Média local avec zéro milliardaire dedans

Thomas, secouru en Méditerranée, réfugié clandestin à Bordeaux

Victime de persécutions dans son pays, Thomas a fui la Guinée-Conakry début 2016. Après l’enfer des passeurs libyens et la traversée de la Méditerranée sur une embarcation de fortune, il a été sauvé par l’Aquarius. Rue89 Bordeaux rapporte son témoignage de sans-papier qui attend d’être « dédubliné ».

Cet article est en accès libre. Pour soutenir Rue89Bordeaux, abonnez-vous.

Thomas, secouru en Méditerranée, réfugié clandestin à Bordeaux

Je m’appelle Thomas. J’ai 23 ans. Je suis né en Guinée-Conakry. J’ai été confié très jeune à mon oncle, un militaire haut gradé. Lors des événements survenus dans le pays en 2000, mon oncle a été tué de trois balles dans la tête. Cet assassinat n’a jamais été élucidé. D’un côté, on a accusé le président de l’époque de l’avoir éliminé. D’un autre côté, on a accusé les rebelles.

Cette confusion a été très lourde à porter pour ma famille qui est devenue un enjeu de pression pour la majorité et pour l’opposition. On a subi des intimidations de l’armée officielle d’une part, et des rebelles d’autre part. Des militaires, dont on ne connaissait ni l’affiliation, ni l’origine, s’introduisaient dans notre maison, nous menottaient, y restaient des heures, et partaient sans qu’on ne connaisse les raisons de leur passage.

Cette situation a duré des années et dure encore. J’ai grandi avec. J’ai fait des études et j’ai eu une licence en gestion touristique. Ce métier m’emmène tout naturellement à devoir voyager. A 20 ans, je me suis heurté à un problème, l’impossibilité d’avoir un passeport vu mon nom. Il m’était donc impossible de quitter le pays et d’envisager de faire mon métier. J’étais condamné à rester en Guinée-Conakry, où je me faisais régulièrement arrêter et battre par les militaires sur un simple contrôle d’identité.

Thomas, réfugié à Bordeaux (WS/Rue89 Bordeaux)

La fuite et l’esclavage

J’ai décidé de fuir en Angola. Je quitte la Guinée-Conakry le 7 janvier 2016. Arrivé au Mali, on m’a conseillé d’aller en Algérie en bus. Sur la route, il faut débourser entre 10000 à 20000 francs CFA pour pouvoir passer chaque barrage. En faisant un calcul rapide, je me suis dit que c’était jouable. Sauf que, une fois à Agadez au Niger, je n’avais plus d’argent, ni pour le transport, ni pour les barrages.

Seul, commence alors une période de galères et d’incertitudes. Je rencontre des gens dans la rue avec qui je passe un peu de temps. Un passeur nous propose de nous conduire en Libye. Certains ont accepté, pas moi. Plus tard, il me retrouve. Il me dit qu’une voiture allait partir le lendemain. Il insiste. J’ai dit que je n’avais pas d’argent. Il me propose de signer un contrat dans lequel je m’engage à lui rembourser le voyage en travaillant pour lui une fois à Tripoli. J’accepte.

Commence alors mon esclavage. Pendant 4 mois, une fois à Tripoli, j’ai travaillé tous les jours jusqu’à l’épuisement dans les chantiers de rénovation d’immeubles touchés par la guerre. La nuit, on était 7 personnes enfermées dans une pièce. On venait nous chercher à 7h du matin pour travailler jusqu’à 18h. On ne s’arrêtait que pour la prière. Je suis chrétien, j’étais obligé de faire la prière musulmane. Je le faisais, c’était mon moment de repos.

En dehors de la chambre, les chantiers, et les trajets entre les deux, on n’avait le droit de rien faire. J’en ai vu deux mourir en cherchant à fuir. Nos passeurs et leurs réseaux craignaient que quelqu’un retourne avertir les autres et empêche leurs trafics. Il fallait que les affaires continuent.

L’Italie ?

Ainsi, de nouveaux arrivaient et remplaçaient ceux qui n’en pouvaient plus. Amaigris, affaiblis, ne servant plus aux travaux forcés, les anciens étaient remplacés par les nouveaux et repoussés vers le bord de mer, où ils étaient parqués en attendant de traverser la Méditerranée vers l’Europe.

