De loin : No Land Demain ?
Au théâtre du Pont Tournant, Faizal Zeghoudi scrute l’horizon, celui des mers et des terres, d’où jaillissent les souffrances des peuples opprimés. Ce que le chorégraphe bordelais qualifie de « manifeste chorégraphique empreint de sens et d’humanité », « No Land Demain ? » offre au public une expérience unique, une immersion totale, dans tous les sens du terme.
A travers cette création d’une heure, on assiste au drame de la migration contrainte en trois temps : la guerre, la traversée en mer, l’arrivée sur le rivage. Faizal Zeghoudi manie ces trois thèmes avec subtilité, loin des bons sentiments, avec force et pudeur, violence et fragilité.
À corps perdus
On en prend pleins les sens. Dès les premières minutes, une musique martèle la cadence, infernale, de la fuite. Dans celle-ci, Lucas Barbier distille des paroles, des prières, des explosions, des sifflements de balles, des fracas, des destructions, des vents, des pluies, des tempêtes… Un espace sonore saturé qui envahit le cerveau et lui offre des situations incroyablement sensorielles.
En face, sur une scène exiguë, huit danseurs suivent la cadence et se déplacent dans des petits périmètres. Les gestes et les mouvements sont calculés au millimètre. Une transe s’installe et rappelle les rituels soufis. Avec entêtement, les membres se disloquent, les cous se tordent, les jambes flanchent, et si les corps se heurtent parfois, c’est pour les mettre davantage à l’épreuve.
C’est une performance époustouflante et collective à laquelle parviennent Ludovic Atchy-Dalama, Anthony Berdal, Assan Beyek-Rifoe, Sarah Camiade, Lauriane Chamming’s, Marie Comandu, Santiago Congote et Sandy Parsemain. Unis dans l’épreuve, les danseurs jettent toutes leurs forces, jusqu’à la dernière minute, où les corps se plient, se brisent, s’écroulent et meurent d’épuisement, jusqu’au dernier souffle des derniers efforts, en silence, sous le regard impuissant et terrifié du public.
« No Land Demain ? » au théâtre du Pont Tournant
Du 17 au 20 janvier
Renseignements et réservations : 05 56 11 06 11
De près : Point d’infini
Au TnBA, Laurent Laffargue regarde de près, de très près. Le Bordelais à la tête de la Compagnie du Soleil Bleu livre dans « Point d’infini » un passé pas si simple, le sien. La mise en scène est habile : un décor dépouillé sur un plateau qui, dans des mouvements circulaires, permet des travellings cinématographiques sur les déplacements des trois acteurs. Le metteur en scène joue son propre rôle, Marie-Ange Casta celui d’un amour perdu, et Arnaud Nano Méthivier celui de l’ange musicien.
L’histoire est celle d’un homme hanté par la disparition d’une femme dont le fantôme peuple toujours son quotidien. Le drame est là, posé comme un fardeau longtemps porté. Le spectateur repart soulagé ou encombré, selon qu’il connait ou non l’histoire personnelle de Laurent Laffargue, marquée par la mort brutale de sa compagne.
Amour et addiction
Dans le premier cas, l’on comprend plus facilement cette introspection poussée jusqu’à l’autocritique : les souvenirs de séduction, le bagout, l’envie de plaire, l’abus de l’alcool, les nuits blanches, les lendemains difficiles et les trous de mémoire. On reconnaît l’homme, ses tourments et ses douleurs. On est fasciné par tant de courage que l’enfant chéri du théâtre a pu trouver pour livrer une intimité intérieure sans concessions.
Dans le deuxième cas, c’est une autobiographie bien ficelée avec un texte à la métaphore chargée – « Il fait beau dehors alors qu’il pleut dans ma tête ». Une histoire d’amour où se succèdent des échanges incisifs et des envolées poétiques, du Michel Audiard et du Léo Ferré. L’auteur et metteur en scène, dans une voix de lendemain de fête, annonce dès les premières scènes :
« Écrire. Écrire comme une nécessité. Tel le funambule joignant les deux tours sur un fil, suspendu au-dessus du vide. Des mots qui jaillissent car ils en ont besoin. Écrire pour ne plus avoir à penser. Pour ne pas oublier. Pour rester vivant. De nombreux mots et maux viendront alors. »
Des maux d’un amour perdu, mais aussi d’une addiction. Cette dernière, Laurent Laffargue a exploré ses ravages dans un premier volet présenté au Glob Théâtre, « Jester ». L’adaptation du roman fleuve de l’écrivain américain David Foster Wallace, « L’Infinie Comédie », a permis à Antoine Bassleret, aux côtés de Deborah Joslin, une performance théâtrale fort remarquée.
« Point d’infini » au TnBA, Salle Vauthier, Bordeaux
Du 16 eu 20 janvier
Renseignements et réservations
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