Les créations se succèdent et ne se ressemblent pas au TnBA. Cette fois-ci, on retrouve Catherine Marnas pour une nouvelle mise en scène d’un texte de Serge Valletti, « Mary’s à minuit ». On découvre également la toute dernière et très attendue pièce du collectif Os’o, « Pavillon noir », conçue avec le collectif Traverse.
Si, dans la première création, l’excellente Martine Thinières nous porte à la folie, dans la deuxième, les pirates bordelais nous mettent sous pression dans une épopée numérique écrite à plusieurs mains.
Mary’s bis
Sacrée Martine Thinières ! La revoilà, 17 ans après, dans le rôle de Maryse repris par Catherine Marnas dans « Mary’s à minuit ». Elle est là, seule sur la scène, dans sa tête et dans son monde, ses tics et ses tocs, pour accueillir le spectateur dans le Studio de création du TnBA.
Maryse, il ne faut surtout pas la prendre pour « une bonbonne ». Parce que, à Maryse, on ne la lui fait pas. Avec son accent marseillais, car le personnage de Serge Valetti vient de cette « immense ville-théâtre » qu’est Marseille, elle nous embarque, le temps d’une heure, dans sa galéjade.
Maryse est toujours amoureuse de Jean-Louis Maclaren. Ce n’est pas son vrai nom, mais elle l’appelle comme ça parce que ça lui va bien et qu’il roule en décapotable. De toute façon, le vrai nom de son amoureux ne passe pas. Elle l’avait mal lu la première fois et depuis elle fait autrement. Comme pour tout, Maryse fait autrement. Tellement autrement qu’elle « vire à droite, à gauche » pour y parvenir. Et si elle n’aime pas, elle le dit.
Quoi de neuf ?
Dans une mise en scène où la robe de mariée est de retour – « parce qu’elle traduit bien son état de rêve éveillé » dixit Catherine Marnas –, Maryse retrouve la même folie, les mêmes gestes, les mêmes regards qui roulent d’un bout à l’autre de la scène, de spectateur en spectateur. Elle appuie sur les syllabes des mots difficiles : “sug-ges-ti-ves”, “ina-lié-na-ble”, “cor-ro-bo-re” et insiste sur chaque “e”, en bon ton du sud.
Quoi de neuf ? Quelques vieux tubes de la chanson française pour signifier que le temps s’est arrêté quelque part, entre un asile de fou où un médecin accorde le droit de rire et des nuits d’amour la fenêtre fermée par pudeur. Maryse ressasse son histoire comme pour mieux y croire, avec la même fraicheur qu’une première version de 2001, et voire même une chute plus tragique encore dans les yeux burinés par le temps de la fidèle interprète.
Avec Mary’s à minuit, Catherine Marnas reprend donc les mêmes et recommence.
« Même texte, même interprète mais autour, tout change. Le spectacle sera donc forcément le résultat de ces changements, de mon regard, du monde autour de nous… »
Pratiquement la même équipe aussi, avec Carlos Clavo pour la scénographie et Madame Miniature pour le son. En gros, rien de neuf, parce qu’on ne change pas une équipe qui gagne.
« Mary’s à minuit » – Studio de création au TnBA
Jusqu’au vendredi 9 février 2018 (20h sauf le samedi à 19h)
Durée estimée 1h
Renseignements sur le site du TnBA
Noir débit
Sacrée Bess Davies ! Il n’y a pas mieux pour plonger le spectateur dans l’univers particulier du Collectif Os’o, associé ici au Collectif Traverse. C’est elle qui interpelle les spectateurs de la salle Vauthier pour éteindre les téléphones portables. Sa version de cet avertissement – hélas indispensable en chaque début de spectacle – est un bijou de dérision. Une démonstration du genre théâtrale : le comique de caractère, ou comment pousser un rôle jusqu’à la caricature.
Ainsi est annoncé l’univers du spectacle, celui du numérique et d’internet : comment traquer, comment craquer et comment hacker. A peine le spectateur prévenu, une avalanche de références le submerge, à l’instar de ces fils d’actu qu’on défile du bout du doigt, ou de ces onglets qui s’incrustent à peine le nez à la fenêtre d’un navigateur. Sur ce registre, l’homme à tout faire est Mathieu Ehrhard : c’est monsieur Gif, monsieur Pop up, et monsieur Cookie. En à peine cinq minutes en haut débit, le spectateur a le souffle coupé. Bienvenue dans le monde merveilleux du web.
Open source
« Pavillon noir » s’inspire librement du parcours de Aaron Swartz – Ben sur la scène interprété par un quasi-sosie, Jérémy Barbier d’Hiver. Cet américain fervent partisan de la libre culture est pour certains l’inventeur de l’esprit internet, celui du partage et de l’émancipation. A la veille de son procès pour avoir téléchargé illégalement des millions d’articles scientifiques, où l’attendait une peine pouvant aller jusqu’à 35 ans d’emprisonnement, il se suicide à l’âge de 26 ans.
Pour explorer la courte vie de Swartz, mais aussi celles d’Edward Snowden, de Chelsea Manning, de Mercedes Hareffer, et des Anonymous, Os’o/Traverse ont entrepris un travail d’écriture avec un protocole précis qui donne à tous une part du scénario : « c’est la rencontre entre un collectif d’acteurs et un collectif d’auteurs ». Avec les acteurs cités plus haut, Moustafa Benaïbout, Roxane Brumachon, Marion Lambert et Tom Linton rencontrent donc Adrien Cornaggia, Riad Gahmi, Kevin Keiss, Julie Ménard, Pauline Peyrade, Pauline Ribat et Yann Verburgh. Ils forment une sorte d’open source :
« Les auteurs et les acteurs écrivent ensemble le spectacle à venir. Nous sommes tous présents durant l’intégralité des temps de répétitions. […] Le point focal est qu’un auteur puisse écrire pour un acteur. »
Le résultat est un enchainement de situations avec un montage parfois aussi brusque qu’un plantage de logiciel. Même si les auteurs et acteurs se défendent de « se livrer à un patchwork, de rapiéçage », il appartient au spectateur d’être armé de quelques codes pour accomplir les ultimes connexions.
« Pavillon noir » – salle Vauthier au TnBA
Jusqu’au samedi 3 février 2018 (20h sauf le samedi à 19h)
Durée estimée 2h15
Renseignements sur le site du TnBA
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