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Du train à la LGV, histoires de rail en Nouvelle-Aquitaine

L’arrivée de la LGV Paris-Bordeaux le 1er juillet 2017 a été l’occasion de plusieurs publications. Si certaines ont fait un point archéologique du chantier et historique du chemin de fer, d’autres évoquent de « nouveaux paradigmes économiques », voire même une « révolution » pour la croissance régionale. L’historien Hubert Bonin propose ses notes de lecture.

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Du train à la LGV, histoires de rail en Nouvelle-Aquitaine

Un gros semestre après l’inauguration de la ligne à grand vitesse Tours-Bordeaux en juillet 2017, on commence à mieux percevoir la « fièvre » qui a entouré cet événement ! Certes, le premier TGV a relié Paris et Lyon ; mais cette percée de la grande vitesse dans la Nouvelle-Aquitaine semble avoir fini de convaincre ses habitants qu’ils appartenaient enfin au cœur de décideurs d’une France jacobine trop centralisatrice – et les grands réseaux ferroviaires convergeant vers Paris depuis le milieu du XIXe siècle en étaient un symbole.

Désormais, les échanges peuvent être quotidiens, on ressent une vraie proximité ; « monter à Paris » n’est plus une épreuve : l’auteur de ces lignes se rappelle ses voyages en train de nuit vers la gare Austerlitz à la fin des années 1980 pour un rendez-vous à 9h le lendemain… Si sa nouvelle dénomination a fait sourire, TGV Inoui confirme la perception d’un tel choc dans le rythme de vie ! La rénovation de cet axe réunit donc à la fois fierté technologique et stupéfaction de se retrouver aussi près de la capitale.

Un chantier à l’étude

Le mouvement brownien qui anime le monde de l’entreprise, celui de l’université, et, de plus en plus, celui du tourisme en est intensifié. On parlait jadis de la décentralisation dans le cadre de l’aménagement du territoire. La nouvelle géographie est plutôt une sorte d’intégration de proximité, comme si Euratlantique n’était guère plus éloigné du cœur de Paris que Pontoise ou Melun-Sénart. On peut être Parisien et provincial en même temps !

On comprend qu’une telle accélération du temps ait suscité des réflexions académiques et journalistiques. On a voulu se rendre compte des sauts de l’Histoire, en replaçant cet événement dans la profondeur du temps. L’on a désiré ensuite mesurer comment le déploiement de la troisième révolution industrielle dans l’agglomération girondine va être stimulé par la rupture suscitée par l’osmose interrégionale entre les capacités de réflexion et de décision.

Aussi les recherches sur l’histoire ferroviaire ont-elles progressé de part et d’autre de cette ouverture. La mise en œuvre de ce chantier a suscité plusieurs programmes à la fois historiens et économistes, qui ont permis de mieux comprendre les enjeux qui se sont posés aux responsables des transports, de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme à l’époque contemporaine.

Archéologie et histoire

Paradoxalement, c’est même bien en amont que la LGV a suscité des recherches, puisque des fouilles archéologiques ont été effectuées en urgence tout au long du parcours prévu – d’où une exposition au Musée d’Aquitaine et son catalogue. Certes, l’on n’a pas découvert une nouvelle Saintes, mais les résultats obtenus par les experts permettent de connaître plus précisément les modes de vie et d’activité à l’époque préhistorique, antique et médiévale dans des territoires ruraux de l’Ouest atlantique.

Organisation des villages, structuration de la vie courante (gestion de l’eau, bâtiments), croyances (avec les nécropoles) et enfin vie économique, par le biais de la reconstitution des flux commerciaux (d’où le chapitre passionnant : « Importations et échanges »), de modes de production agricole, artisanale et d’élevage, grâce aux vestiges et objets découverts et analysés : ce sont autant de pistes suivies dans l’ouvrage – avant une analyse site par site.

Un plongeon vers l’avant débouche sur une (brève) histoire de l’émergence et de la consolidation de Bordeaux en tant que pôle ferroviaire, grâce au catalogue d’une exposition tenue aux Archives de Bordeaux Métropole, à La Bastide. L’historien spécialiste Christophe Bouneau synthétise avec finesse les projets de réseaux, la mise en œuvre des programmes des compagnies du Midi et du Paris-Orléans, complétés par les réseaux d’intérêt local et celui de l’État vers Nantes.

L’urbanisation s’adapte à l’ouverture de la gare Saint-Jean, comme le retrace Chantal Callais dans deux chapitres d’histoire du quartier qui voit Bordeaux s’étendre plus encore vers l’amont, en mêlant activités industrielles et tertiaires et habitat, populaire et petit-bourgeois.

