« C’est un rassemblement de condamnés pour délits d’opinion. » Voilà comment François Jay, élu municipal du Front national à Bordeaux, présentait l’évènement qui s’est tenu ce mardi soir, deux heures durant, sur le parvis des Droits de l’homme, entre le palais de justice et l’École nationale de la magistrature (ENM).
Dans un espace bien délimité par des barrières de sécurité installées en fin de journée par des employés municipaux, une dizaine de personnalités d’extrême droite se sont succédées à la tribune, devant un public d’une trentaine de personnes (des hommes blancs et âgés, et une dizaine de membres du service d’ordre, plus jeunes).
Parmi les intervenants, Pierre Cassen, fondateur du site « Riposte laïque » :
« Nous faisons le constat de l’incompatibilité entre l’islam et nos valeurs. Nous disons la réalité, mais les tribunaux français nous harcèlent. Depuis 2012, nous en sommes à 50 instructions judiciaires, et 70 000 € d’amende » avance-t-il, n’hésitant pas à se présenter comme « islamophobe de profession ».
Discours islamophobes devant le palais de justice
Organisateur des fameux « apéros saucisson-pinard », Riposte laïque est obsédé par l’islam. On peut par exemple y lire : « Le cancer islamique continue de gangrener la France », « L’islam, pire que le nazisme », ou encore « Nous affirmons que l’islam n’est pas une religion, mais un projet politico-religieux totalitaire, et qu’il ne sait exister que par la conquête ».
Ces idéologues, qui se considèrent comme des « lanceurs d’alerte », s’estiment victimes de « persécutions judiciaires ». Voilà pourquoi ils ont choisi de se rassembler devant l’ENM, seule école qui forme les futurs juges. Ils voient la magistrature comme « l’arme d’un pouvoir, le pouvoir remplaciste », selon les termes de Renaud Camus, lui aussi présent. Le théoricien du « grand remplacement » a lui aussi déjà été condamné pour « provocation à la haine et à la violence contre un groupe de personnes en raison de leur religion ».
Christine Tasin, présidente de « Résistance républicaine », une association elle-aussi obsédée par l’islam, a été condamnée pour avoir affirmé que « l’islam est une saloperie ». Elle s’en prend à ceux qu’elle qualifie de « collabos de magistrats ».
Puis s’expriment, tour à tour, François Galvaire (fondateur du groupe « La Meute »), Karim Ouchikh (président du parti SIEL pour « souveraineté, identité et liberté », micro-parti lié au FN), ainsi que Thomas Joly (du « Parti de la France ». Si Christian Piquemal est quant à lui absent, on lit à la tribune les textes de cet ancien général, radié de l’armée pour n’avoir pas respecté le devoir de réserve, en prenant la parole lors d’une manifestation contre les migrants à Calais.
« Antifas, asociaux, gauchistes, crasseux »
Quant à Richard Roudier, président de la « Ligue du midi » (groupe identitaire), il rappelle l’épisode survenu le 22 mars à la faculté de droit de Montpellier, soutenant la milice cagoulée et armée qui a violemment expulsé des étudiants occupant un amphithéâtre :
« Une bande de 50 crasseux occupaient la fac. Logiquement le doyen a demandé l’aide de la police. Comme personne ne bougeait, des étudiants patriotes, et des professeurs, ont dégagé ces individus » déclare-t-il, avant de s’en prendre aux « chiens de garde du système : antifas, asociaux, gauchistes, crasseux ».
À une centaine de mètres de là, à l’angle de la place Pey-Berland, se réunissaient justement au même moment environ 60 militants antifascistes, dont une bonne partie d’étudiants venus de l’université occupée de la Victoire. Séparés par un cordon de forces de police, ils n’ont fait qu’entonner des slogans anifascistes.
Un groupe de lycéens s’est montré plus culotté. « On était là par hasard, pour faire du skate sur la place » raconte Dominique, 17 ans. « Les militants nous ont expliqué ce qui se passait, et nous sommes venus pour écouter les propos de ces gens. » Alors que les interventions se succèdent sur le parvis, une vingtaine de jeunes se regroupent de l’autre côté des voies de tram, le long de la rue des Frères Bonie. La plupart sont de couleur.
Insultes racistes et police débordée
Rapidement, des provocations échauffent les esprits (« Vive l’Algérie », « Venez, on a fait du couscous »), les deux camps se rapprochent. Un vieil homme donne un coup de canne à un jeune, des insultes partent : « Sale nègre », « Retourne dans ton pays », « Va vendre ton shit », « Hue les poulets, hue ».
« Mais ils sont fous ou quoi ? On a autant le droit de vivre ici qu’eux. Ma mère a sa carte de séjour depuis 22 ans, elle fait des boulots de merde, dans la restauration, le ménage, et on lui dit qu’elle n’a pas le droit d’être ici ? » s’emporte Dominique. « Ils insultent des gens qui se sont battus pour leur pays. »
La police, qui ne s’y attendait pas, est débordée. Des policiers en tenue anti-émeute arrivent finalement et coincent les lycéens sur le trottoir avant de chercher à les évacuer vers le cours d’Albret. L’un des jeunes souhaite alors repartir dans l’autre sens. Les policiers refusent de le laisser passer. Devant son insistance, ils le mettent au sol et le frappent au visage, selon plusieurs témoins. Menottes aux poignets et du sang sur le visage, le jeune homme (15-16 ans) sera par la suite embarqué dans un fourgon pour être placé en garde à vue.
« Libre cours à des propos anti islam »
Jean-Claude Guicheney, membre de la LDH Aquitaine, a été alerté au dernier moment de la tenue de ce rassemblement. Il est passé « pour voir ».
« Ce qui est inadmissible, c’est qu’on demande d’évacuer la voix publique alors qu’il n’y avait pas de violence, pas de menace, nous explique-t-il. La police a évacué les jeunes qui paraissaient les plus virulents, qui manifestaient des signes de réprobation à l’égard des discours de l’extrême droite. Mais on laisse libre cours à des propos ouvertement contre l’islam. »
Il rappelle que la liberté d’expression est encadrée par la loi :
« Si la parole est libre, elle l’est tant qu’elle n’appelle pas à la haine d’une partie de la population, qui d’ailleurs, dans ce cas, fait partie de la population française. »
Selon lui, le rassemblement de l’extrême droite a bénéficié d’une « surprotection policière ». Alors que les prises de parole se terminent, les forces de l’ordre continuent de filtrer l’entrée de la rue. De nombreuses personnes, blanches, passent à vélo ou à pied. Lorsque des jeunes noirs ou arabes s’aventurent, on leur demande de changer de trottoir, ou de passer par une autre rue.
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