Le programme a été revu à la dernière minute. Rubin Steiner a annulé son concert prévu pour l’inauguration du « Vaisseau spatial » de Suzanne Treister aux Bassins à flot. Et la présentation officielle, avec discours et intervention de l’artiste, a eu lieu au CAPC, où une exposition accompagne l’installation de l’œuvre.
Les opposants ont eu ce qu’ils voulaient, diront certains : gâcher la fête. Ce que réfute Michel Duchène, le vice-président de Bordeaux Métropole chargé des grands projets urbains :
« Je ne suis pas contre le fait qu’ils protestent, sur la question du financement, sur le concept… La seule chose qui me heurte est qu’ils se soient attaqués à Rubin Steiner en direct sur les réseaux sociaux en lui faisant remarquer le nom qu’il porte [un nom de scène, NDLR]. Dire des choses pareilles en 2018 n’est pas digne. Pour le reste, une mise en son et lumière était prévue et elle aura lieu. Et finalement, l’œuvre est en place. »
Contacté par Rue89 Bordeaux, Rubin Steiner n’a pas souhaité en dire plus. Il s’en tient à un texte publié sur sa page facebook où il précise :
« C’est la mort dans l’âme que je laisse de côté mon envie d’accompagner un travail artistique que je trouve passionnant et qui me parle de façon intime, et celui d’accompagner une polémique dont je deviens acteur malgré moi mais à laquelle je suis obligé de prendre part, et donc de me positionner, ce que je fais sans le vouloir. »
Le musicien a finalement retiré son post où il fut à plusieurs reprises pris à partie dans des commentaires.
« Nous aimons passionnément son œuvre »
A 18h, le vernissage de l’exposition « Le Voyage à Bordeaux de Suzanne Treister » a lieu au CAPC. Devant le musée, le Collectif Anti-Vaisseau de Bordeaux (regroupant l’Association de défense des intérêts du quartier Bacalan et Ay Carmela, l’association mémorielle girondine de descendant.e.s et ami.e.s de l’Espagne républicaine, et d’autres habitants du quartier) distribue des tracts associant l’œuvre au IIIe Reich.
Cela ne suffira pas pour perturber la présentation de l’exposition et les diverses interventions. Devant une foule dense à l’étroit dans un coin de la mezzanine, Michel Duchène rappelle la complexité d’ « installer une œuvre dans l’espace public et de soulever des débats », rassure l’artiste à plusieurs reprises – « Nous aimons passionnément son œuvre » – et invite le public à la défendre – « Affutez vos arguments ».
Bertrand Fleury, conseiller arts plastiques à la Drac Nouvelle Aquitaine, « remercie l’artiste d’être allée jusqu’au bout ». C’est dire l’épreuve difficile qu’a connue Suzanne Treister, confrontée pour la première fois à la création d’une œuvre dans l’espace public sur laquelle elle reconnaît avoir mêlé « défi » et « politique ».
D’une autre galaxie
A 19h, l’ambiance est tout autre sur les Bassins à flot. Sous la surveillance d’une voiture de police, les Bordelais sont venus découvrir l’œuvre, en réalité installée depuis le 1er juin. Outre le son et lumière, des opposants sont venus couvrir les festivités à coups de sifflet, avec pancartes et remontrances verbales. « Vous n’avez pas honte ? » s’adresse un anti aux badauds.
« Après le changement du titre de l’œuvre et l’abandon de l’utilisation des ferrailles des navires, les opposants s’étaient engagés à en rester là, ils reviennent. Il y a un problème de parole qui n’est pas respectée », confie Michel Duchène qui s’inquiète également de voir « tout d’un coup apparaître le Front national ».
En effet, le mouvement nouvellement nommé Rassemblement national a lui aussi apporté sa touche avec l’installation d’une banderole sur laquelle on peut lire : « 700 000 euros : Juppé, les Martiens te remercient ». La banderole fut ensuite décrochée par le Collectif Anti-Vaisseau de Bordeaux.
« Nous avons fait ce que nous voulions faire, déclare Luis Diez à Rue89 Bordeaux. Un dernier baroud d’honneur pour marquer notre désaccord avec le principe. Nous ne nous en prendrons pas à la sculpture parce qu’elle a coûté assez cher. Elle est là et on va faire avec. Il paraît que des visites guidées sont envisagées. Je ne manquerai pas d’intervenir pour apporter notre éclairage sur la question… »
« Il faut arrêter la polémique », espère Michel Duchène qui confirme par ailleurs que le vaisseau est sous surveillance vidéo, « comme certaines autres œuvres de la commande ». Les controverses n’ont pas fini de nourrir l’histoire de l’art.
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