Itinéraires d’Orient : « Contre les préjugés »
Comment évoquer l’histoire de la guerre du Liban 1975-1990 et l’évolution de la société libanaise à l’ombre des grands conflits de la région ? Comment retracer la révolution égyptienne de 2011 et les espoirs des printemps arabes en Tunisie, en Lybie, en passant par le Yemen ? Comment expliquer les manœuvres du pouvoir turc et ses négociations lucratives sur le dos des réfugiés syriens ? Comment raconter les initiatives et les espoirs de la jeunesse palestinienne après soixante ans de désillusion et face à un avenir toujours incertain ?
Thibault Chapiron, Louis Conrath, Fabio Grieco et Thomas Guichard, quatre étudiants issus d’horizons divers (sciences politiques et cinéma) l’ont fait, après un périple d’un mois à travers 5 pays et 44 entretiens avec des citoyens de 16 villes différentes au cœur du Moyen-Orient. Le résultat est un documentaire d’1 heure et 20 minutes, visible ce vendredi 12 janvier à 15h30 à Sciences Po Bordeaux, « Itinéraires d’Orient ».
« Le documentaire vise à offrir un panorama historico-politique de la région, illustré par des initiatives positives qui viennent contrebalancer le pessimisme entourant la région. »
Cet angle est annoncé d’emblée. Des extraits de reportages sur Daech, des scènes de bombardements, et des discours propagandistes, défilent à l’écran avant que la voie off prenne le contre-pied : « C’est trop souvent comme ça qu’on voit le Moyen-Orient, mais on est loin du compte. » Les étudiants, partis de l’Est de la France, de Thionville exactement, ont à cœur de faire découvrir une civilisation « vaste, diverse et plurielle » et lutter « contre les préjugés » :
« Les troubles du Moyen-Orient sont parfois projetés sur nos sociétés occidentales par un jeu de miroir. Nombreux sont ceux qui déclarent aujourd’hui l’entière communauté musulmane comme incompatible avec nos valeurs républicaines, pour seulement prendre le cas français. De même, le conflit israélopalestinien engendre de nombreuses tensions au sein de notre société. Trop souvent, les discours les plus agressifs sont liés à un manque cruel de connaissance. »
Méticuleusement documenté et habilement synthétisé à l’adresse du grand public, Itinéraires d’Orient veut « fournir un point de vue à travers les yeux de jeunes étudiants, donc un panorama de facto plus accessible que peut l’être celui des experts de la région ». Il relève surtout le défi de « pousser à la discussion pour apaiser les tensions ».
Taste of Cement : Entre béton et conflit armés
D’un côté un pays en destruction, d’un autre un pays en construction. Entre les deux, des travailleurs en exil. « Taste of Cement », actuellement à l’Utopia – 10 et 12 janvier à 18h, le 11 à 20h15 et le 13 à 13h30 –, est un documentaire rare. Introspectif et contemplatif, il raconte la vie d’ouvriers syriens sur le chantier d’un bâtiment à Beyrouth. Son réalisateur, le Syrien Ziad Kalthoum, continue dans la veine de son précédent film « The Immortal Sergeant » à surprendre le spectateur avec son regard sur des sujets invisibles.
Un million de réfugiés syriens se trouvent au Liban fuyant la guerre dans leur pays. Certains d’entre eux, quand le gouvernement libanais leur en octroie le droit, travaillent dans le secteur du bâtiment. Pourtant la main-d’œuvre syrienne existe dans ce pays depuis bien longtemps. Mais par les temps qui courent, celle-ci est considérée autrement. Les protagonistes du film sont contraints de passer leurs journées sur le chantier, et leurs nuits aussi. Il leur est interdit de sortir après 19h.
« Beyrouth est au-dessus de nous 24 heures sur 24. »
De la ville, ils ne connaissent que les vues offertes des interminables étages de cette tour vertigineuse en construction. Une photographie époustouflante, un peu trop, sur un esclavage moderne. Un environnement graphique et un cadrage esthétique qui éloignent parfois le spectateur de la teneur du sujet. Les ouvriers prennent part au film dans un silence absolu. Seul l’un d’eux raconte en voix off l’histoire de son père, jadis travailleur dans le bâtiment à Beyrouth, en parallèle de la sienne.
Aucun nom, aucun personnage, seulement le parcours de ce jeune syrien qui a échappé à la mort après avoir été enseveli sous les ruines de sa maison. Il est toujours hanté par le goût du ciment, d’un côté celui des ruines, d’un autre celui des camions toupie. Entre construction et destruction, les scènes s’alternent avec des analogies insistantes. Face aux regards hagards des ouvriers du béton armé, celui des victimes d’un conflit tout aussi armé.
1 heure 25 minutes de poésie, de pudeur, de silence, de vertige, de sueur et de vent. On en sort le nez bouché et les yeux qui piquent. On se surprend même à racler sa gorge pour cracher la poussière.
Sous le pont : « Un drame beaucoup trop grand »
« Sous le pont » revient au Carré de Saint-Médard-en-Jalles – 18, 19 et 20 janvier à 20h30 –, après le succès de la première présentation dans le Tube sous l’estacade de Cenon en octobre 2016, et une tournée dans une dizaine de villes en France parmi lesquelles Paris, Mulhouse, Avignon…
« Un an plus tard, rien n’a changé, mais quelque chose a muri chez les acteurs. Peut-être la manière qu’ils ont d’habiter leurs rôles. Certains n’étaient pas des professionnels et après l’expérience à Avignon ou à Mulhouse, ils portent leurs personnages plus naturellement aujourd’hui », explique le metteur en scène Amre Sawah.
A travers cette pièce, et l’adaptation du texte de Abdulrahman Khallouf, plusieurs histoires se révèlent et se font écho.
La première est évidemment celle de Jamal, un jeune réfugié syrien qui a traversé « des forêts, des rivières, des collines et des vallées » pour ce retrouver cette nuit-là seul sous un pont. Le récit nourri d’éléments autobiographiques sur les conditions d’accueil d’un réfugié en France dévoile un destin dans lequel s’immiscent l’auteur et le metteur en scène pour décider de son sort.
« Si tu ne comprends pas ton personnage, tu es obligé de le tuer ? »
« Oui, c’est naturel. Les syriens, la mort leur va si bien. »
La deuxième histoire est celle des retrouvailles entre Amre Sawah et Abdulrahman Khallouf. Tous deux Syriens, amis sur les bancs de l’Institut Supérieur d’Art Dramatique de Damas, ils se retrouvent à Bordeaux. Sous le pont est leur deuxième collaboration après Secrets de Familles.
« Cette pièce a pris une dimension au-delà de l’histoire de ce réfugié syrien, ajoute Amre Sawah. Dans notre tournée, elle a été appréciée pour sa performance théâtrale autant que pour son récit. […] Se limiter au thème du réfugié risquait de provoquer seulement des bons sentiments. C’est évidemment le thème sur lequel se pose cette pièce mais l’histoire du drame syrien est beaucoup plus grande qu’une petite production artistique d’une heure. »
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