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Squat et centre social autogéré, le Squid secoue les autorités

Pendant que la mairie de Paris compte ses sans-abri, des particuliers ouvrent les portes de bâtiments publics pour les héberger et les protéger du froid. Militants, SDF, squatteurs… Ils sont plusieurs à Bordeaux à dénoncer l’inertie des autorités dans ce domaine et à préférer l’action aux intentions, relayant associations et pouvoirs publics parfois dépassés par les situations qu’ils rencontrent. Exemple du Squid, un squat ouvert début décembre à Bordeaux, mais dont le tribunal pourrait prononcer l’expulsion le 2 mars.

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Squat et centre social autogéré, le Squid secoue les autorités

Depuis début décembre, il y a du mouvement autour de la porte bleue de la rue Charles-Domercq, près de la gare à Bordeaux, un bâtiment de trois niveaux et 500 m2 environ qui appartient à la métropole. Quelques personnes sont arrivées avec des valises, des caddys, des chiens… Un tableau noir est apparu devant la porte bleue sur lequel il est écrit à la craie « Tous les jours distribution pain, viennoiserie, fruits et légumes, thé, café » et indiqué les activités du jour. Le Squid CSA (pour centre social autogéré) est né.

Ce nouveau squat ouvert dans la métropole bordelaise s’ajoute à la liste des 60 autres recensés par Médecins du Monde sur ce territoire. Après deux mois d’ouverture, le Squid a déjà vu passer beaucoup de monde : un voisin pour boire un café, des SDF qui peuvent prendre une douche, des demandeurs d’asile hébergés pour une nuit ou deux, des mères de famille venues se faire masser, des personnes isolées qui viennent discuter ou chercher un morceau de pain, des personnes qui proposent d’animer un atelier Mandala ou cuisine africaine, une élue ou encore des mineurs isolés à la rue.

« Une même famille »

« Tout le monde est bienvenu », explique Juliette qui vit sur place avec 19 autres personnes. Le CSA affiche partage, spontanéité, autonomie, politique, culture, liberté, alternative et il est mis à disposition – et non pas géré – par un groupe de militants de gauche de Bordeaux et d’ailleurs, Zadistes, squatteurs… « Une même famille », résume un habitant.

Après des travaux de maçonnerie, de plomberie, d’électricité, des démarches pour récupérer de l’alimentation chez les commerçants… Le Squid (calamar, en anglais) a commencé à fonctionner.

« Généralement, on tient 12 mois sur un même lieu, explique Shirley qui connaît le fonctionnement par cœur. On repère un bâtiment vide, on trouve les clés, on est menacé d’expulsion, on a une audience au tribunal, on obtient des délais… ou pas. »

Pour le Squid, l’audience au tribunal administratif est prévue le 2 mars. Ses occupants se disent prêts à remballer leurs affaires… et à recommencer ailleurs.

« On est investi à 100 %, reconnaît Juliette qui a dû fermer un squat destiné à accueillir des femmes isolées en 48 heures, en Seine-Saint-Denis, avant de venir à Bordeaux. Je n’ai jamais autant bossé que depuis que je milite ! »

Au Squid, ils ont remis l’eau courante, fait tomber un mur pour créer une grande salle commune, nettoyé le jardin, mis en place un planning d’activités, des commissions, lancé une pétition (signée par plus de 1400 personnes), créé un site internet, ont installé une salle informatique, envisagent des permanences juridiques et médicales et ont aménagé une chambre pour de l’hébergement d’urgence… Pour peut-être devoir finalement quitter les lieux. « On apprend à s’installer plus vite », reconnaît Lolo, un autre habitant.

20 000 logements vides dans la métropole

« On n’a pas la légalité, mais on a la légitimité », estime Shirley.

Une légitimité qu’ils ne sont pas les seuls à mettre en avant et qui, selon les militants et le monde associatif, justifie d’outrepasser la loi.

« C’est un bâtiment vide de la métropole qui va être détruit en 2021 (dans le cadre du projet Euratlantique, NDLR), c’est du gâchis », dénonce Shirley.

En 2014, l’Insee recensait près de 20 000 logements vides dans la métropole. A l’heure de l’arrivée massive de réfugiés et demandeurs d’asile et de la multiplication des situations de précarité et des grands froids, difficile d’opposer un argument.  Si le Squid se veut être un « gros projet » pour ceux qui l’accompagnent, il appartient à un réseau de squats sociaux. « Des relais » pour Médecins du Monde :

« Face aux défaillances de l’Etat, heureusement qu’ils existent », estime Aude Saldana-Cazenave, coordinatrice régionale de Médecins du Monde.

La Ruche à Bordeaux, la Vida Loca à Cestas, les locaux de Cap métiers à Pessac, l’entreprise les Piscines Occitanes à la Bastide (qui, depuis un incendie est surtout devenue un bidonville en plein Bordeaux) : ces lieux accueillent respectivement des mineurs isolés, des familles de réfugiés, des sans-papiers, des Sahraouis (ces derniers vivent depuis trois ans dans des conditions d’hygiène préoccupantes, dénoncent les associations qui ont lancé une cagnotte sur internet pour effectuer des travaux). Ils ont été ouverts par des étudiants, des militants, des exclus, des particuliers, des associations… Ils se connaissent et ont créé un réseau d’entraide informel.

