. Il était presque 8h du matin et il faisait déjà une chaleur de plomb. Nous avons marché 20 bonnes minutes et croisé sur notre route les « camps » de fortune installés au cœur des vergers, là où travaillent les déplacés syriens.
Arrivés proche de l’école, Bahjat me montre le bâtiment qui fut bombardé pendant la guerre civile. Collé à lui, une caserne militaire semble être abandonnée.
Le frère Miquel nous accueille chaleureusement et nous entamons une visite pour découvrir le merveilleux travail de réhabilitation qui a été fait. Dans un style architecturale proche du Corbusier avec ces grandes ouvertures et ces terrasses avec vue panoramique sur la baie de Rmeileh, la bâtisse dispose de quinze salles de classe, accueillant environ 300 enfants syriens musulmans âgés de 4 à 15 ans.
Encadrés par seize enseignants employés par l’association, un nombre exceptionnel du à une subvention importante, les élèves profitent des cours le matin, et des ateliers et du soutien scolaire l’après-midi. Une fois par semaine ce centre reçoit le projet Himaya qui propose du soutien psychologique aux enfants et aux parents.
Nous sommes le 27 mai, jour de la fête de fin d’année et premier jour du Ramadan. Par conséquent, certains enfants sont restés avec leurs familles dont certaines vivent dans des appartements partagés. Ainsi, sur les 30 enfants attendus, 10 manquaient à l’appel. Répartis en trois groupes, ils commencent l’atelier avec des danses et des chansons, un vrai show !
Tout au long de la journée, ces enfants, trop jeunes, se révèlent vulnérables et certains étaient mal en point, physiquement et vestimentairement. Après avoir connu la guerre, les bombardements et la famine dans leur pays, leur situation au Liban était plus que précaire. Cependant , l’accès à l’enseignement est une chance et ce n’est pas le cas de tous les réfugiés, comme ceux de Sahel Akkar.
Problème d’accès à l’éducation
Sahel Akkar est une zone particulièrement peuplée par les réfugiés. Le camp dans lequel nous nous rendons avec une ONG libanaise, quelques jours avant notre départ pour la France, est installé ici depuis deux ans et demi mais existait dans une autre région du Liban depuis 2012.
A notre arrivée, nous avons été accueillis par le chef local. Il est syrien, arrivé au Liban il y a sept ans, c’est lui qui s’occupe du camp. Il est le médiateur avec les personnes venant de l’extérieur. 500 personnes vivent sur un terrain appartenant à un Libanais en échange d’un loyer et de l’entretien de ses terres. Parmi elles, 110 enfants sont âgés de 5 à 15 ans et 30 petits âgés de 0 à 5 ans.
Dans ce camps, l’accès à l’éducation est plus qu’un défi. Les parents travaillent 7 j/7, plus de 10 heures par jour payés 1 dollar l’heure environ. Les enfants âgés de plus de 15 ans accompagnent leurs parents aux travaux des champs, les autres sont seuls et livrés à eux-mêmes.
Plusieurs tentatives ont été faites pour leur donner accès à l’éducation, à l’école libanaise et à l’école du camp. Les enseignants, n’étant pas rémunérés, ont fini par arrêter les cours. Depuis cinq ou six mois, l’ONG International Rescue Committee organise deux jours de classe par semaine, à raison de 4 heures en tout.
Même si l’enseignement manque pour certains, une femme du camp nous a parlé de ses trois enfants, deux filles âgées de 13 et 14 ans et un fils de 16 ans. Tous vont à l’école et y sont très heureux. A leurs perdues, ils travaillent aux champs.
Chargement des commentaires…