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Sandrine Jacotot, vendeuse de vins de vies

Lorraine d’origine, Sandrine Jacotot est arrivée à Bordeaux en 1999 au gré d’une vie riche en rebondissements. Aujourd’hui, elle est installée rue Fondaudège pour vendre du vin où « se lit la vie des vignerons ». Deuxième portrait de notre série « Rencontres Bordelaises », publiée chaque mardi de cet été.

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Sandrine Jacotot, vendeuse de vins de vies

On ne va pas flâner ou boire un coup au quartier Fondaudège comme on va aux Chartrons, Gambetta ou Saint-Michel. Pour le plus grand nombre de Bordelais, cette longue rue qui a donné son nom au quartier, représente tout juste un axe de sortie du centre ville vers les boulevards. Si la première partie bénéficie, tant bien que mal, du dynamisme du triangle d’or, le reste affiche des lieux de résidences pépères avec leurs lots de magasins de proximité : boucherie-charcuterie, boulangerie, chocolatier, cordonnier…

Jusqu’au jour où, en 2014, les riverains tombent sur un panneau posé sur le trottoir : « Avant j’étais prétentieuse, maintenant je suis parfaite ! » Rien que ça ? Il faut croire que oui. Sandrine Jacotot vient de reprendre une cave à vin plutôt quelconque. Elle lui donne le nom d’Entre-deux-Vins. Depuis, personne dans le quartier ou presque n’ignore la présence de cette commerçante fantasque dont le rire peut s’entendre jusqu’à l’autre bout de la ville.

« Quand j’ai repris la cave, le comptoir était là, explique la caviste, d’où je voyais les gens passer. Je m’amusais à compter ceux qui se retournaient pour regarder mes vitrines. Peu ! Alors que je passais un temps fou à les aménager. Je voyais passer des gens tristes, qui ne souriaient pas. Les gens sortaient dans les rues en laissant leurs têtes chez eux, ou dans leurs bureaux. Je me suis dit qu’il fallait faire en sorte que les gens sourient, qu’ils se parlent ! »

Vie de quartier

Un petit banc sur le trottoir, une ou deux barriques aussi, des panneaux aux slogans aussi surprenants l’un que l’autre – « Scandale, un vin mieux noté que Latour ! » « Une bombe ! »–, et voilà qu’il se passe des choses insolites dans ce quartier qui attend son tram comme le messie et espère une nouvelle vie branchée post-usine Marie-Brizard. Comme cette terrasse installée devant la cave sur la partie fermée à la circulation durant les travaux, un dimanche où les ouvriers sont off.

Les clients en redemandent et Sandrine Jacotot se donne à fond : elle organise les « apéros fondo », elle invite les vignerons à présenter leurs vins, elle lance des soirées à thème… et ça marche.

« Il y a des gens qui rentrent juste pour regarder, je leur offre un verre de vin pour une dégustation et je les garde ! D’autres arrivent, pareil. Les premiers discutent avec les seconds et ils font connaissance. »

A noter que ce sont souvent des voisins de la même rue et qu’ils ne se sont, jusqu’ici, jamais parlés. « J’en suis à mon troisième couple ! », lâche la commerçante tout sourire. Sa capacité à créer des liens ne se dément pas ; tous les voisins la connaissent et en témoignent. Signe qui ne trompe pas : les saluts et les bises qui claquent sur le porche de sa devanture.

Quand on lui demande pourquoi acheter du vin dans sa cave, elle répond :

« La question est de savoir pourquoi tu ne vas plus ailleurs quand tu viens chez moi !! »

Guy Renier, propriétaire de château du Bernat, reçu par Sandrine Jacotot (centre) à l’Entre-deux-Vins (DR)

Générosité

De l’énergie, Sandrine Jacotot en a aussi pour ses vignerons. « Je ne les choisis pas, c’est eux qui me choisissent » assure-t-elle. Inquiète au moindre orage de grêle, consciente de leurs conditions de travail, prête à de longs déplacements « pour vérifier l’état du vignoble » – « peu importe s’ils sont bio, je vise les vins bien faits et avec du respect » –, elle explique :

« La vie d’un vigneron se lit dans son vin. Tu vas y retrouver son caractère. 80% des vignerons que je représente ne travaillent pas avec la grande distribution. C’est des paysans, pas des hommes d’affaires. Ils sont deux ou trois sur la propriété et leurs mains ne servent qu’à travailler la vigne. Vendre leur vin, ils n’ont pas le temps de le faire. »

Pourtant, en 2009, Sandrine Jacotot évoluait dans d’autres sphères ; elle occupait la place de régisseuse au château de Malleret pour accueillir, « en mode ultra VIP », les clients importants. Parallèlement, la mission de développer les vins du château l’emmène aux salons et aux foires aux vins où elle rencontre des « petits vignerons ». « C’est là que tout commence, ils avaient besoin de vendre et j’étais motivée pour le faire. »

Elle crée l’Entre-deux-Vins pour défendre le travail de ces vignerons, avec l’attention héritée de sa mère et surtout de son oncle qui lui « ont appris à faire des choses simples, avec des produits de qualité et servis avec beaucoup de générosité. »

Le vin, la vie

En effet, la Lorraine, née à Mont-Saint-Martin en Meurthe-et-Moselle, démarre sa vie professionnelle dans la restauration avec pour défi, « gérer un restaurant à 25 ans ». A la brasserie de son oncle au col d’Èze, entre Nice et Monaco, elle fait ses premiers armes. Pour ensuite une carrière de 22 ans entre Nice, Paris, Genève, Arcachon, et la Corse, où elle exerce les métiers de chef de rang, chef cuistot, responsable de salle et… sommelière.

« Créer une carte des vins fait partie intégrante de la restauration. Il n’y a pas de bonne table sans bonne bouteille. 50% de la réputation d’un restaurant est due à la qualité de son service, 50% à la qualité de sa carte. Alors que c’est beaucoup plus compliqué de cuisiner un civet que de sortir un bouchon de sa bouteille ! Il faut donc choisir sa carte, parler des vins, donner envie… toute la plus-value est là. »

A 100 à l’heure, Sandrine Jacotot se laisse emporter par sa passion et ses idées – des expos, des rencontres vignerons-écrivains, des conférences –, et au milieu coule le vin, la vie, les rencontres – « je n’ai pas d’enfants alors je m’occupe de mes vignerons et de mes clients ».

« Oh mais qu’est ce que tu fais là toi ? C’est tes copains qui t’ont dit que j’avais des croquettes ? » Elle fait le tour du comptoir : « Tiens ! »… Elle s’occupe même des chiens du quartier !


#Rencontres Bordelaises

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