« 10 millions de tonnes de nourriture ont été gaspillés en France en 2016 tandis que la demande des ménages en aide alimentaire continue d’augmenter », martèle Dominique Nicolas, le président de l’association CREPAQ (centre ressource d’écologie pédagogique de Nouvelle-Aquitaine) qui inaugurait ce jeudi le premier réfrigérateur accessible en libre-service, 24h/24 et gratuit de Bordeaux.
Frigos partagés ou solidaires
Parce qu’on n’a pas toujours envie de manger quatre jours d’affilé le taboulé préparé pour un régiment et que la vie ne nous permet pas forcément d’emporter son camembert coulant bientôt périmé dans le train, des épicuriens écolo ont imaginé un frigo, en libre-service pour accueillir les produits frais mal aimés – ceux des particuliers mais aussi ceux des restaurateurs ou des épiciers.
Née en Allemagne où on compte déjà une centaine de frigos, l’idée a essaimé en Belgique, en Espagne, en Inde et au Canada, et fait son chemin depuis quelques mois dans l’Hexagone. Récemment on a vu les frigos sortir dans les rues de Paris, Rennes, Strasbourg, Niort ou Laval . Mais les trottoirs du Sud Ouest ne comptaient pas encore de frigidaire partagé.
« Quoi de mieux que ce quartier, que l’on appelait le ventre de Bordeaux autrefois pour y implanter le premier frigo anti gaspi ?! » lance Dominique Nicolas aux côtés du frigidaire installé Place Tauzia.
Le nom n’est pas choisi au hasard alors que certaines villes ont préféré celui de frigos solidaires.
« Ces derniers sont destinés aux gens dans le besoin. Or on ne voulait stigmatiser personne. Ici on ne fait pas l’aumône, c’est juste du partage », insiste Dominique Nicolas qui tenait à renforcer la mixité autant que le lien social.
Les règles sur les contenus des frigos varient d’une ville à l’autre. Ici pas de viande, de poisson ou de produits avec des œufs crus comme la mayo pour éviter de rompre la chaîne du froid. En revanche, les œufs cuits, dans les quiches ou les gâteaux ne sont pas persona non grata. Car à Bordeaux, les plats fait-maison sont autorisés. Une évidence pour Nadège Lecouturier, chargée de mission au CREPAQ :
« Nous avons lancé Régal, le premier réseau régional de France de lutte contre le gaspillage alimentaire, nous promouvons la bonne bouffe, le fait-maison, ce serait malvenu de n’autoriser que des plats préparés ! »
Une histoire de confiance
S’il a fallu un an à l’association CREPAQ pour installer ce frigidaire en libre-service ce n’est pas qu’une histoire de sous car « le frigo a coûté 1000 euros en comptant le bois pour la structure » détaille Dominique Nicolas. C’est plutôt une histoire de confiance. « Comment faire partager de la nourriture à des gens qui ne se connaissent pas ? » interroge t-il.
L’appareil électroménager rangé dans une jolie coquille de bois renferme aussi un garde-manger pour entreposer nouilles, conserves, sauces et autres produits secs. « Ce petit placard pourrait accueillir, pourquoi pas, des recettes de cuisines anti-gaspi », propose Dominique Nicolas pour renforcer le rôle pédagogique du frigo.
« Et pourrait s’installer dans des espaces de partage », suggère Gérald Carmona. « Il y a des boîtes à livre, des jardins partagés, nous allons ouvrir prochainement une boite à don à Gaviniès, on pourrait imaginer des lieux où l’on pourrait donner ou échanger plusieurs types de biens, au même endroit, pour plus de convivialité », poursuit le conseiller municipal chargé de l’occupation temporaire du domaine public.
Partage et lutte contre le gaspillage
Du côté des restaurateurs, les candidats étaient nombreux.
« Certains étaient partants pour accueillir le frigo mais il fallait un trottoir assez grand, pas coincé entre deux voitures, avec une prise électrique à l’extérieur du bâtiment, ça faisait beaucoup de contraintes » énumère Nadège Lecouturier.
C’est rue Tauzia, en face des Beaux-Arts, que le frigo a pris place sous l’aile de la rôtisserie Poul’House qui fournit et finance l’électricité pour le faire fonctionner. Florence Etienne, la responsable du restaurant, n’a pas hésité :
« Le milieu de la restauration colporte malheureusement une image de gaspilleur mais on peut changer les choses. Pour vendre les surplus de la journée à petits prix, j’utilise déjà l’appli « Too good to go ». Pour quelques euros, les étudiants du quartier ont une part de viande et de légume et moi je n’ai plus de restes ! »
Elle n’hésite pas à proposer des doggy-bags lorsque les clients ont peu d’appétit :
« Souvent les enfants grignotent et leur assiette revient en cuisine à peine entamée. Pourtant neuf fois sur dix les consommateurs refusent le doggy-bag, ça les gêne. »
Florence Etienne souhaite maintenant installer un bac à compost sur la place, pour accueillir ses épluchures ainsi que celles de ses voisins, particuliers comme restaurateurs. « Nous pourrions diviser le poids des poubelles noires par deux ! » L’idée est lancée. Celle de créer des frigos dans d’autres quartiers de l’agglo aussi.
La mayonnaise prend
À défaut d’être la bienvenue dans le frigidaire, la mayonnaise prend. Wiame Benyachou de l’atelier d’insertion Remue Ménage est venue en curieuse. Avec son association elle collecte chaque matin les invendus des supérettes pour les redistribuer à des asso comme le pain de l’amitié ou des cuisines solidaires du CCAS de Bordeaux.
« On pourrait ajouter le frigo dans nos lieux de distribution, voire même installer un frigo nous aussi », imagine la jeune femme.
Le projet est loin de tourner au vinaigre : déjà, les cantines scolaires servies par des cuisines centrales se sont engagées à donner les repas non servis. Un élan qui pourrait bien s’accentuer après le 22 mai, lorsque la loi Egalim (pour États-généraux de l’alimentation), sera débattue en séance plénière à l’Assemblée nationale. Elle prévoit d’accentuer la lutte contre le gaspillage en restauration collective.
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