La Nouvelle-Aquitaine n’a pas d’ours blanc. Alors que la disparition du mammifère polaire contribue à alerter le grand public, un grand nombre d’espèces vivantes sont pourtant aussi directement menacées dans la région par l’imminence du changement climatique, dont les effets risquent d’être dévastateurs, selon le comité scientifique régional AcclimaTerra.
« Si la température augmente de 4,5°C, la moitié des espèces disparaitront d’ici 2080, rappelle Gabrielle Sauret, chargée de projets en médiation scientifique chez Cistude Nature. Si on sait par exemple que dans la région le début des vendanges est avancé de 15 jours à cause du réchauffement, son effet sur les espèces sauvages n’est pas forcément étudié. »
Depuis deux ans, l’association de protection de nature mène justement un programme pour observer une vingtaine d’espèces dans 250 sites de Nouvelle-Aquitaine, des Pyrénées au cordons dunaires. Inédit en France par son ampleur, les Sentinelles du climat mobilisent plusieurs disciplines et partenaires scientifiques, dont le CNRS de Chizé, qui vient de révéler une étude alarmante sur la disparition d’un tiers des oiseaux en 15 ans.
« S’adapter ou disparaitre »
Les Sentinelles surveillent quant à elles plus particulièrement des amphibiens et des reptiles, explique l’écologue Fanny Mallard :
« Ces espèces font l’objet de peu d’études dans la littérature scientifique par rapport aux mammifères, alors que ce sont des animaux à mobilité réduite, qui vont devoir s’adapter au changement climatique, ou disparaître localement. »
Plus du tiers des amphibiens et reptiles figurent ainsi sur la liste rouge de l’Observatoire aquitain de la faune sauvage, dont la grenouille des Pyrénées, également classée en danger par l’UICN (union internationale de conservation de la nature).
Le batracien, qui apprécie les torrents frais et ne vit qu’au dessus de 100 mètres d’altitude, se retrouve sur seulement 6 sites des Pyrénées françaises, 14 côté espagnol. Si cette grenouille endémique disparait, elle est ainsi « tout autant représentative que l’ours blanc » du péril climatique, relève Christophe Coïc, directeur de Cistude Nature.
Rainettes et sans bavure
Les Sentinelles du climat cherchent aussi à comprendre si d’autres espèces pourraient migrer, ou être chassées de leurs territoires. Ainsi, la rainette ibérique, présente exclusivement dans les Landes, se retrouve en concurrence avec la rainette méridionale, qui profite de la hausse des températures pour coloniser des territoires plus au nord.
Enfin, le changement climatique pourrait avoir un impact sur la phénologie, c’est-à-dire la floraison de certaines variétés de plantes, comme la gentiane des marais, dont a besoin un papillon, l’azuré des mouillères.
Destiné à alimenter la recherche et alerter l’opinion, les Sentinelles du climat sont financées à hauteur de 3 millions d’euros sur 6 ans par l’Europe (65%, via les fonds Feder), la région Nouvelle-Aquitaine (20%), et les départements de la Gironde et des Pyrénées Atlantiques. Investir dans la connaissance pour tenter de sauver ces espèces n’est « pas une coquetterie d’écologiste », insiste Nicolas Thierry, vice-président du conseil régional :
« Cela conditionne notre sécurité alimentaire. 70% agriculture est dépendante de la pollinisation et un rapport récent du CGEDD (conseil général de l’environnement et du développement durable) indiquait qu’au rythme actuel de disparition, un département comme le Lot-et-Garonne, en pointe sur le maraîchage, pourrait perdre 20% de sa production. Ce qui est un problème naturaliste va devenir un problème économique et social. »
Le vivant, angle mort
L’élu écologiste se dit au passage inquiet de l’ « anesthésie » et de l’ « aveuglement » face à l’effondrement de la biodiversité :
« Je le constate en allant sur le terrain, je ne compte pas le nombre de fois où l’on sous-entend que ce n’est pas si grave qu’une espèce disparaisse pourvu que l’homme et l’économie aille bien. La question du vivant est un angle mort de la politique, un sujet sous-traité : l’annonce de la disparition en une génération du tiers des oiseaux communs ne provoque pas la moindre réunion de crise. »
Une des premières cause de l’extinction d’une espèce est il est vrai la destruction de son habitat, et les élus sont là pris dans des injonctions contradictoires. Exemple : construire une déviation routière susceptible de désengorger une ville, comme le Taillan, ou sauver un papillon.
La région Nouvelle-Aquitaine entend d’ailleurs recenser précisément ses hotspots de biodiversité, et annonce la sortie prochaine d’un rapport d’Ecobiose (pendant d’AcclimaTerra pour la biodiversité) sur les impacts de l’agriculture sur le vivant.
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