« J’ai l’honneur de vous annoncer que j’ai remporté le 2e prix national de la Fondation du patrimoine pour l’agrobiodiversité animale. » Christophe Guénon a posté la nouvelle sur sa page facebook le 28 février. Ce jeune éleveur bordelais peut être fier, son travail pour la sauvegarde de la race de vache bordelaise est officiellement couronné.
Cela fait plus de cinq ans qu’il a repris l’exploitation de ses parents à Léognan pour y faire du maraîchage bio et élever un troupeau d’une trentaine de têtes qui gambadent sur des prairies Natura 2000 des berges de la Garonne. La deuxième place pour la sixième édition du Prix national pour l’agrobiodiversité animale discerné par la Fondation du patrimoine et l’entreprise de santé animale Ceva, est une réelle consécration.
80% de races menacées
Nous avions rencontré Christophe Guénon à plusieurs reprises. Quelques jours plutôt, il évoquait son travail dans les détails et défendait l’élevage pour « l’entretien des bords de Garonne » et « le maintien de la biodiversité grâce à l’écopâture et au pastoralisme d’une part, et pour la sauvegarde de l’espèce d’autre part.
« Il reste 150 femelles de la race bordelaise à peine. C’est une vache habituée à son terroir, à ses zones humides en bords de Garonne. Chez moi toutes les femelles ne sont pas tuées, elles sont gardées pour sauver la race. Une partie des mâles est sélectionnée pour éviter la consanguinité. »
Selon l’éleveur qui participe à l’activité du Conservatoire des races d’Aquitaine, 40 races d’élevage sont en voie d’extinction dans la région et 80% des animaux d’élevages en France sont des races menacées, « parce qu’on a fait une sélection pour garder deux trois races rentables pour la production intensive », une système banni par cet éleveur qui se dit « paysan » et non pas « exploitant ».
Ces chiffres sont confirmés par l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) : « Sur l’ensemble des 179 races locales recensées, au sein de dix espèces, 80% sont considérées comme menacées d’abandon pour l’agriculture. » Concernant les bovins, 21 races sur 29 seraient menacées.
La Bordelaise en chaussettes
Selon les ethnologues Patricia Pellegrini and Marie-Dominique Ribereau-Gayon, en 1859 apparaît la première référence à la vache bordelaise, sous le nom de « Queen ». Cette race laitière, qui a approvisionné Bordeaux en lait frais et beurre, serait issue des bêtes venues de Hollande. Sa robe est pie, mouchetée blanc et noir, ce qui fait la spécificité de la Bordelaise.
« Elle a la tête et le cou entièrement noirs, explique Christophe Guénon dans cette vidéo tournée par Rue89 Bordeaux. Elle a aussi les pattes noires, on appelle ça les chaussettes. Les flancs sont en beyrette, ou en pigaillé c’est-à-dire moucheté comme les dalmatiens. »
Dès le XIXe siècle, les grands vignobles du Médoc et des Graves en possédaient des troupeaux pour l’usage de la fumure dans les vignes. En juillet 2012, sous l’impulsion du Conservatoire des Races d’Aquitaine, la bordelaise est revenue sur le site du Château Giscours, qui possédait vers 1870 un des meilleurs troupeaux.
En 1868, la Bordelaise apparaît au concours de Bordeaux, avant d’y revenir en 1876 après que le cheptel ait été victime d’une épizootie de péripneumonie, épisode qui a joué ensuite un rôle moteur dans la constitution de la race bordelaise. La vache participe ensuite à plusieurs concours agricoles régionaux et une carte postale atteste d’un 2e prix (déjà !) décroché au Concours général agricole de Paris en 1933.
Le retour
Pratiquement disparue dans les années 1970, la bordelaise est abandonnée, comme de nombreuses autres races, pour d’autres beaucoup plus productives et plus rentables. Dans les années 1980, le Conservatoire des races d’Aquitaine recherche les dernières femelles reproductrices.
En 1990, un programme de relance est engagé à partir d’une quinzaine de vaches beyrettes auxquelles s’ajouteront de nouvelles vaches repérées, dont certaines pigaillées. Sans parvenir à retrouver une race totalement pure, les efforts payent et l’effectif de la bordelaise s’élève en 2012 à 90 femelles, contre 31 en 2002.
On recense aujourd’hui quelques 200 têtes. On les retrouve essentiellement en Gironde dans des petites structures, un peu moins dans le Pyrénées-Atlantiques et encore moins dans les Landes et le Lot-et-Garonne. La vache bordelaise est élevée aussi bien pour la production laitière qu’allaitante, notamment pour la production de veaux blancs ou rosés élevés sous la mère. Sa commercialisation est en vente directe.
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