Tous les médias font leur liste des livres à lire, généralement fortement inspirée par les grandes maisons d’édition elles-mêmes. Les livres qu’ « il faut absolument avoir lus » pour que les tirages puissent gonfler ainsi que les bénéfices des dites maisons. Je vais essayer de ne pas tomber dans ce travers et de garder un esprit libre. Les bouquins dont je vais parler rapidement sont ceux que j’ai pris plaisir à lire ces dernières semaines ; ce ne sont pas vraiment des best-sellers !
Pas loin de chez nous
Vous n’êtes pas adeptes des voyages au long cours ou vous êtes soucieux de votre bilan carbone ? Voici deux beaux livres pour vous inviter à des périples plein d’imprévus pas loin de chez vous.
Un autre Médoc, sites et monuments insolites de Christian Coulon, pour les textes, et Delphine Trentacoste, pour les photos ( qui sont magnifiques) – éd. Confluences. Christian Coulon est un médocain pur sang qui connaît sur le bout du doigt l’histoire et la géographie de ces terres qu’on a trop longtemps crues vouées uniquement au vin. Il avait déjà publié un recueil, plus anthropologique, de textes sur le Médoc, Les valeurs du lieu et autres textes, d’une très grande qualité. Il vagabonde ici et nous entraîne de surprise en surprise. Si vous voulez découvrir, parmi tant d’autres curiosités inattendues, les rhododendrons de la lande de Saint Laurent ou suivre le chemin du bord de l’eau à partir de Macau ; si vous voulez partir à la recherche de la fontaine de Bernos ou de la source du Pelous, il faut lire Coulon.
Adour, histoire fleuve de Serge Airoldi, chez l’Eveilleur, vous entraînera des sources de l’Adour jusqu’à son embouchure. Le livre est, à l’image même du fleuve, un réseau de tours et de détours, avec ses accélérations et ses paresses, où comptent autant les références historiques aux invasions et aux guerres que les rencontres avec des hommes et des femmes qui vivent de l’Adour ou à proximité, qu’ils soient pêcheurs ou sculpteurs. Airoldi est un poète – il en a la culture et l’amour des mots. Pour ceux qui connaissent telle ou telle portion de l’Adour, ce livre apporte un regard nécessairement différent des leurs ; pour ceux qui l’ignorent, il est une belle invitation à le suivre.
Quête et désir
Pour les amateurs de romans, je ne répète pas tout le bien que j’ai déjà dit du merveilleux Les enfants pirates de Jean Cayrol (éd. L’Eveilleur). A lire et à relire. Mais je voudrais vous conseiller deux courts récits de Julie Cuvillier-Courtot, aux éditions La Cheminante ; La femme cardinale et Les amants de Vénus.
Le premier est centré sur la quête de l’origine et de l’identité – pas simple pour cette jeune femme qui vit à Bordeaux mais qui, par ses parents biologiques, navigue entre la France, l’Allemagne et la Tunisie ; et, par ses parents adoptifs, est ancrée dans l’est de la France. A la fois un travail sur soi et un travail d’écriture. Le second a pour thème le désir féminin et la quête de l’amour absolu – nous en sommes tous là, Mais Julie Cuvilier-Courtot a le don de peindre de couleurs très personnelles ces aventures et mésaventures amoureuses.
Biographie
Marc Pautrel, vit et écrit à Bordeaux ; il est publié chez Gallimard. Son dernier livre, La sainte réalité, est une vie du peintre Jean-Siméon Chardin – dans la veine du très beau La jeunesse de Blaise Pascal.
Peintre de la banalité quotidienne et des scènes de la vie familiale, Chardin fait entrer le réel dans l’univers de la peinture – sans sentimentalisme à la Greuze, sans reconstitution d’une antiquité de caron pâte. Du même coup, son travail solitaire et pourtant fort apprécié de ses contemporains, a continué d’exercer une réelle fascination jusque chez les artistes contemporains et les théoriciens de l’art : chez Chardin commence, en partie, notre modernité. Pautrel ne se perd pas dans les détails ni dans les thèses qui intéressent les spécialistes, il essaie, au plus près, de participer au mystère de la création artistique. Et il y réussit fort bien.
Noir
Impossible de ne pas avoir lu le dernier Hervé Le Corre, Prendre les loups pour des chiens (éd. Rivages). Beaucoup semblent le découvrir maintenant ; nous qui le suivons depuis le début (et même un peu avant) savions qu’il se range parmi les meilleurs écrivains de roman noir de sa génération.
Le Corre nous plonge dans la fournaise des landes girondines et dans une famille d’affreux où débarque Franck, tout juste sorti de prison, et qui veut rejoindre son frère Fabien. A la place de Fabien, il trouve Jessica, nymphomane bipolaire et droguée qui l’entraîne dans un tourbillon de violences et de cruautés qui laisse le lecteur pantois et Franck à peu près détruit quand il comprend que son frère a été tué. Mais, et c’est là la grande liberté de l’écrivain, au pire moment pour le héros, s’ouvre une porte vers un ailleurs – la montagne où Franck se réfugie avec Rachel, la fille de Jessica – une gamine qui a tout compris de la vie mais peut encore sourire.
Jardinage
Pour les fous de jardinage ou ceux qui jardinent pour ne pas devenir fous, un petit texte, souvent drôle, de Bernard Duché, chez Confluences, Un jardin à Ninon. Ninon n’est pas le prénom d’une soubrette d’une pièce de Marivaux mais un lieu-dit près de La Brède, que vous découvrirez peut-être si vous êtes dans le coin.
Il doit être très beau, ce jardin, quand on voit les soins que Duché lui a prodigués, pendant des années, défrichant, plantant, transplantant, taillant, s’émerveillant ou se désespérant des réussites et des échecs de ce travail toujours à recommencer – au point qu’on se demande s’il lui reste du temps pour exercer une autre activité. Vous saurez tout sur des plantes, des arbustes, des arbres au nom mystérieux – hellébores, hémérocalles, hostas, hélésiums…- à vous d’ouvrir vos catalogues de pépiniéristes !
Migrants
Et enfin, puisque nous allons tous être plus ou moins pris dans les migrations estivales, un livre magnifique et grave de Patrick Chamoiseau, que rien ne rattache à notre région mais qui nous interroge tous, Frères migrants (éd. Le Seuil) pour que nous n’oublions pas ceux que la violence de la guerre, l’horreur des extrêmismes religieux, la famine jamais éradiquée contraignent à migrer vers des terres qu’ils pensent hospitalières – ce qu’elles sont loin d’être.
Les migrants, « citoyens de cette mondialité ( qu’ignorent toujours les géographies capitalistes), les voici inclassables – à la fois clandestins bannis expulsés expurgés exilés désolés voyageurs tapageurs expatriés rapatriés mondialisés et démondialisés, dessalés ou noyés, demandeurs d’asile, demandeurs de tout ce qui peut manquer aux vertus dans ce monde, demandeurs d’une autre cartographie de nos humanités ».
Bonnes vacances et bonnes lectures.
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