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Catherine Marnas : « L’offre théâtrale ne correspond pas à la croissance incroyable de Bordeaux »

Catherine Marnas vient de rempiler pour trois ans à la tête du Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine. Pour Rue89 Bordeaux, elle fait le bilan de son premier mandat et évoque les grandes lignes du nouveau. Elle dresse un constat de l’offre théâtrale bordelaise qui aurait besoin d’être enrichie.

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Catherine Marnas : « L’offre théâtrale ne correspond pas à la croissance incroyable de Bordeaux »

Catherine Marnas (©Maitextu Etcheverria)

Catherine Marnas prend la direction du théâtre national de Bordeaux en Aquitaine (TnBA) début 2014 après avoir été directrice artistique du pôle théâtre de la friche La Belle de Mai à Marseille. Elle a accepté d’être reconduite à son poste pour trois ans.

Elle est co-signataire, avec vingt-huit directeurs de théâtres nationaux et artistes, d’une tribune publiée à l’occasion des 70 ans de la décentralisation théâtrale, qui appelle à respecter la parité dans leur programmation, dans la répartition des moyens de production et de création et le traitement salarial des équipes permanentes et intermittentes. Nous l’avons rencontré début juillet, une semaine avant la publication de la tribune.

Rue89 Bordeaux : Dans quelles conditions avez-vous été reconduite à la tête du TnBA ?

Catherine Marnas : J’ai été nommée pour un premier mandat de 4 ans. Ensuite, il y a un renouvellement qui se fait sur l’agrément des tutelles, la tutelle principale étant l’État, et puis également si le directeur a envie de rempiler. Le renouvellement est de 3 ans.

Vous aviez donc envie de rempiler ?

Oui, après quelques hésitations.

« Notre mission est la création »

Lesquelles ?

Je suis une femme trop “coulée” au désir de ce centre pour lequel je voulais faire le maximum. Du coup, je m’éloignais de la création, ce pourquoi j’ai été nommée. Il y a des gens qui font ça très bien : gérer un théâtre et inviter des spectacles. Mais ce n’est pas pour cela que j’avais postulé. Au bout de ces quatre ans, j’étais un peu frustrée. Il fallait, pour que je repostule, éclaircir les choses avec les tutelles. Au bout de quatre ans, on fait un bilan et ce bilan permet d’avoir des chiffres objectifs.

Quel est ce bilan et quels sont ces chiffres ?

Il y a un cahier des charges pour la tenue d’un CDN (Centre dramatique national, NDLR) qui demande que les 2/3 du budget soient consacrés à la création et 1/3 à l’accueil, on était aux proportions inverses ! Là-dessus est arrivée l’assignation devant le tribunal de grande instance de Paris par le Syndicat français des artistes interprètes (dont le jugement est attendu pour début 2018, NDLR). Elle marque – même si elle se base sur des calculs faux et peu pertinents – le fait que nous ne faisions pas assez de création. J’ai replacé cette question de façon très objective, malgré la qualité du travail fait au TnBA et qui l’a rendu plus convivial et plus populaire.

« Plus convivial et plus populaire », c’est votre marque de fabrique sur cette dernière mandature ?

En quelque sorte oui, ça correspond à mon projet. Cette idée d’être exigent dans la programmation mais se débrouiller par tous les moyens pour que l’action culturelle soit présente partout, c’est-à-dire dans les prisons, les maisons de retraites, les Ehpad, tous les groupes scolaires et aller jouer dans des villages, où il n’y a pas des structures théâtrales, des spectacles gratuits ou à prix réduit… Tout ça fait partie de nos missions. J’emploie le terme mission avec la charge éthique que ça représente pour moi. C’est le travail invisible et c’est important qu’on le sache.

Moins de spectacles pour 2017/2018

Pour la nouvelle saison, vous avez réduit le nombre de spectacles, 23 contre 31 en 2016-2017. Est-ce pour des raisons financières ?

Pas seulement pour des raisons financières. Aussi, j’ai pêché par enthousiasme. On est allé trop loin, pas seulement avec les 31 spectacles mais aussi avec des séries longues, ce qui faisait un nombre de levers de rideaux très important. Ce qui est formidable, c’est que ça a bien marché, malgré cette multiplication de nombre de sièges, on a fait 97% de remplissage. Ce qui est énorme. Mais, objectivement, on n’a pas les moyens de tout faire, notamment par rapport aux missions d’un CDN, c’est-à-dire remplir la mission principale qui est la mission de création.

