L’audience a été reportée sine die de l’agenda du Conseil d’Etat, mais ce mercredi, Pierre Hurmic a testé quelques arguments clés de plaidoirie contre les lignes à grande vitesse au sud de Bordeaux. L’avocat, conseiller municipal et métropolitain écologiste, a déposé le 22 juillet 2016 un recours visant la déclaration d’utilité publique du GPSO (Grand Projet du Sud Ouest), c’est-à-dire les LGV Bordeaux-Toulouse et Bordeaux-Dax.
« Alors que l’affaire était sur le point d’être fixée pour être plaidée, la Région Nouvelle-Aquitaine et Bordeaux Métropole, après la Région Occitanie, viennent de décider d’intervenir, tardivement (16 mois plus tard), dans la procédure », ont indiqué les élus écologistes à la région et à la métropole.
Alain Juppé et Alain Rousset ont déposé en novembre un mémoire en intervention volontaire afin de soutenir SNCF Réseau, et la DUP du projet de LGV contestée. Une démarche que Pierre Hurmic qualifie d’ « un peu intempestive, parasitaire et totalement inutile puisque tous les arguments ont été échangés devant le conseil d’État ».
« Le but est de retarder l’issue du procès, poursuit l’avocat. Si l’affaire avait été jugée avant la fin de l’année, elle serait tombée en plein dans les Assises de la Mobilité, dont la finalité est d’encourager les solutions innovantes. Ils pensent aussi que les recours ont des chances de prospérer avec la jurisprudence du Conseil d’Etat sur la LGV Poitiers-Limoges. Le motif fondamental de sa décision du 15 avril 2016, c’est que l’information financière fournie en débat public est insuffisante ; on s’appuie beaucoup sur cette jurisprudence tout à fait nouvelle. »
Les LGV déjà condamnées ?
Les écologistes ont bon espoir que le gouvernement enterre définitivement le projet. Emmanuel Macron et sa ministre des transports, Elizabeth Borne, veulent donner la priorité aux transports du quotidien, et comptent, pour des raisons sûrement plus financières qu’écologiques, optimiser les infrastructures existantes plutôt que de multiplier les grands chantiers.
Selon l’Usine Nouvelle, la commission d’orientation des infrastructures aurait d’ores et déjà condamné la LGV Bordeaux-Toulouse en raison de son coût – 8 milliards d’euros pour gagner une heure sur 200 kilomètres. L’amélioration des voies actuelles permettrait de réduire le temps de parcours d’une demi-heure, en économisant 6 milliards d’euros. Les conclusions de cette commission, ainsi que celles des Assises de la mobilité, doivent alimenter la future loi qui sera présentée début 2018.
Dans un rapport adopté en bureau, et soumis aux Assises de la mobilité, Bordeaux Métropole plaide pour sa part toujours pour la LGV. Idem du côté de la région Nouvelle-Aquitaine, qui débattra de sa contribution aux Assises lors de sa prochaine plénière. Celle-ci s’annonce mouvementée, car les conseillers régionaux écologistes, pourtant membres de la majorité, ne digèrent pas l’initiative d’Alain Rousset, explique l’un d’entre eux, Jean-François Blanco :
« Cela pose un problème démocratique car cette intervention auprès du Conseil d’État n’a pas été soumise à discussion devant le conseil régional. Aucun président ne peut s’arroger le droit de se substituer à la collectivité territoriale qu’il préside. L’accord de majorité PS-EELV a explicitement prévu que la région n’interviendrait pas dans le financement de GPSO, ni directement, ni indirectement. Nous ne pouvons pas accepter cette intervention qui génère de la confusion. »
Égoïsme métropolitain
Si les élus Verts ont voté la possibilité pour le président d’ester en justice, Pierre Hurmic juge la manœuvre « plus que discourtoise, déloyale ». Un avis que réfute Renaud Lagrave, vice-président de la région Nouvelle-Aquitaine :
« Dans l’accord passé, il était question qu’il n’y ait pas de nouveaux engagements financiers pris par la région. Mais il n’était pas question d’arrêter GPSO, sinon Alain Rousset ou moi-même ne l’aurions pas signé. Nous avons déposé auprès de la ministre des transports et du conseil d’État les voies et moyens de financer 80% de l’infrastructure. Comment peuvent-ils être contre ça ? »
Pour la raison d’être des écologistes, peut-être : Pierre Hurmic rappelle ainsi le « massacre environnemental que constituerait ces LGV, avec 4830 hectares de sols naturels, agricoles et forestiers artificialisés, soit exactement la superficie de la ville de Bordeaux ».
« Cet impact n’est pas soutenable et il est contradictoire avec les engagements écologiques pris par la région et la métropole. Il montre l’égoïsme des élus métropolitains, prêts à détruire 4800 hectares de nature pour gagner 1/2 heure sur un trajet de train. Gilles Savary (ex député PS de la Gironde, NDLR) l’a bien dit : Rousset ne pense qu’à la LGV et Juppé qu’à Bordeaux. Et la LGV est à Rousset ce que le métro était à Chaban-Delmas. »
L’heure Y
L’avocat attaque aussi trois arguments matraqués par les pro-LGV depuis quelques mois. Se réjouissant du succès de la ligne Paris-Bordeaux, Renaud Lagrave relève par exemple qu’elle a permis d’augmenter la fréquentation des TER de 20%. Le TGV deviendrait ainsi un train du quotidien pour les habitants de Périgueux ou d’Agen qui doivent se rendre régulièrement dans la capitale pour affaires. Pierre Hurmic rappelle lui que les passagers des TGV représentent moins de 10% des clients de la SNCF, et que le train ne pèse que 10% des déplacements des Français :
« On dépense donc des sommes extravagantes pour des infrastructures qui ne supportent que 1% des déplacements. C’est un transport de niche et de riches qui ne profite qu’aux métropoles. »
Il conteste aussi l’argument de sillons saturés, qui pourraient être libérés pour le fret ou les TER après construction d’une nouvelle ligne. D’après l’Arafer (Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières), la fréquentation du réseau est « médiocre » :
« Avec une moyenne de 40 trains de voyageurs circulant chaque jour par kilomètre de ligne et par sens en 2015, la France se place en 10e position en Europe en matière d’intensité d’utilisation de son réseau ferroviaire, devant l’Espagne, mais derrière le Royaume-Uni (96 trains), l’Allemagne (75 trains) et l’Italie. »
Y aurait-il donc selon Pierre Hurmic de la place pour faire circuler des trains, sauf autour de Bordeaux ? Renaud Lagrave maintient qu’il n’a « plus un sillon disponible et ne peux rajouter aucun train au nord comme au sud ». Et martèle que « l’Europe attend le barreau manquant vers l’Espagne », où le Y basque ferroviaire devrait être achevé en 2023.
Sauf que pour les écologistes, rien ne justifie l’arrivée d’un TGV roulant à 320 kilomètres/heure pour se raccorder au réseau espagnol, où les trains seront limités à 250 km/h :
« En France on confond grande vitesse et très grande vitesse, estime Pierre Hurmic. Une ligne de train coute très cher en Europe à partir de 250 km/h. Aussi, les Allemands se sont mis à faire de la grande vitesse à 249 km/h et le train s’est un peu redressé Outre-Rhin. On ne sera pas à l’heure de l’Y basque parce que l’acharnement autour de la LGV ne permettent pas d’avancer sur ce sujet de la grande vitesse. »
Peut-être que les Assises de la mobilité permettront de sortir le train français enferré dans ce débat.
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