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Le vignoble bordelais a entamé sa détox des pesticides : info ou intox ?

Faute d’indicateurs fiables sur l’usage réel des pesticides, et malgré les scandales sanitaires à répétition, l’évolution de la viticulture girondine vers des pratiques vertueuses reste à démontrer. Alors que les épandanges reprennent avec le printemps, que se cache-t-il derrière les déclarations rassurantes des défenseurs de la filière ?

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Le vignoble bordelais a entamé sa détox des pesticides : info ou intox ?

Tandis que les scandales et polémiques s’enchaînent (lire la chronologie ci-dessous), le vignoble bordelais progresse-t-il significativement en matière de protection de la santé des consommateurs, des riverains et de la biodiversité ?

Sur ce sujet hautement sensible de santé publique, faute d’indicateurs pertinents et fiables, la situation reste confuse. Certes, des avancées indéniables sont réalisés : par exemple, l’appellation Castillon Côtes de Bordeaux peut s’enorgueillir à ce jour de compter 25% de ses 2300 hectares cultivés en bio ; non loin, dans le Libournais, aux Caves de Rauzan (3500 ha), le bio compte pour 200ha contre 20 en 2009.

Mais qu’en est-il de la situation générale ? Confrontée à de multiples scandales sanitaires, la viticulture bordelaise change-t-elle ses pratiques, comme le réclament régulièrement les collectifs inquiets de l’usage massif de pesticides ?

Échaudé par la diffusion de l’émission « Cash Impact », le 27 février, stigmatisant l’utilisation de produits phytosanitaires dans les vignes girondines, le président du Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux (CIVB), l’organe qui structure et défend les intérêts de la filière viticole, monte au créneau. Pour la première fois, dans un communiqué, il produit des chiffres prouvant, selon lui, que le vignoble bordelais a amorcé une « sortie des pesticides ». Allan Sichel s’appuie sur des données rassemblées par la Direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (Draaf) de Nouvelle-Aquitaine. Dans le détail, que révèlent-elles vraiment ?

Une division par deux des CMR ?

Entre 2013 et 2016, le volume des CMR (Cancérigène, mutagène, reprotoxique) vendus en Gironde, c’est-à-dire les produits les plus nocifs pouvant causer des cancers et des mutations génétiques (des substances pourtant homologués par l’Etat et l’Europe), ont baissé de moitié, se félicite-t-il. De fait, de 1625 tonnes en 2013, ils sont passés à 844 tonnes en 2016.

Néanmoins, il est ardu d’en tirer des conclusions définitives. Car en viticulture, la consommation de produits chimiques varie en fonction des variations météorologiques qui affectent les vignes chaque année. Ainsi, en 2014, l’achat de CMR a cru de 200 tonnes. Et une part de ces mêmes CMR qui ne sont pas utilisés durant la saison reste utilisable pour l’année suivante ce qui de facto diminue leur volume d’achat l’année suivante.

En outre, le fameux glyphosate, qui constitue 35 % des herbicides utilisés dans la Région, n’est pas reconnu par l’Agence de santé européenne (Efsa) comme CMR (au titre du règlement CLP). Or, cette molécule a été classée cancérigène par les chercheurs du Centre international de recherche sur le cancer (Circ)… Toutefois, la Draaf note que la baisse d’utilisation des herbicides en Gironde (903 tonnes en 2013 contre 737 en 2016) peut s’expliquer par une augmentation du desherbage mécanique dans les vignes.

La foi des convertis

Dans les colonnes de Sud Ouest, Allan Sichel fait valoir que la baisse des CMR « est compensée par l’utilisation de produit bio » affirmant que « beaucoup de viticulteurs, sans aller jusqu’à la certification, utilisent des produits bio. »

Si l’argument est séduisant, il reste néanmoins difficile à vérifier. Alors que les CMR achetés ont baissé de quelque 800 tonnes en quatre ans, les produits chimiques « utilisables en agriculture bio » sont, en moyenne, restés stables : 1766 tonnes en 2013, 1698 tonnes en 2014, 1497 tonnes en 2015 et 1894 tonnes en 2016. D’un point vue statistique, il n’existe pas de rapport de corrélation entre ces chiffres.

Autre écueil : les substances qualifiées « d’utilisables en agriculture biologique » concernent avant tout les molécules de soufre et de cuivre : des fongicides largement utilisés aussi par les exploitants de vignes… conventionnelles. D’où l’impossibilité d’affirmer catégoriquement, sur la base de ces données, que viticulteurs et vignerons du bordelais se convertissent aux pratiques de l’agriculture biologique.

