Nabilaye a posé sa grosse valise et ses sacs sur le trottoir, à l’entrée de la rue Lecoq fermée par les CRS. Ce Guinéen, en France depuis décembre dernier, ne sait plus où aller, et il est en colère :
« Les policiers sont entrés et nous ont demandé de partir, l’un d’eux a pris mon réchaud à gaz et l’a cassé par terre, alors que je venais de l’acheter à Mériadeck et que j’en ai besoin pour cuisiner. C’était violent. Je suis diabétique, je ne peux pas manger d’aliments grillés, ni sucrés… Et j’ai été opéré de la vessie. »
L’homme nous montre des médicaments dans une poche, et sort un épais dossier médical, avec des ordonnances et autres papiers sur son intervention chirurgicale. D’ailleurs, c’est vers son médecin qu’il compte se tourner pour chercher un toit pour la nuit.
Des personnes à la rue comme lui, il y en a désormais entre 80 (selon la préfecture) et 150 (selon quelques occupants), ce mercredi depuis la fermeture du Bootleg. L’ancienne salle de concert, qui a définitivement baissé le rideau en mars 2017, est squattée depuis l’automne dernier, principalement par des migrants d’origine africaine (Guinée Conakry, Sierra Léone, Nigéria, Cameroun…). D’après nos informations, un certain nombre de demandeurs d’asile, auxquels l’Etat est tenu d’offrir un toit, figuraient parmi eux.
Le problème « déplacé »
A 7h, la police a évacué les lieux sans violences physiques, selon plusieurs témoins. Elle a contrôlé l’identité de ses occupants, principalement des hommes seuls, mais aussi une dizaine de mineurs et des femmes, dont une enceinte. 4 ou 5 personnes sans papier auraient été arrêtées, avant probable expulsion.
L’une d’elle venait de commencer le rugby avec Ovale Citoyen, présente rue Lecoq pour donner un coup de main aux sans-abris, indique Jean-François Puech, un des fondateurs de cette association :
« Une dizaine de joueurs de notre équipe vivaient ici, et il faut reconnaître que les conditions sanitaires étaient déplorables. Mais ils commençaient à entrer dans un processus d’insertion, et cette expulsion vient un peu casser la machine. On a désormais au moins 70 personnes à la rue, dont la plupart n’auront pour alternatives que de dormir à la rue, d’aller dans d’autres squats ou d’en ouvrir de nouveaux. C’est un problème qu’on ne fait que déplacer. »
« Lieux insalubres »
La préfecture fait valoir qu’elle exécute une décision de justice du 22 septembre 2017 afin de restituer les locaux au propriétaire privé de l’ancienne boite. Motif :
« Outre l’illégalité de cette occupation, les lieux insalubres représentaient un risque important pour les personnes en terme de sécurité, notamment incendie. »
Responsable de la mission squat de Médecins du Monde, Morgan Garcia intervenait régulièrement dans le squat du Bootleg depuis son occupation par de premiers arrivants, à l’automne 2017 :
« Il y a d’abord eu là une vingtaine de personnes très solidaires entre elles. Mais avec l’augmentation du nombre d’occupants les conditions de vie se sont dégradées. L’électricité a été coupée, les caves ont été inondées, et il y a eu des bagarres violentes, à coups de couteau. Je ne sais pas si c’est cela qui a précipité l’expulsion. Mais la préfecture a une fois de plus expulsé sans se rapprocher des acteurs de terrain, ce qui contrevient aux instructions ministérielles sur l »éradication des bidonvilles. Que ce squat soit fermé n’est pas forcément une mauvaise chose en soi, mais il aurait fallu prévoir quelque chose derrière. D’autant que chaque expulsion remet à zéro le travail d’insertion entrepris. »
Un billet vers quelle destination ?
La préfecture assure qu’une « solution d’hébergement ou de logement sera proposée à toute personne relevant de l’asile ou en situation d’urgence sociale » :
« Les demandeurs d’asile seront reçus par l’OFII dans la journée et se verront proposer une solution d’hébergement dans l’un des centres d’accueil et d’orientation de Nouvelle-Aquitaine. Un billet de train leur sera remis et une prise en charge sera assurée à leur arrivée en gare ; les mineurs non accompagnés ont été conduits au COS, association missionnée par le conseil départemental de la Gironde, qui assurera leur prise en charge ; les personnes qui n’étaient pas en capacité de justifier de la régularité de leur séjour, ont été conduites au commissariat central de Bordeaux pour des vérifications d’usage ; les personnes en situation irrégulière auront vocation à quitter le territoire français. Toutes les autres pourront avoir recours aux dispositifs d’hébergement proposés par l’État avec le 115. »
Mardi, une expulsion de squats a également eu lieu dans un immeuble de la Cité Maurice Thorez, à Bègles, avec à la clé des obligations de quitter le territoire français (OQTF) pour des ressortissants albanais.
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