Que se passe-t-il au CAPC ? Le journal Sud Ouest a révélé ce mercredi que María Inés Rodríguez quittera la direction du musée d’art contemporain. L’article prend de court la mairie et, paraît-il, la directrice, qui n’était pas « au courant de tout », et le personnel « bouleversé par les nouvelles ». Communication de crise dans la foulée, Fabien Robert a invité les journalistes à un point presse pour mettre les choses au clair.
Mais avant ça, on s’est dit qu’il fallait voir du côté des intéressés. Peine perdue. Interrogée par Rue89 Bordeaux, la directrice brandit son devoir de réserve. Le personnel ? Motus et bouche cousu. Ne restait plus que le point presse. En vingt minutes, il était plié. En sortant, on s’est demandé si on avait vraiment appris plus que ce que révélait le quotidien régional. Mais en relisant les notes, une idée saute aux yeux.
L’art contemporain est mort, vive son musée
« Est-ce que l’art contemporain existe encore ? » Fabien Robert, adjoint à la culture, cite cette question posée par une personnalité de l’art que l’élu n’a pas voulu nommer. Mais toujours est-il que la question est posée et devient sienne*.
Si l’on considère que le contemporain est une notion temporelle, la réponse est oui, puisque chaque œuvre créée en son époque est contemporaine. S’il est question de définition d’un courant, la réponse est oui aussi, puisque « l’art contemporain désigne – de façon générale et globale – l’ensemble des œuvres produites depuis 1945 à nos jours », dixit Wikipédia. Autrement dit, la qualification du courant ne dépend plus d’une temporalité mais d’une définition officielle, sinon l’art moderne ne serait plus moderne depuis bien longtemps.
« Nous avons besoin de nous questionner sur ce qu’est un musée d’art contemporain. La ville change. Il y a la Cité du vin, le Musée de la mer et de la marine qui arrive, le Frac à la Meca en 2019 avec un espace d’exposition, Pola qui s’installe en bordure de Garonne avec des propositions d’expositions aussi, des fondations privées qui s’installent ou qui s’installeront… On ne peut pas continuer à faire comme avant. C’est ce contexte de transformation de la ville qui nous emmène à éviter que le contraste devienne saisissant. Il faut que le CAPC devienne une vitrine, dans le prolongement de ce qui se passe dans la ville. »
Pas la peine de chercher bien loin. Se questionner sur ce qu’est un musée d’art contemporain – « une vitrine » –, c’est se questionner sur ce qu’est un musée tout court. Wikipédia (encore) le définit ainsi : « Un musée est un lieu dans lequel sont collectés, conservés et exposés des objets dans un souci d’enseignement et de culture. » Autrement dit, c’en est fini de la création et des installations in situ. On va donner au CAPC, musée d’art contemporain, sa vrai fonction de musée.
Épater les galeries
Oui, mais « la ville change ». Et les définitions de ses structures aussi. Des institutions se développent avec pour mission de promouvoir la création actuelle. « Le Frac à la Meca » et « Pola en bordure de Garonne », deux structures qui voient leurs locaux s’améliorer et gagner en capacité.
« La CAPC a plusieurs atouts, détaille Fabien Robert. Le premier, c’est l’équipe : 50 personnes fières d’y travailler, et parfois nostalgiques. Un autre atout est le lieu, qui figure aussi dans les enjeux et les difficultés : travailler dans cette nef, c’est complexe. Il n’est pas évident de l’investir. Il y a aussi l’atout du budget : 3 millions d’euros en prévisionnel auxquels s’ajoutent 500000 euros de mécénat. C’est le budget le plus important des musées de la ville. Et enfin, la collection est un atout, un patrimoine extraordinaire qui mérite d’être exploité. »
A ne pas douter, la collection est pour sûr un trésor en soi. Et, il est temps de l’exploiter. Certes, elle est dévoilée par petits ensembles jusqu’en octobre 2019 sous le titre de « [sic] œuvres de la Collection du CAPC », mais il semble qu’elle mérite mieux. Les Mario Merz, Jannis Kounellis, Richard Serra, Claude Viallat, Daniel Buren, Annette Messager, Christian Boltanski… et bien d’autres, une fois sortis des réserves, le blues du personnel, « nostalgique », est réglé. La question d’investir la nef n’est plus un boulet, puisqu’il faut l’admettre, des miroirs à la Ben et des murs de fer à la Serra, on n’en fait plus.