« On a tout à apprendre des squatteurs »

Indirectement, Alexandra Siarri, adjointe au maire de Bordeaux en charge de la cohésion sociale et territoriale, reconnaît leur démarche sociale et leur rôle, mais insiste sur l’action de la Ville :

« On voit s’ils ont accès, à l’eau, à la nourriture… Et on attend de connaître le public pour apporter des réponses aux gens avant de demander l’évacuation. »

Pour le Squid, en l’occurrence, l’expulsion a été demandée dès leur installation avec une première audience initialement fixée au 9 février.

« Ça fait deux ans que la situation se dégrade, reconnaît Aude Saldana-Cazenave, la priorité des personnes que nous voyons n’est plus la santé, mais l’accès aux droits et l’hébergement. C’est un déni de l’État et les squats pallient ses manquements. »

Son équipe parvient aujourd’hui à suivre 20 squats, saluant le travail ainsi réalisé :

« Il y a un changement de posture chez les personnes qui ouvrent les squats, ils savent gérer les situations difficiles, les publics fragiles, ils comprennent le mécanisme d’isolement. On a tout à apprendre de leur façon de faire, de les impliquer. »

Face à ce constat, Alex, un habitant du Squid qui s’est retrouvé à la rue après avoir perdu son emploi, résume simplement :

« Des gens viennent frapper à notre porte, on les aide, c’est tout. »

Différentes structures sociales n’hésitent pas à s’appuyer sur ces lieux.

« Même le commissariat nous a envoyé une personne à héberger la semaine dernière », témoigne Juliette.

Difficile dialogue avec les pouvoirs publics

Tout en précisant que la mairie n’incite pas les squatteurs – « Occuper un bien dont on n’est pas propriétaire, c’est un problème », dit-elle  – Alexandra Siarri explique que la Ville tolère certaines situations comme celle des Sahraouis installés rive droite depuis trois ans dans une ancienne entreprise. « On a passé un accord avec les familles », précise-t-elle, à défaut de proposer des solutions pérennes. L’ajointe rappelle également l’expérience du squat de la place André-Meunier transformé en 2011 en bagagerie pour les sans abris et aujourd’hui géré par le centre d’accueil d’information et d’orientation (CAIO).

« Nous faisons le maximum », estimait de son côté Alain Juppé, maire de Bordeaux et président de la métropole, lors du conseil communautaire vendredi dernier. Pour répondre à ce phénomène de squats, la métropole va expérimenter des espaces temporaires d’intégration à Bègles et Mérignac, qui accueilleront des familles Roms avec un accompagnement permanent.

De leur côté, les squatteurs aimeraient juste qu’on les laisse tranquilles. Au Squid, ils se réfèrent à une action récente du maire de Grenoble, qui signe des conventions d’occupation temporaire de deux ans maximum avec des associations pour héberger des SDF dans des bâtiments vides, préemptés par la mairie et voués à la démolition.

Si une décision de ce type n’est pas d’actualité à Bordeaux, certains pouvoirs publics se montrent à l’écoute : le conseil régional a autorisé aux étudiants de La Ruche de rester jusqu’en juillet, le tribunal de Bordeaux a autorisé des squatteurs à occuper une maison de Pessac, propriété de Bordeaux Métropole, jusqu’en mars 2019… Une manière de reconnaître que l’État, en charge de la question des sans abri, n’a pas mieux à proposer.

Manifestation des exclus du 5 février à Bordeaux (photo OD/Rue89 Bordeaux)

Le problème des mineurs isolés

Les squatteurs, eux, ne peuvent s’empêcher d’exprimer leur méfiance vis-à-vis des pouvoirs publics : « On veut éviter la récupération », estime une habitante du Squid. A la fois amusée, attristée et blasée, Juliette qui fait la navette entre le Squid et Notre-Dame-des-Landes estime que « la situation est dramatique » :

« De nouveaux mineurs se présentent au Squid chaque jour. Début février, 20 ados se sont présentés en une semaine et nous ne pouvons malheureusement pas les héberger, mais nous ne pouvons humainement pas laisser ces enfants dehors… Ils ont entre 10 et 17 ans et viennent du Maroc, de la Guinée Conakry. Du côté du service d’accueil et d’évaluation des mineurs non-accompagnés, les délais d’attente avant une prise en charge se comptent en mois. Et le 115 et le département ne les prennent pas en charge. »

Par la voix d’Emmanuelle Ajon, vice-présidente chargée de la protection de l’enfance, le département de Gironde reconnaît qu’il peine à gérer cette arrivée massive de mineurs : « Nous n’arrivons pas à suivre le flux. » Ainsi, le département dispose de 140 places pour les mineurs isolés. Mais en 2016, 340 ont passé une évaluation de minorité, et 900 en 2017…

 « Parfois, ces jeunes sont majeurs ou ont usurpé une identité, mais les travailleurs sociaux peuvent se tromper dans un sens comme dans l’autre. Nous n’avons aucune certitude. Les passeurs vendent cela comme combine… »

Pour autant, le département ne prévoit pas d’investir les squats pour travailler sur site. « Si on y va, on va nous accuser de fliquer », estime Emmanuelle Ajon. Mais elle les connaît. « Et ils nous connaissent aussi : La Ruche nous a déjà amené des jeunes. » Selon l’élue, tous ne souhaitent cependant pas avoir affaire aux autorités :

« Certains ont peut-être déjà été évalués et ont fait appel, d’autres sont peut-être venus à un moment où il n’y avait pas de place, d’autres encore ne se manifestent pas par peur ou manque d’information… »

Elle réaffirme cependant que si des mineurs se présentent au département, ils seront hébergés. « L’Etat peut intervenir à titre exceptionnel, ajoute Emmanuelle Ajon, si nous étions dépassés, nous le solliciterions. » Le moment est peut-être venu…


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