Il est un peu plus de dix heures de matin, ce mardi 3 avril. Au centre de triage d’Hourcade, à Bègles, une cinquantaine d’agents s’est déplacée pour leur première assemblée générale de 2018. Ils travaillent au Fret SNCF, à la traction ou encore au sein des établissements infra-circulation (EIC). Pendant plus d’une heure, ils vont débattre de leurs craintes, de leurs espoirs, et de leurs motivations.
Un délégué de la CGT cheminots allume la première mèche, lors de la lecture de sa déclaration :
« Aujourd’hui, le discours est faussé, orienté de manière à faire passer les cheminots pour des incapables ruineux ».
Tous sont unanimes : la question de leur statut est un attrape-nigaud, une manière bien adroite de détourner l’attention des français de problématiques autrement importantes, comme l’avenir de leur service public, par exemple.
Étiquettes de côté
La grande majorité des grévistes rassemblés à Hourcade appartiennent aux deux seules organisations syndicales qui vont prendre la parole lors de cette assemblée, tout en affichant des désaccords sur la stratégie de lutte. Si la CGT semble très enthousiaste sur le programme de « grève perlée », ce n’est pas le cas des militants de Sud Rail, qui entendent bien convaincre les cheminots de la nécessité d’un mouvement reconductible.
Chacun tente de mettre de côté son étiquette syndicale, afin de faciliter le dialogue, et de mener une réflexion en profondeur.
« Nous avons subi plusieurs défaites consécutives, en partant sur des grèves reconductibles. Je pense que cette nouvelle technique doit être essayée », clame un cheminot.
Certains rappellent à contrario l’importance des séances parlementaires qui auront lieu 9 avril prochain.
« Après, il sera peut-être trop tard. Et puis, le mouvement risque de s’essouffler ; nous avons aujourd’hui une base solide, historique. Il faut y aller. C’est presque du jamais vu », conteste l’un d’entre eux.
Dans l’assemblée, les plus anciens ont connu le grand conflit de 1995, qui avait opposé Alain Juppé à toute la fonction publique. Ces derniers rappellent que le mouvement avait alors explosé au bout de trois semaines de grève plutôt moroses. Histoire de rappeler qu’un mouvement sur la durée est toujours possible.
L’assemblée générale se termine sur une promesse commune : celle de profiter des jours travaillés afin de mobiliser sur les chantiers, et de continuer collectivement la réflexion sur la marche à suivre.
« Ce combat est vital »
D’autres assemblées générales se tiennent autour de la Gare Saint-Jean – contrôleurs, conducteurs, agents sédentaires, matériel… -, avant de partir en cortège dans les rues bordelaises.
« Force est de constater qu’il y a de l’électricité dans l’air, ainsi que des choses que nous n’avions pas vu depuis longtemps. Il y aussi une nouvelle population qui tend à se mobiliser, c’est le personnel d’encadrement », assure David Plages représentant de la CGT cheminots.
Pour Patrick Brosse, ancien délégué Sud Rail désormais retraité, les enjeux sont extrêmement importants :
« Ce combat est vital. Que l’on soit actif ou retraité, nous devons nous battre comme nos anciens se sont battus pour la défense du service public, mais aussi pour celle de notre statut ».
En tête de la manifestation, les troupes de la CGT prennent de l’avance. La centrale syndicale représente à elle seule la moitié de la manifestation, l’autre moitié étant composée d’un cortège mixte, composé de Solidaires, d’étudiants, et de la CNT, notamment.
Le représentant de la CGT s’estime satisfait à l’issue des assemblées générales : « Les cheminots ont adopté à l’unanimité la plateforme revendicative des syndicats de manière unitaire ». Il fait référence à un ensemble de huit points sur lesquels l’intersyndicale n’entend pas négocier, comme l’ouverture à la concurrence ou la question de la dette et de son financement.
Haie d’honneur à la Mairie de Bordeaux
Le cortège des cheminots espérait être reçu à la Mairie de Bordeaux, afin de remettre un courrier à Alain Juppé. Mais tous et toutes ne s’attendaient pas à recevoir une haie d’honneur devant l’hôtel de ville. Point d’élus ni de sommités, mais des postiers qui attaquent leur quatrième semaine de grève, et qui ont souhaité apporter leur soutien aux travailleurs du rail.
« Pour l’instant, à La Poste, nous n’avons pas beaucoup d’avancées. Nous avons fait des propositions sur le nouveau système de travail que nous impose notre entreprise, mais pour l’instant notre direction reste campée sur ses positions. Nous sommes donc ici pour défendre la convergence des luttes, et nous espérons que les mouvements vont s’amplifier. La SNCF, La Poste, France Télécom, nous sommes tous mangés de la même manière ; une raison supplémentaire pour s’unir » témoigne Claude Dominguez, facteur à Arcachon, et délégué CGT.
Les chiffres tombent. En Aquitaine, seuls 16 trains express régionaux (TER) ont circulé, au lieu de 700 habituellement et ce sont 4 trains à grande vitesse qui ont transité par la gare de Bordeaux, au lieu de 33. Sur le tableau d’affichage de la Gare St-Jean, seuls les trains de 8:04 et de 15:04 étaient au départ pour Paris.
Néanmoins, en gare, la situation est très calme. Il semble que les usagers aient pris leurs précautions. Les cheminots, eux, se retrouveront dès le lendemain, à l’occasion d’une deuxième journée de grève, qui emmènera de nouvelles assemblées générales.
« Ce mouvement est-il historique ? L’avenir nous le dira. Mais il l’est déjà pour une raison. Beaucoup pensaient que les cheminots étaient démobilisés, et après les dernières défaites subies, je ne pensais pas qu’il y aurait une telle mobilisation », estime Patrick Brosse.
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