Nous étions 122 personnes dans un trou creusé dans la roche en attendant de partir. Derrière nous, le chemin qui menait aux geôliers, devant nous la mer. Impossible de s’échapper. C’était l’ultime étape avant l’Europe. Tout était si bien organisé : on te faisait venir à Tripoli, on t’exploitait sur les chantiers, on te jetait ensuite à l’eau. En flux continu. Tous les trois ou quatre mois.

Nous sommes restés quatre jours enfermés dans ce trou à manger du pain rassis et à boire de l’eau salée de la mer. Ils nous disaient qu’il fallait maigrir pour mieux supporter le voyage. En réalité, c’était pour embarquer le plus de personnes possibles. Le dernier jour, à la tombée de la nuit, on nous a apporté des bâches et des planches pour construire notre embarcation. Entre 20h et minuit, elle était prête. 150 personnes se sont entassées dessus. Quelqu’un a été désigné pour la conduire, à qui on a montré une lumière dans la nuit. « C’est l’Italie. » Je n’ai jamais su ce qu’ils nous ont montré au juste. Un bateau ? Une étoile ? En tout cas, ce n’était pas l’Italie.

Thomas, originaire de Guinée-Conakry (WS/Rue89 Bordeaux)

SOS Méditerranée

A 15h le lendemain, en pleine mer, un hélicoptère tournoyait au-dessus de nos têtes. Des zodiacs apparaissaient à l’horizon. Panique sur le bateau de peur que ce soit les gardes-côtes libyens. On disait qu’ils avaient pour ordre de tuer les migrants pour ne pas devoir les rapatrier en Libye. Le type qui dirigeait l’embarcation a tenté de faire demi-tour pour leur échapper. Les puissants zodiacs nous ont vite rattrapés… C’était les membres de SOS Méditerranée.

Il y a eu un long moment de doute. Qui étaient-ils ? Qu’allions-nous faire ? Qu’allaient-ils faire de nous ? J’étais perdu dans ma tête. On nous a emmené sur l’Aquarius. J’ai entendu une femme chanter. Elle chantait pour nous. Je me suis senti redevenir un être humain, une personne. J’ai le souvenir de ce moment comme d’un intense moment spirituel ou religieux. Je ne peux pas dire pourquoi. Les chrétiens comme les musulmans se sont mis à prier.

Je me suis retourné vers d’où je venais en me disant que la mort pouvait toujours m’attendre là-bas. A ce moment même, L’Europe est venue me prendre en main.

« Dédubliné »

Je débarque sur les côtes italiennes en mai 2016. Je demande le droit d’asile. Très vite, constatant que je parle le français, des bénévoles me donnent 100€ et me proposent de partir en France. Au bout d’un périple d’un mois, j’arrive par hasard à Bordeaux le 24 juin 2016.

L’association AREVE (Accueil des réfugiés en Val de l’Eyre) me prend en charge et me trouve une famille à Floirac. Je suis chanceux. Ma famille est formidable et je m’entends très bien avec elle. Je me pose enfin. Je décide de faire du bénévolat au sein de la Banque alimentaire en attendant de régulariser mon statut.

En janvier 2017, je me rends à la préfecture de Gironde pour mon rendez-vous mensuel. Le coup de massue ! Je suis interpellé et menotté. Rien qu’au cliquetis des menottes qui se ferment autour de mes poignées, les vieux démons et les cauchemars reviennent. Je suis effondré. Je suis conduit au centre de rétention administrative de Toulouse pour être renvoyé en Italie, pays de ma première demande d’asile (Le règlement du Parlement européen et du Conseil européen du 26 juin 2013, dit « Règlement Dublin III », imposent aux étrangers qui formulent une demande d’asile dans un pays d’y rester en attendant la décision finale, NDLR).

Revoilà ma bonne étoile ! Autour de moi, je sens une solidarité. On se mobilise. Une pétition est lancée. Ma famille d’accueil se bat pour moi et obtient ma libération. De retour à Bordeaux, me revoilà en situation irrégulière. J’attends d’être « dédubliné » pour demander l’asile ici. Entre le marteau et l’enclume, je ne bénéficie de rien. Pas le droit de travailler. Je ne peux compter que sur ma famille d’accueil.


#Aquarius

Activez les notifications pour être alerté des nouveaux articles publiés en lien avec ce sujet.

Voir tous les articles
Partager
Plus d'options
Quitter la version mobile