Champis et carences

Il faudrait pour cela s’assurer qu’ils respectent le cahier des charges du label AB qui limite l’usage du cuivre à 6kg par hectare et par an. Or, à examiner finement les données de la Draaf, le volume de fongicides achetés en Gironde reste à peu près stable : 4469 tonnes en 2013 (sur un total de 5662 tonnes de pesticides, 4676 en 2014 (sur 6217), 3847 en 2015 (sur 5198) et 4315 tonnes en 2016 (sur 5385).

En Gironde, les fongicides représentent ainsi la grande majorité des produits phytosanitaires, essentiellement utilisés par la viticulture, note la Draaf. Et l’évolution des achats semble davantage correspondre aux variations du climat qu’à un changement fondamental des pratiques.

Vignoble dans le Bordelais (WS/Rue89 Bordeaux)

In fine, l’absence d’indicateurs plus fiables et précis sur l’usage des pesticides en viticulture traduit une carence des pouvoirs publics en matière de politique environnementale. Sans ces outils, la filière et son représentant, le CIVB, ne peut donc pas évaluer précisément l’évolution des pratiques dans le vignoble. Car, prévient la Draaf à propos des statistiques d’achat de pesticides, « les données de vente ne permettent pas d’établir un descriptif détaillé et fiable des utilisations par filière. »

Le label AB, seul indicateur sérieux

Pour l’heure, l’indicateur le plus sérieux permettant de chiffrer les progrès de la viticulture bordelaise en matière de réduction des pesticides est celui du pourcentage de vignes se convertissant au bio. L’obtention du label AB est en effet soumise à des contrôles stricts qui reposent sur les analyses de la terre des parcelles et du contenu des bouteilles : les pesticides, à l’exception du cuivre et su soufre, y sont prohibés.

En 2016, selon les chiffres de l’Agence bio, 6,8% des vignes du Bordelais étaient cultivées en bio ; un chiffre en dessous de la moyenne nationale, 9% de la superficie du vignoble français étant certifiée bio. A titre de comparaison, le vignoble de Provence et de Corse, qui bénéficient d’un climat sec moins propice à l’usage de pesticides, possèdent 23,55% de surfaces en bio, celui de l’Alsace est à 15,35% et celui de la vallée du Rhône atteint 14,90%.

Toutefois, bien que le climat bordelais soit réputé difficile pour la culture des raisins en raison de ses importants taux d’humidité, le vignoble girondin dispose tout de même de 8011 hectares en bio (sur 117 500).

Volontaires

Mais si, à ce jour, sa marge de progression reste donc importante, la filière bordelaise, afin de ne pas diminuer les rendements, se refuse à encourager la viticulture bio de manière significative.

Dans leur Plan pour accélérer la réduction de l’usage des pesticides, signé en juillet 2016 avec la Région Nouvelle-Aquitaine, le CIVB et la Chambre d’agriculture de la Gironde misent avant tout sur la « généralisation de bonnes pratiques » : planter des haies, encourager la recherche de cépages résistants, développer le Système de management environnemental du vin de Bordeaux et la certification de la Haute valeur environnementale des exploitations, etc.

L’incitation des exploitants à s’engager dans cette voie, sur la base de ce plan, permet ainsi au CIVB d’affirmer, que « plus de 55% du vignoble de Bordeaux était engagé en 2016 dans une démarche environnementale ».

Ladite démarche, en y regardant de plus près, repose en fait sur l’application du principe de l’agriculture raisonnée : limiter l’usage des pesticides en faisant appel au volontarisme des exploitants viticoles. Là, aussi, il est ardu d’en mesurer la pertinence environnementale. Contrairement au bio et à la biodynamie, en viticulture raisonnée, l’exploitant peut en effet recourir librement à l’épandage de produits phytosanitaires. Le 18 janvier dernier, les collectifs Alerte aux toxiques de Valérie Murat et Info Médox pesticides de Marie-Lys Bibeyran ont révélé que le vin (cuvée 2014) de Bernard Farges, le vice-président du CIVB, contenait, entre autres, quatre molécules dangereuses pour la santé. Le vin analysé bénéficiait pourtant du label Terra vitis, le “logo” de l’agriculture raisonnée.


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