Dehors, ce mardi après-midi, c’est le déluge à Bordeaux. Rue du Mirail, un homme à vélo dérape un peu en s’arrêtant devant le numéro 51. Vite, il passe le grand portail vert légèrement entrouvert. Il rejoint la vingtaine de jeunes hommes présents à l’intérieur de la Ruche. Ce squat a été ouvert en août dernier par cinq étudiants qui voulaient donner une utilité sociale à ce bâtiment attenant au lycée Montaigne, inoccupé depuis au moins 2010.
Dès le début, l’affaire fait du bruit car les cinq ouvreurs du squat plaident la réquisition pour héberger des « mineurs isolés » ou « mineurs non-accompagnés », autrement dit des ados exilés de leur pays mais à la rue en France. Malgré l’ordonnance d’expulsion, le conseil régional de Nouvelle-Aquitaine, propriétaire des locaux, accepte avec bienveillance l’occupation jusqu’au mois de juillet qui arrive. Dix mois après, beaucoup de choses ont changé.
Ecole, santé et foot
Des travaux financés par la région ont permis de sécuriser les sols par des étais. Les fuites incessantes d’eau qui ruisselaient dans la petite cour intérieure sombre ont été stoppées par l’association Dynam’eau. L’électricité puis le gaz sont arrivés. Fatiguée et multipliant les burn-outs, l’équipe s’est renouvelée. Surtout les conditions de vie de ces jeunes hommes ont été améliorées. Loin (très loin) d’être idyllique, la Ruche est devenue un refuge.
« Ils ont un toit sur la tête. On s’arrange pour qu’ils aient de quoi manger. On essaie de les autonomiser. Ils ont un endroit propre qui ferme à clé. Ils se sentent chez eux », énumère sommairement Gurval, l’un des ouvreurs du squat, à l’antenne de la radio La Clé des Ondes, ce lundi.
En dix mois, une cinquantaine de jeunes ont pu s’y installer quelques jours, quelques semaines. Ceux présents en ce moment viennent notamment du Cameroun, de la Côte d’Ivoire, de la Guinée.
La plupart d’entre eux ont été déclarés majeurs par les services d’évaluation du département (Saemna). Ils revendiquent être mineurs (entre 15 et 17 ans), ont donc fait un recours et attendent désormais leur passage devant le juge des enfants. Gurval reprend :
« A partir du moment où ils ont un endroit où se poser, ils peuvent faire leur démarche. Car un jeune qui reste des mois dans la rue en attendant son jugement aura bien plus de mal à réunir les papiers qu’il lui faut. »
Entre la décision du Saemna et le passage devant le juge, plusieurs mois peuvent en effet s’écouler pour ces jeunes hommes. Or pendant ce temps, leur statut d’adulte majeur les empêche d’entrer dans les dispositifs de l’aide sociale à l’enfance (ASE).
La vice-présidente du département de Gironde en charge de cette thématique, Emmanuelle Ajon voit deux enjeux essentiels :
« Il nous faut garantir que seuls des mineurs sont dans des structures de mineurs. Et il y a un principe d’équité à appliquer pour tous (exilés et français, ndlr) : un jeune majeur ne peut jamais être dans l’ASE. »
La Ruche devient donc une nécessité pour eux. D’autant que le lieu fédère par le réseau qu’il a su développer : les questions administratives sont gérées par l’association de soutien aux travailleurs immigrés (Asti), des cours sont produits par l’association Tremplin, la santé avec Médecins du monde mais aussi, pour la vie sociale, les écoles et clubs de foot qui se permettent de les accueillir en leur sein.
Vite reconnu médiatiquement, le lieu reçoit beaucoup de gestes de solidarité. Des citoyens passent régulièrement filer un coup de main et, de l’Athénée libertaire à un chœur de gospel d’Eysines, on organise des soirées de soutien pour financer l’électricité, le gaz, les courses… Chez les exilés, le mot circule, même si la Ruche ne peut plus proposer de lit :
« D’autres jeunes qui dorment dans les rues viennent juste se reposer, se doucher, voir les copains, comme ils disent », explique Claire également à l’origine du squat.
Pour Aude Saldana-Cazenave, coordinatrice régionale de Médecins du Monde Aquitaine, le squat est « une expérimentation réussie » notamment par sa pratique de la cogestion où plusieurs fois par semaine les mineurs étaient réunis avec les bénévoles pour parler de l’organisation, des travaux, des règles et pour décider de tout en « respectant la parole des mineurs ».
Incertitude
Mais Gurval se désole de voir qu’ « aujourd’hui, on est autant dans l’incertitude qu’au début ». C’est en effet bientôt la fin de l’occupation tolérée par la région qui souhaite y installée l’Institut des Afriques – et qui ce mardi n’a pas donné suite à nos demandes d’entretien.
Les occupants ont contacté les institutions depuis avril mais, sans réponse satisfaisante, ont choisi d’alerter à nouveau à la presse, surtout afin de savoir ce que vont devenir les jeunes qui dorment à la Ruche. Ils demandent une réunion entre les autorités compétentes.
Emmanuelle Ajon espère que l’appel lancé par La Ruche va permettre de rapprocher département et région et avance plusieurs propositions :
« Il faut imaginer un accompagnement sur la formation professionnelle, cela se fait déjà un peu, mais pourquoi pas créer des classes spécialisées pour ces jeunes sur la région. Au niveau des places d’hébergements, la région finance d’ors et déjà des foyers de jeunes travailleurs, des chambres universitaires. Pourquoi pas aussi des places pour ces jeunes ? »
L’élue socialiste girondine souhaite aussi que la mission d’évaluation quitte le domaine du social géré par le département pour devenir une mission régalienne… et donc revienne à l’Etat comme le promettait le premier ministre Edouard Philippe en octobre dernier dans un de ses discours. Sans effet pour l’instant.
Aude Saldana-Cazenave, de Médecins du Monde, avance regrets et propositions :
« Nous avons eu presque un an pour faire avancer le droit commun avec la Ruche, mais n’y avons pas beaucoup réussi. A Nantes, un programme de mis à l’abri au 115 est en place pour ces migrants qui sont dans ces périodes de recours. Il nous faut une mise à l’abri pérenne pour ces jeunes. Elle doit être adossée à un accompagnement social et psychologique par une association. »
Si les réunions avec les autorités locales ne portent par leur fruit, les bénévoles de La Ruche sont prêts à continuer l’occupation. Gurval confie :
« Si on n’a pas de solution, je ne nous vois pas dire à ces gamins de repartir dans la rue. »
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