Ce n’est encore qu’un projet de loi, « relatif à l’orientation et à la réussite des étudiants ». Approuvé par l’Assemblée nationale, il doit maintenant être discuté par le Sénat. Pourtant, sur le terrain, la mise en place de cette réforme des procédures d’orientation et d’admission dans les universités après le bac est déjà en cours.
Son objectif affiché : supprimer le tirage au sort et l’opacité de la plateforme « APB », qui déterminait depuis plusieurs années le sort des bacheliers. Un nouveau site, Parcoursup.fr, a été mis en ligne ce lundi 15 janvier. Avec lui, une nouvelle procédure doit permettre aux universités elles-mêmes de sélectionner les bacheliers à l’entrée des différentes filières en fonction d’ « attendus » propres à chacune d’entre elles.
Moins de tirage au sort, plus de sélection sociale ?
Plutôt discrètes jusqu’alors, les voix contestant cette réforme se font plus fortes depuis quelques jours, notamment à l’Université Bordeaux Montaigne (UBM). Vendredi 12 janvier, son comité technique (une instance consultative qui regroupe des élus syndicaux) a voté à l’unanimité une motion clairement opposée à cette réforme, au nom du « libre accès des bacheliers à l’enseignement supérieur public ».
« Il ne s’agit pas d’améliorer la réussite des étudiant.e.s mais bien d’instaurer une sélection brutale, par le recours à des critères opaques, et pour une bonne part cachés, et une orientation forcée », écrivent encore les syndicats Snesup-FSU, Snasub-FSU et CGT.
Rebelote ce lundi en Commision formation et vie étudiante (CFVU) : la même motion, proposée cette fois par les élus étudiants de l’Unef, a été adoptée.
« La réforme consiste simplement en la mise en place de la sélection systématique à l’université. C’est opposé à l’ascension sociale, et au droit à la poursuite des études pour tous les bacheliers », affirme Théodore West, élu Unef.
Cet automne, un « comité de mobilisation » s’est formé sur le campus pour contester ce projet. Il rassemble des personnels de l’université (dont les enseignants) et des étudiants.
« Cette réforme porte atteinte à l’aspect public de l’université, qui ne sera plus accessible à tous. Cela ne va faire qu’aggraver les inégalités sociales », affirme Gwenaëlle Staub, étudiante en cinéma à l’UBM et membre du comité.
Outre ce point idéologique fort, d’autres éléments du projet de loi cristallisent l’opposition des étudiants : la fin du système de compensation entre les semestres, l’augmentation des frais d’inscription (90 € en plus à la rentrée prochaine, selon eux), et la fin du « droit à l’erreur », la possibilité de changer de filière en cours d’études.
La charrue avant les bœufs
Les personnels de l’université, eux, se montrent d’abord dubitatifs devant le « flou juridique dans lequel on [leur] demande de travailler ».
« La loi n’est toujours pas votée, nous ignorons le cadre réglementaire, les décrets, qui doivent guider la mise en œuvre de la loi, et qui auront des incidences sur le financement des formations », insiste Christophe Pébarthe, maitre de conférence en histoire à l’UBM et membre du Snesup-FSU.
« C’est le monde à l’envers, on nous demande de mettre en place une réforme avant qu’elle ne soit une loi », renchérit Marie Duret-Pujol, maitresse de conférence d’études théâtrales et également membre du Snesup-FSU et du comité de mobilisation.
Le tout dans un contexte budgétaire déjà serré pour les universités.La question des attendus suscite également beaucoup de réactions.
« Pour les langues et lettres, on demande aux futurs étudiants d’avoir fait des voyages : tout le monde comprend bien qu’on vise ici une partie de la population et pas toute », note par exemple Christophe Pébarthe.
Plus fondamentalement, les syndicats étudiants et universitaires contestent la logique de la réforme. « Le manque de place est aujourd’hui le prétexte à un remodelage de l’ensemble de système éducatif, du lycée à l’université, qui vise d’autres objectfs : mettre en place le système éducatif de la société libérale », écrivent-ils dans un tract commun.
Ce mardi matin, la discussion s’est poursuivie au sein du Conseil d’administration. La même motion a été une nouvelle fois votée, ainsi qu’une seconde, proposée par la direction de l’université :
« Nous souhaitions faire part de nos inquiétudes sur les conséquences que cette loi pourrait avoir sur les filières en tension : une inquiétude budgétaire de ne pas avoir les capacités de répondre aux attentes des étudiants », explique à Rue89 Bordeaux Hélène Velasco-Graciet, présidente de l’UBM.
La présidente ne veut pas sélectionner
Alors que des motions du même type ont été votées dans de nombreuses autres universités en France, la ministre de l’enseignement supérieur Frédérique Vidal s’est lancée dans une tournée pour rencontrer les président.e.s d’université. Ce mardi, elle était ainsi sur le campus de Talence pour rencontrer les équipes de l’UBM et de l’Université de Bordeaux (UB). Elle a été reçue par un comité d’accueil d’une trentaine d’opposants à la réforme.
À l’issue de ces discussions, elle s’est voulue rassurante, parlant d’ « inquiétudes techniques » compréhensibles, et promettant 1 milliard d’euros pour accompagner cette réforme.
Hélène Velasco-Graciet, elle, reste prudente :
« Tout cela reste à préciser. Nous attendons de voir comment cet argent va être distribué. Notre inquiétude concerne d’abord les boursiers, qui ont un taux d’échec important. Nous voulons les aider le mieux possible, afin qu’ils n’aient pas à travailler en même temps que leurs études. »
La présidente espère par ailleurs que l’UBM, chargée in fine de donner une réponse favorable ou non pour chaque demande de bachelier, pourra contourner la procédure de sélection. D’abord en passant outre les « attendus » :
« Les attendus nationaux [qui ont été fixés par le ministère pour chaque filière, NDLR] sont assez dissuasifs. Nous y avons ajouté peu d’attendus locaux, en essayant plutôt d’expliquer en quoi consistent les formations, précise-t-elle. Par exemple, les attendus nationaux demandent de connaître le grec et le latin pour s’inscrire en lettres classiques, or non, il n’y en a pas besoin. »
Les lycéens entrent en scène
Quant aux capacités d’accueil pour la rentrée prochaine, qui ont été votées par le CA et envoyées au ministère, là encore la présidente se veut rassurante.
« Auparavant, ces capacités étaient négociées avec le rectorat et modulées en fonction des demandes. Maintenant elles doivent être votées, mais nous espérons que nous pourrons tout de même les augmenter en fonction des demandes, si besoin. »
Pas sûr que cette analyse convainque les opposants à la sélection.
« Jusqu’à présent, pour nos collègues, c’était comme une question philosophique autour de la sélection. Maintenant on arrive dans le concret, ils prennent conscience de la réalité du projet, et leurs avis se cristallisent », raconte Christophe Pébarthe, du Snesup-FSU.
Du côté des étudiants, on espère également une montée en puissance de la mobilisation. Jeudi, ils comptent profiter de la journée portes-ouvertes sur le campus pour sensibiliser les lycéens (une assemblée générale est prévue à 12h30 sur le parvis de l’université). Un « comité de mobilisation interlycéen » a également été créé.
« Nous étions sous-informés, même nos profs n’étaient pas au courant de la réforme, témoigne Petra, en terminale au lycée Victor Louis de Talence. Alors nous nous réunissons pour créer le débat d’abord, puis organiser la mobilisation. Quand on parle de sélection sociale, les lycéens sont réceptifs ».
Les semaines suivantes diront s’ils sont aussi prêts à en découdre.
Chargement des commentaires…