La grisaille de ces derniers mois a été favorable à la lecture. Surtout que la rentrée de janvier a apporté son lot de livres, alors que d’autres attendaient depuis la fin de l’année. Dans cette séance de rattrapage, on trouvera des auteurs qui seront à l’Escale du livre (Marc Pautrel et François Garcia), du 6 au 8 avril. Pour en savoir plus, le programme complet sur ce lien.
« Natures », des photographies à lire
On sait la passion de Chapin pour une approche des forêts et des fleuves qui évite toute joliesse, toute mièvrerie et révèle les secrets des naissances et des morts que nous ne savons plus percevoir. Secrets des traces laissées par le passage d’on ne sait quel oiseau ou quel animal ; secret du combat mené pour parvenir à la lumière des fougères et des hampes des roseaux ; secrets des arbres dans les nœuds de leur écorce ridée comme la peau des vieux éléphants.
Chapin est à la recherche des écritures qui se donnent à lire dans le calme d’un paysage ou dans les griffures que l’eau se retirant a dessinées dans le sable ou la lise. Il n’est pas évident que la lumière sortira victorieuse de son affrontement avec les ombres ; on peut trouver que la tonalité dominante de ces photos est grise – on n’en frémira que plus devant la ténacité, l’obstination têtue de la germination, devant la force de la vie – en l’absence même de toute figure humaine.
« Le guetteur d’hirondelles », contemplatif
Le personnage central, Stéphane, est gardien au Musée de l’Orangerie, dans la salle des nymphéas – une occupation qui permet de se laisser aller à d’interminables rêveries. Jusqu’à ce qu’une voix l’ensorcèle véritablement, celle d’une jeune guide qui explique à des groupes de touristes, qui ne s’en soucient sans doute pas beaucoup, les subtilités de la peinture de Monet. Une histoire d’amour commence alors qui semble pouvoir arracher Stéphane à la routine dans laquelle il se complaît.
Car il faut partir, le Musée doit fermer ses portes pour une longue période de travaux, larguer les amarres et se lancer dans des fantaisies de potaches enfin libérés de la férule de leurs maîtres – dérisoires combats, est-ce bien qu’il ne reste que ceux-là à mener ? – pour libérer les nains de jardin et détruire la laideur de ce monde.
L’histoire d’amour ne résiste pas longtemps au temps qui passe et Stéphane abandonné à lui-même va essayer de donner quelques consistances à ses rêves en écrivant. Les textes en italiques qui scandent le livre de Broustra évoquent un chien que seul le vol des hirondelles sort de sa torpeur :
« Parfois il dormait, du moins en apparence. Tête entre les pattes, étalé sur les carreaux de la terrasse, un léger mouvement des oreilles indiquait une reprise de vigilance. Il ouvrait un œil et à pleines pattes lançait sa course.
Elles filaient (c’étaient surtout des hirondelles), droit, droit, avec de brefs sifflements. Assurément avait-il l’espoir d’en rabattre une, de lui mâcher les plumes, de la broyer. Elles filaient loin. »
« La vie princière », et amoureuse
Il ne s’y passe pas grand chose et ce pas grand chose prend pour le narrateur une intensité telle qu’on devine qu’il le changera à tout jamais. Pour ne pas risquer que tout s’efface de sa mémoire, pour donner une consistance à ces riens qui paraissent dérisoires aux yeux de ceux qui se font, de l’amour, une vision beaucoup plus réaliste, le narrateur écrit une lettre qui ne sera jamais envoyée, mais qui sera publiée – ruse suprême, tentative ultime de remplacer par des mots écrits ceux qui n’ont pas été prononcés.
Une simple rencontre, dans le cadre magique d’une résidence d’auteur, entre le narrateur et une jeune femme ; quelques jours de complicité, quelques promenades dans le Domaine, des repas partagés avec d’autres ; un seul en tête à tête ; des bavardages à n’en plus finir ; et c’est tout, et c’est, pour le narrateur, la certitude d’avoir rencontré un amour d’autant plus fou qu’il est d’entrée de jeu acquis que la jeune femme aime ailleurs ; qu ‘il ne saurait être question d’autre chose que d’une amitié qui ne survivra pas à la fin de leur résidence.
Il y a devant le bouleversement que fait naître L…, chez un homme qui n’est plus tout à fait jeune, qui n’est ni un dragueur ni un don Juan, une pudeur, une retenue d’adolescent dont on a perdu l’habitude. Le tour de force de Pautrel est de suggérer la passion sans qu’elle puisse à aucun moment trouver une expression érotique autre qu’un frôlement de deux joues, qu’une « bise » qui claque et qui, pour tant de raisons, ne peut s’appeler un « baiser ». Il reste un geste de la main qui n’appartient qu’à elle pour dire bonjour, pour dire au revoir, pour dire adieu.
« Bye bye, bird », un document d’époque
Mais en même temps il y a la famille de Malcolm dont Paco dresse un portrait ravageur, avec Pamela, la mère, et le poulet étique dont elle régale sa tablée pour le repas dominical ; Edward, le père, qui tente d’établir une certaine complicité avec ces gamins ; et le drame conjugal qui se noue avec l’improbable liaison entre Pamela et le voisin. Il y a surtout les incroyables chahuts dont sont capables les petits bordelais qui se conduisent comme des goujats, s’empiffrant avant tout le monde des canapés et autres gourmandises préparées par et pour les officiels, envahissant les coins les plus reculés de l’appartement de la famille par qui ils sont invités dans une partie de cache-cache totalement débridées.
Il y a la découverte émerveillée de la liberté sexuelle, des baisers échangés dans l’obscurité des salles de cinéma, des caresses qui s’enhardissent et celle, plus sulfureuse, des boîtes où circulent alcools et pilules qui ont des effets plutôt dévastateurs sur Paco, des bagarres entre les rockers et les mods.
Autant dire que Paco ne sortira pas indemne de cette expérience, qu’il aura même l’occasion de rencontrer des beatniks qui essaieront de lui faire prendre conscience des injustices qui défigurent nos sociétés. Il est, comme dans une mémorable partie de pêche à laquelle les a entraînés un vieil ami d’Edward, balloté d’un côté et de l’autre sans trop savoir comment il va s’en sortir. Il y a fort à parier qu’il lui faudra du temps pour digérer tout cela.
Le livre de Garcia est écrit à un rythme d’enfer, truffé de mots d’anglais au fur et à mesure que Paco fait son éducation, chaotique et désarticulé comme la musique et la danse qui l’entraînent, toujours proche de la rupture et du rapatriement sanitaire mais sauvé par un humour ravageur qui saute de morceau de bravoure en morceau de bravoure. On n’a pas si souvent l’occasion de rire, de nos jours, en littérature. Garcia nous en donne généreusement des flopées et ce livre est une vraie réussite.
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