Le prix du stationnement abusif va doubler à Bordeaux. A partir du 1er janvier prochain, se garer sur la voirie sans payer (ou stationner plus de deux heures) coûtera 35 € (en secteur rouge, à l’intérieur des cours) et 30 euros (en secteur vert), contre 17 € le PV actuellement. C’est la conséquence de la dépénalisation du stationnement payant, prévue par la loi Maptam de 2014, et transposée à Bordeaux dans une délibération du conseil municipal, votée le 10 juillet dernier.
Celle-ci actait la transition d’une amende pénale, identique sur tout le territoire national et dont le montant est fixé par l’Etat, à un forfait post stationnement (FPS), au niveau déterminé par la Ville, et dans la moyenne des tarifs décidés ailleurs. Le coût des deux premières heures restera inchangé 5 € en secteur rouge, 3,60 € en secteur vert. Au delà, les automobilistes paieront au taquet.
En juillet, la mairie de Bordeaux s’était également donnée la possibilité d’externaliser la surveillance du stationnement ainsi que le traitement des contentieux. A l’issue d’un appel d’offre auquel ont répondu 7 entreprises, Urbis Park a été retenue, a-t-on appris ce lundi lors du conseil municipal. Cette société du groupe Transdev (Veolia, Caisse des dépôts) est déjà le premier opérateur privé de parkings publics à Bordeaux, via sa filiale BP3000, qui gère 3000 places de stationnement (les parcs Bourse/Jean-Jaurès, Salinières, Meunier et Tourny).
Pervenches privées
Lundi, c’est l’opposant Matthieu Rouveyre qui met le sujet sur le tapis, à l’occasion d’une modification du budget 2017 prévoyant entre autres de financer à hauteur de 3 millions d’euros la modernisation des horodateurs.
« La gestion du stationnement par une société privée est un changement fondamental, mais vous avez décidé de tenir dans l’ignorance le conseil municipal, regrette l’élu socialiste. Il n’est pas normal que ce contrat ne fasse pas l’objet d’une délibération. »
Tous les marchés publics ne sont en effet pas tenus d’être présentés en conseil municipal, selon une délibération votée pendant cette mandature… et approuvée par l’opposition, sous réserve d’une mise en ligne mensuelle de l’ensemble des marchés et de leurs avenants.
« Or la dernière actualité remonte à 2016 sur le portail open data de la ville, et la dernière communication sur le stationnement à 2012, poursuit Matthieu Rouveyre. C’est une vraie opacité, même si je ne suis pas sûr qu’elle soit orchestrée. »
Précisant que le groupe socialiste n’avait « pas d’opposition de principe à ce que la lutte contre le stationnement abusif soit confiée au privé », le conseiller PS demande ce qui a justifié cette externalisation, et comment seront redéployés les agents municipaux affectés aujourd’hui à ce travail.
« On ne fait pas les choses au doigt mouillé, répond Jean-Louis David, l’adjoint au maire en charge du stationnement. Les ASVP (agents de surveillance de la voie publique) assurent une surveillance de l’ordre de 50% de ce qu’elle devrait être par manque d’effectifs. Ces agents ont fait l’objet de propositions de reclassements. 16 seront affectés à la nouvelle brigade qui sera chargée du stationnement gênant sur voirie. 10 ont choisi de devenir agents de proximité dans les mairies de quartier. Et sur les 20 auxquels Urbis Park a proposé un contrat en CDI, mieux rémunéré, une dizaine ont accepté. »
11 millions d’euros de recettes
En janvier prochain, 45 « pervenches » Urbis Park patrouilleront dans les rues de Bordeaux, à un rythme deux à trois fois plus soutenu, précise Jean-Louis David à Rue89 Bordeaux :
« L’hypercentre n’était surveillé qu’un jour sur deux, demain ce sera tous les jours, voire deux fois par jour. Les automobilistes ne pourront plus jouer avec ça. Mais l’objectif de la réforme n’est pas d’augmenter le nombre d’amendes, cela devrait au contraire les faire baisser. Nous souhaitons avoir davantage de paiement spontané. Et surtout que les gens utilisent davantage les parcs publics ou les transports en commun. Alors que 25% de la circulation en centre-ville de Bordeaux est le fait de véhicules qui cherchent une place pour stationner, nous voulons que les automobilistes se posent la question : n’y a t-il pas d’autre moyen que la voiture pour aller en ville ? »
Le nouveau dispositif de surveillance des 27000 places en surface (7 à 8000 de plus en 2018) devrait permettre à la ville de passer de 9 à 11 millions d’euros de recettes annuelles provenant des horodateurs (et de la nouvelle application de paiement par mobile, qui sera aussi lancée en janvier). Jean-Louis David assure n’être pas capable d’évaluer combien rapporteront les forfaits post-stationnement eux-mêmes, alors que le produit des amendes représente aujourd’hui un peu plus de 5 millions par an, dont 48% va à l’Etat et 52% à la métropole.