Ainsi, le « climat social qui n’est pas apaisé au CAPC », selon Fabien Robert, et « les questions de rayonnement » sont réglés d’une pierre deux coups. L’adjoint à la culture qui entend le CAPC comme « une espèce de manteau de nostalgie, en permanence, dans la bouche de certaines personnes » pourrait trouver dans cette formule de quoi les satisfaire. Même si on peut imaginer que quelques galeries (ce n’est pas ce qui manque au musée) continueraient d’accueillir des expositions temporaires.
Partenariats privés-privés
Fabien Robert ne s’en cache pas, le privé dans la culture à Bordeaux est adopté. S’il donne l’exemple du Musée de la mer et de la marine, il faut y ajouter la Fondation Bernard-Magrez. Ça n’a échappé à personne que le premier, pour sa première exposition, se paye quarante Claude Monet, de quoi faire pâlir le musée des Beaux-Arts de la ville, aux moyens bien plus modestes. Bernard Magrez n’est pas en reste. L’homme d’affaire amateur de street art se paye le luxe d’expositions de JR ou de Jone One, des pointures.
« En 2018, on livre, la ville et les partenaires privés, huit lieux culturels, précise Fabien Robert. On voit bien que l’offre se transforme, évolue. Ce ne sont pas que des murs. […] Avec Alain Juppé, on a décidé de réfléchir aux dix ou quinze années culturelles à venir dans Bordeaux. »
Avec autant de nouveaux lieux, sans oublier la Caisse d’Épargne de Mériadeck qui pourrait réserver elle aussi des surprises, la Ville compte ainsi laisser un peu de place – a-t-elle le choix ? – aux mécènes privés. Ceux-ci pourraient relever le défi d’organiser des expositions thématiques et faire venir des artistes que ni la Ville, ni ses musées, sont en mesure d’inviter.
« Comment on positionne notre musée par rapport à son environnement ? », se demande Fabien Robert. Ainsi le CAPC n’aura plus à se soucier d’inviter des artistes, il laissera faire. Il n’aura plus à prendre le risque d’expositions qui ne trouvent pas leur public comme celle de Naufus Ramírez-Figueroa ou, moyennement réussies, celle de Alejandro Jodorowsky et de Judy Chicago… même s’il faut souligner les passages prometteurs de Leonor Antunes (exposée à Venise) et de Franz Erhard Walther (Lion d’or à Venise), et l’excellente rétrospective de Beatriz González.
« Depuis plusieurs années, nous nous posons des questions sur le CAPC, que ce soit sur les artistes ou les publics…, lâche Fabien Robert. Ce n’est pas très simple, ce n’est pas très agréable parfois de se poser ces questions. »
Transformer le CAPC en un musée pour de vrai résoudrait bien des questions. Il ne s’agit pas évidement de fermer le CAPC rappelle l’élu – « On ne va pas en faire un marché, on ne va pas y faire des kermesses… » – qui se veut rassurant :
« On ne renonce pas aux arts plastiques. On va essayer d’en faire un lieu public d’art contemporain. »
Tout est dans le « lieu public », surtout à la veille de l’échéance 2020. A noter que l’actuel maire, Alain Juppé, présidera un comité de pilotage qui « réunira des artistes, des commissaires, des anciens directeurs pour partager leur expérience », et pour réfléchir à l’avenir du CAPC avant de procéder à un « éventuel recrutement » pour sa direction.
* [Mise à jour 9 mars – 13 h] Fabien Robert apporte cependant la précision, à Rue89 Bordeaux et à ses lecteurs, qu’il n’est pas l’auteur de cette question.
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