C’est que Christophe Bouneau analyse bien les retombées du rail sur la croissance industrielle et logistique, avec des ateliers dédiés au ferroviaire, mais aussi le développement d’entreprises attirées par un accès aisé aux réseaux, tant près de la gare qu’à La Bastide, où se structure une vaste toile de voies de triage et d’expédition. Le livret consacré à l’histoire des Ateliers ferroviaires de Bordeaux complète d’ailleurs utilement cet aspect technique, avec une reconstitution des modes de travail et de la condition des travailleurs de maintenance et de fabrication – et certains pans des bâtiments seront préservés dans l’aménagement prévu du quartier de Saint-Jean.

Enjeux économiques

Au-delà des catalogues d’expositions, un ouvrage académique procure « la science » dans toute sa profondeur et diversité. En effet, les 75 ans de l’inauguration de la ligne électrifiée entre Paris et Bordeaux en 1938 a fourni l’occasion d’un colloque (aux Archives départementales de la Gironde) et d’un ouvrage dense et collectif, qui reconstitue l’ensemble de l’histoire économique, technique, commerciale, voire politique même, de l’axe ferroviaire Nord-Sud.

Des historiens, des ingénieurs, des responsables d’entreprises parties prenantes du programme Lisea de la LGV, confrontent leurs apports d’érudits et d’experts, en un ouvrage foisonnant et tout de même accessible au lecteur vaillant et curieux. On y comprend les enjeux économiques, financiers et commerciaux, les défis techniques, les processus d’innovation (notamment à propos des locomotives ou de l’énergie), et les références bibliographiques y sont riches, notamment à propos des nombreux textes publiés par Christophe Bouneau sur l’histoire ferroviaire, régionale ou nationale.

Le savoir historien et érudit est mobilisé également par le « beau livre » édité précisément pour l’inauguration de la lgv. Hubert Bonin y médite d’abord sur l’histoire de Bordeaux en tant que nœud de mobilités multimodales, en liaison avec le développement économique local et régional, avec les flux du tourisme, et en confrontation ou en complémentarité avec les autres modes de transport que le rail.

François-Xavier Point y revient sur l’histoire de l’industrie ferroviaire. Puis les experts en communication livrent des études de cas richement illustrées et présentées mais toujours finement analytiques ; elles aident à appréhender les mutations de la gare Saint-Jean, des concepts qui encadrent désormais un tel nœud d’échanges humains, devenu aussi un cadre de vie quotidienne et de consommation tout autant qu’un pôle de services de transports (multimodaux), sans négliger tout de même la culture du service public.

Retombées et mutations

Sud Ouest ne pouvait manquer l’occasion de confirmer son art de la bonne vulgarisation et a publié un numéro hors-série en parallèle à l’ouverture de la ligne Océane-Lisea. L’évolution du chantier de la LGV y est saisie comme une aventure événementielle, avec ses enjeux techniques en particulier. Mais les journalistes commencent à méditer sur les retombées de ce TGV accéléré (devenu Oui-Sncf…) sur l’économie girondine notamment, mais aussi sur les modes de vie des professionnels, des touristes, étudiants ou familles (dans les deux sens).

Cette piste de réflexion est suivie en profondeur par un ancien responsable d’Euratlantique et l’ancien journaliste économique de Sud Ouest, passé à la Région, Jean-Bernard Gilles : ils soupèsent, thème par thème, dans le cadre d’une sorte de philosophie de la vie régionale, comment la LGV contribue aux mutations de l’économie et des modes d’organisation des institutions et entreprises.

Ils ne sombrent pas pour autant dans le sensationnalisme car ils s’essayent à méditer sur le long terme, des années 1990 aux années 2020. Le nouveau positionnement du tourisme girondin est ainsi scruté, tandis que la LGV sert de symbole aux révolutions de l’innovation vécues par la métropole, au niveau de la recherche et développement, de l’aérospatial, et de levier aux pratiques d’une génération mobilise géographiquement et intellectuellement (économie créative et numérique). Les effets sur l’urbanisme (Euratlantique) ne manquent pas d’être évalués.

Parler de « résurrection économique » est certainement excessif, mais le livre se veut une sorte de plaidoyer pour la stimulation de la compétitivité de la région dans son ensemble, avec des ultimes chapitres quelque peu enthousiastes même, en une sorte de « fièvre » du progrès – ce qui nous ramène en fait aux croyances du XIXe siècle quand la révolution ferroviaire devait servir de locomotive à la première révolution industrielle dans une cité-port se diversifiant du négoce maritime à une économie productive structurée.


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