Des seins qui poussent avant l’heure chez les filles (lire le témoignage recueilli par Rue89 Bordeaux), des testicules qui augmentent de volume chez les garçons, l’apparition d’une pilosité pubienne dès l’âge de 8 ans… Tels sont les signes d’une puberté précoce, un trouble qui aboutit, entre autres, à l’arrêt prématuré de la croissance. Si le phénomène reste très rare, il présente de fortes disparités géographiques qui interpellent.
C’est ce que révèle une étude inédite – la première du genre en France – présentée lors des rencontres de Santé publique France, l’agence nationale de santé publique, à Paris le 30 mai dernier. Ainsi, dans les bassins lyonnais et toulousain, les cas sont douze fois plus fréquents chez les filles et six fois plus fréquents chez les garçons que dans les régions où la fréquence est la plus faible, globalement situées dans moitié Nord de la France.
Les scientifiques qui ont fait ce constat ont aussi relevé chez les hommes une augmentation des anomalies sexuelles masculines : dégradation de la qualité du sperme (en particulier en Nouvelle Aquitaine), cancers du testicule (en particulier dans le grand Ouest et le grand Est), position anormales du testicule (cryptorchidie) (en particulier en région Auvergne).
Forts soupçons sur les perturbateurs endocriniens
C’est en étudiant la base de données des remboursements de l’Assurance-maladie (Sniiram) que les scientifiques ont recensé les pubertés précoces traitées. Sur la période 2011-2013, Joëlle Le Moal, médecin-épidémiologiste, et ses collègues de la direction santé environnement de l’agence sanitaire Santé publique France, en collaboration avec les Pr Jean-Claude Carel, pédiatre, et Juliane Léger, endocrinologue de l’Hôpital Robert Devré à Paris, ont comptabilisé 3519 cas de puberté précoce chez des fillettes traitées avant 9 ans, soit en moyenne 1173 par an (2,68 cas pour 10 000). Les garçons sont dix fois moins touchés : 352 cas traités de moins de 10 ans ont été enregistrés sur la période 2011-2013, soit en moyenne 117 cas par an (0,24 cas pour 10 000).
Quelles sont les causes de ces disparités régionales ?
« Nous avons observé une superposition géographique des cas féminins et masculins, ce qui suggère des facteurs de risques communs, et une possible origine environnementale », explique Joëlle Le Moal.
De forts soupçons pèsent notamment sur le rôle des perturbateurs endocriniens – bisphénols, phtalates, pesticides, métaux lourds, polychlorobiphényles (PCB), hydrocarbures aromatiques, polycycliques (HAP), retardateurs de flamme bromés (PBDE)… Présentes dans l’air, l’eau, l’alimentation, les cosmétiques, les vêtements, ces substances chimiques interfèrent avec le bon fonctionnement hormonal de l’organisme, et pourraient entrainer des anomalies, et potentiellement être transmises à la descendance.
« Mais on ne peut pas exclure d’autres facteurs de risques comme le surpoids et les rayonnements UV, qui pourraient pour favoriser les pubertés précoces ou l’avancement de la puberté », nuance l’experte.
Mais à quoi sont dues ces différences d’une région à l’autre ?
« Pour l’heure, l’étude ne permet pas de conclure sur l’origine de l’hétérogénéité spatiale de l’incidence de puberté précoce, nous ne pouvons qu’émettre des hypothèses, souligne Joëlle Le Moal. Il faut aller plus loin pour préciser ces liens et voir aussi s’il y a une augmentation au fil du temps de l’incidence, comme cela l’a été montré au Danemark et en Corée du Sud. C’est pourquoi nous allons réaliser une analyse à une échelle plus fine et utiliser des données plus anciennes pour avoir un recul de dix ans. Nous projetons aussi de nous servir d’indicateurs géographiques d’exposition comme les indicateurs de proximité aux cultures (NDLR : viticulture, arboriculture, céréales, oléagineux…). »
A l’index
Les résultats sur les données plus anciennes ne seront pas disponibles avant un an. L’ensemble de ces travaux a pour objectif de servir aux politiques publiques pour prendre des mesures. Celles-ci se font au compte-goutte. Le 4 juillet, après un an de tentatives infructueuses, les États de l’Union européenne se sont accordés sur une définition des perturbateurs endocrinien. Un préalable nécessaire afin de mieux réglementer ces substances et de les interdire. Si le ministre de la transition écologique, Nicolas Hulot, a qualifié la définition commune d’ « avancée considérable », celle-ci n’a pas satisfait les écologistes, la jugeant minimaliste et inefficace pour protéger la santé humaine et l’environnement.
Au nom de l’information du public, le ministre a publié le 13 juillet sur les sites des ministères de l’écologie et de l’agriculture deux listes (non exhaustives) de pesticides susceptibles de contenir des perturbateurs endocriniens. Elles contiennent les noms d’environ un millier de biocides pour l’une (insecticides pour la maison, produites de protection du bois ou pour l’hygiène vétérinaire) et près de 600 phytosanitaires (fongicides, herbicides, insecticides) pour l’autre. Jugées par certains trop restreintes et pas suffisamment indicatives sur les molécules actives que ces produits contiennent, elles permettent néanmoins d’orienter un peu mieux le choix des consommateurs.
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