Mais à la question « Urbis Park aura-t-il pour objectif de faire du chiffre », posée par l’élu PS Nicolas Guenro, Jean-Louis David est catégorique : la société n’aura « aucun intéressement sur les recettes, et ne sera payée qu’en fonction du nombre de passages qu’on lui demande de faire ». Pour le directeur de la police municipale de Bordeaux, Nicolas Andreotti, c’est « la grande différence avec Paris, qui a décidé d’intéresser aux recettes les deux sociétés prestataires », Vinci et Urbis.
« Bon sens »
Autre avantage pour la Ville : alors qu’elle reverse aujourd’hui intégralement à la métropole les recettes des amendes, elle pourra désormais conserver la partie correspondant au coût de la collecte. L’ex président de la CUB, Vincent Feltesse, estime d’ailleurs « qu’il serait de bon sens que la politique de stationnement ne soit pas municipale mais métropolitaine, car le passage au tout payant à Bordeaux et dans d’autres communes a des effets » sur leurs voisins. Une idée qu’Alain Juppé se propose de soumettre au bureau des maires de la métropoles, même si ces derniers risquent de rechigner à perdre leur pouvoir de police.
Vincent Feltesse et Matthieu Rouveyre ont également interpellé le maire de Bordeaux sur « sa stratégie globale de mobilité » :
« Qu’est-il prévu pour accompagner les alternatives à la voiture ? Les recettes du stationnement permettront-elles de financer des parcs relais à l’extérieur de la métropole, du covoiturage ? Les automobilistes auront le sentiment d’être vache à lait tant que le stationnement payant ne s’inscrira pas dans réflexion plus globale de mobilité dans la ville ».
Et c’est là que se nouent les contradictions à l’œuvre à Bordeaux : car l’une des réponses apportées par Alain Juppé dans le cadre des Assises nationales de la mobilité, et qui sera présentée au bureau de la métropole, c’est la relance du grand contournement autoroutier de Bordeaux. A supposer que ce projet ait la moindre chance de voir le jour, les voitures dont on ne veut plus en centre-ville seront invitées à en faire le tour, le plus loin possible, au milieu des vignes et des forêts girondines…
Urbis et orbi
Autre paradoxe manifesté lors de ce conseil municipal : le maire de Bordeaux approuve l’intervention de Jacques Colombier (Front national), s’insurgeant contre le nombre insuffisant de places de parkings dans deux programmes de logements sociaux quai de Queyries – 36 logements de Mesolia, plus 50 autres en résidence étudiante, et 24 places de stationnement ; 29 logements d’Aquitanis, avec 15 places de stationnement.
« Énormément de foyers bordelais ont déjà une voiture, l’argument selon lequel ils peuvent s’en passer car ils son à proximité d’une ligne de tram est stupide, tonne Alain Juppé. Nous avons affaire à la résistance des promoteurs privés et des bailleurs sociaux qui ne veulent pas faire de parking car cela coute plus cher (de 2000 à 45000 euros la place selon les configurations, NDLR). Mais c’est un transfert de charges vers la collectivité, car les voitures doivent aller se garer ailleurs. la prochaine fois qu’on me présentera un programme avec 0,5 place par foyer – comme s’il pouvait y avoir 0,5 voiture -, je ne donnerai pas la garantie de la ville. On me dit que cela attire les voitures, mais on ne les fera pas disparaitre de la circulation dans les 20 ans qui viennent. »
C’est ce qu’on pourrait appeler une politique en zigzag : d’un côté on se décide à faire payer de plus en plus cher aux automobilistes l’utilisation de l’espace public, de l’autre on consentirait à subventionner (via les bailleurs sociaux) la construction de places privées pour ces mêmes voitures. On est encore loin des « droits de circuler » qui viennent d’être imposés à Singapour.
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