Vous allez passer de 70000 places à vendre à 50000. Comment allez-vous faire financièrement sachant que, malgré le taux de remplissage de 97% des 70000 places, les spectacles programmés ont généré un déficit ?

Le déficit est très réduit. Il est de 30000€, ce qui n’est pas grand chose et on le récupère très facilement sur une année. Par contre on ne peut pas se permettre de le reproduire d’année en année.

Votre nouvelle saison culturelle est marquée par beaucoup de création locale. Pourquoi ?

En effet, on retrouve au programme le collectif Os’o, le collectif Traverses, Renaud Cojo et sa compagnie Ouvre le chien, Laurent Laffargue… et bien d’autres. C’est une manière de partager, d’ouvrir le théâtre à sa ville. Un CDN a la particularité de pouvoir dialoguer avec tout le monde et, en même temps, être une locomotive qui peut entrainer tout le monde vers le haut. Soit parce qu’on y voit des spectacles de très bon niveaux, ou parce que la visibilité que propose un CDN permet à ces compagnies de rayonner.

« L’avenir des CDN m’inquiète »

Quel est le fil de la prochaine programmation ?

Sincèrement, il n’y a pas de thème. Il y a des coups de cœur. Par contre, après on peut dégager les grandes lignes. Je ne sais pas si vous avez remarqué le nombre d’auteurs contemporains sur la saison, c’est assez unique. C’est vouloir rendre du monde aujourd’hui, par les mots d’aujourd’hui et par les auteurs d’aujourd’hui. Il y a aussi quelque chose auquel je tiens beaucoup, ce sont des plateaux très habités, avec beaucoup d’acteurs. C’est important pour moi et j’en ai fait une priorité.

Un petit mot sur votre création : « 7 d’un coup » ?

C’est une création jeune public mais j’aimerais bien que ce soit une création tout public. Elle parle de l’enfance et pas seulement à l’enfance. L’enfance est quelque chose de très fort qu’on porte tous en nous. C’est le sentiment d’impuissance que l’on a quand on est enfant. C’est quelque chose qui reste au plus profond de notre inconscient et qui ressurgit au moindre échec ou au moindre douleur.

Avez-vous eu une baisse de budget ?

Il n’y a pas de coupe à proprement parlé. J’ai eu une augmentation de l’État et une augmentation de la Région.

Donc ça va plutôt bien ?

C’est une respiration ! Ça fait des années que les budgets stagnent. En plus, j’avais un budget européen que je n’ai plus parce qu’il était prévu sur un temps. On a des augmentations complètement dingues. Le plan vigipirate nous coute une fortune. Et puis tout augmente : les transports, les hôtels… Par contre, les budgets sont désespérément stables. L’avenir des CDN m’inquiète, et pas seulement à Bordeaux. S’il n’y a pas une vrai prise de conscience, ça veut dire qu’il va falloir supprimer tout le travail invisible dont j’ai parlé, tout ce travail de démocratisation culturelle qui est essentiel et qui est la raison même d’existence de ces lieux au départ. Ma crainte est qu’on soit de plus en plus emmené à nous rapprocher de l’offre privée.

« Bordeaux manque de propositions »

La filière Théâtre n’est pas suffisamment soutenue ?

Quand vous regardez l’importance d’une métropole comme Bordeaux et le maillage sur le territoire, les propositions théâtrales qui y sont faites ne sont pas suffisantes.

Qu’est-ce qui manque ?

Une scène nationale par exemple, c’est-à-dire un théâtre de diffusion de spectacles.

Et les structures plus petites ?

On en manque aussi. Le projet de La Manufacture Atlantique m’inquiète. Il y avait petit à petit quelque chose qui se faisait sur l’émergence et qui va se diluer aujourd’hui dans un projet plus global. Je comprends qu’il fallait recaser le Cuvier, mais est-ce qu’il fallait le faire là ? Est ce qu’il fallait le faire au détriment d’une des rares structures théâtrales ? Je ne suis pas sûre. Étant donné qu’il y a des nouveaux habitants qui arrivent, c’est la volonté de la Ville, qui se trouve à deux heures en train de Paris, il y a des cadres moyens supérieurs qui vont venir s’installer et ils auront besoin de spectacles. Pour l’instant, il n’y a pas l’offre qui correspond à cette croissance incroyable de Bordeaux.


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