Les membres de l’association Label Nature de Saint-Genès-de-Lombaud pensaient avoir un moment de répit. La trêve aura duré 4 mois. Ils criaient victoire depuis le 6 avril dernier après leur procès gagné au tribunal administratif de Bordeaux : ce dernier a suspendu l’arrêté préfectoral autorisant l’augmentation de l’exploitation de la distillerie Douence. Depuis le lundi 27 août, ils déchantent.
« Nous avons constaté que depuis lundi une cheminée de plus de 50 mètres était en train d’être montée en lieu et place de la cheminée existante du séchoir à marcs. Une hauteur préconisée dans l’arrêté préfectoral du 11 novembre 2017 suspendu en avril 2018. L’industriel ne devrait procéder à aucune modification de son établissement et respecter scrupuleusement la réglementation », s’indigne Marine Schenegg, la présidente de Label Nature.
En effet, l’arrêté préfectoral du 11 novembre 2017 stipule que :
« Dans la perspective d’une réduction pérenne des nuisances olfactives, la surélévation de la cheminée du séchoir à une hauteur de 55 mètres, proposée par l’exploitant, et toute éventuelle mesure ou ensemble de mesures complémentaires, seront mis en œuvre avant le 30 juin 2018 ».
« Prouesse technique »
Une surélévation, dans tous les cas, insuffisante pour l’association :
« Cette nouvelle hauteur encore très inférieure aux sommets des coteaux ne garantit absolument pas une bonne dispersions des polluants et des odeurs sortant de cette cheminée », insiste Marine Schenegg.
La distillerie Douence est spécialisée dans la transformation des marcs et lie de raisin apportées par 3200 viticulteurs et emploie une trentaine de personne. Dans un communiqué de presse, l’entreprise l’assure :
« À cette altitude une réduction significative des odeurs, grâce à une plus grande dispersion dans l’atmosphère, doit être observée pour ce site industriel encaissé dans une vallée de l’Entre-Deux-Mers ».
Avant d’ajouter qu’il s’agit « d’une prouesse technique et une des rares installation en France à cette hauteur ». Elle suit les recommandations de la société Environnement AIR.
Une lecture simplifiée de la suspension ?
Les propriétaires assurent qu’ils ne se sont « pas posés une seule fois la question » concernant la cheminée. L’investissement (300 000 € portés exclusivement par l’entreprise), les études et les mises en conformité du terrain pour les travaux d’élévation de la cheminée étaient déjà commencés depuis l’autorisation de la préfecture. Les travaux ont débuté le 4 juillet et ont duré 9 semaines.
Ce n’est que lors de l’assemblage (prévu du 27 au 31 août 2018) que les riverains s’en sont rendu compte. Depuis le début des travaux l’usine est à l’arrêt complet, et son redémarrage prévu le 10 septembre. La chargée de communication de la distillerie poursuit :
« Cette cheminée est mise en place tout d’abord dans un souci d’apaisement. Les propriétaires ne nient pas les impacts environnementaux, ni les exigences des riverains. Les propriétaires considèrent que les travaux de la cheminée ne sont pas liés à l’expansion de la distillerie. Elle sert avant tout à améliorer les conditions de rejets des particules et de la vapeur, afin d’en réduire l’impact. »
Là encore Label Nature déplore de ne pas avoir pu mettre la main sur la délivrance d’un permis de construire ni même de la moindre déclaration de travaux, une compétence de la mairie. Elle a été déposée jeudi 30 août 2018 selon la communication de la la Distillerie Douence. Jean-Michel Douence l’édile de Saint-Genès-de-Lombaud confirme qu’une demande de déclaration préalable de travaux a été déposée par la Distillerie Douence « il y a quelques jours ».
« La demande est en cours d’instruction au niveau de la DDTM (Direction Départementale des Territoires et de la Mer). Cette demande est même affichée en mairie. On pourrait avoir l’accord dans l’heure ou dans les jours à venir ».
Une plainte en passe d’être déposée
Au vue de la surélévation de la cheminée, Label Nature a envoyé une lettre au maire de Saint-Genès-de-Lombaud lui enjoignant de prendre un arrêté interruptif des travaux en cours, de dresser un procès-verbal de l’infraction et de le transmettre au Procureur de la République.
Une demande similaire a été faite auprès de la préfecture de la Gironde :
«En tant que garant du respect de la chose jugée et de la légalité administrative, il (lui) appartient d’enjoindre à la SAS Distillerie Douence de cesser immédiatement tous travaux sur son site. »
La préfecture ne peut se charger que du contrôle de la conformité des demandes faites. En revanche, l’élévation de la cheminée est selon elle légale :
« L’ordonnance du Tribunal administratif a suspendu l’exécution de l’arrêté du 9 novembre 2017 mais cela n’a pas comme conséquence d’empêcher la distillerie de fonctionner. Le site continue de fonctionner sur la base de l’arrêté provisoire du 03 février 2011. Dans ce cadre, rien n’interdit à l’exploitant de faire évoluer ses installations en y apportant des modifications. La surélévation de la cheminée à 55 m est un engagement de l’exploitant, évoqué lors du CODERST du 06 juillet 2017. »
Ce qui confirme que la distillerie est dans son droit, quoiqu’en dise les réfractaires. Des membres de l’association ont toutefois tenté de déposer plainte à la gendarmerie de Créon ce jeudi 30 août 2018. Dans un courrier adressé à Rue89 Bordeaux ils prennent acte du conseil des gendarmes de s’adresser directement au Procureur de la République.
« Trois personnes se sont présentées à la gendarmerie de Créon. Ils se sont vus opposer un refus au prétexte que le maire de Saint-Genès-de-Lombaud est de la même famille que les dirigeants de l’usine. Il faut s’adresser au Procureur de la République qui décidera si la gendarmerie devra agir. »
Jean-Michel Douence, l’actuel maire de Saint-Genès-de-Lombaud était à la tête de la distillerie jusqu’en 2005 avant de passer la main à son frère Bernard Douence. L’entreprise a également fait l’objet de plusieurs arrêtés préfectoraux pour améliorer l’impact et la sécurité de son installation, depuis 1975.
Préserver la nature
Dans un communiqué de presse Bernard Douence, le président directeur général de la distillerie soutient que les améliorations des process, les investissements et la modernisation des installations sont aussi faits réduire l’impact sur l’environnement.
« En tant que maillon incontournable de la filière viticulture, nous souhaitons montrer à ceux qui soutiennent l’activité comme aux autres que nous avons à cœur de faire notre métier le mieux possible. »
10 % du chiffre d’affaires de l’entreprise seraient consacrés à optimiser les outils de production notamment dans les énergies renouvelables.
De son côté Label Nature, persiste et signe, au nom de la protection de Saint-Genès de Lombaud. Elle s’appuie sur plusieurs documents, en particulier l’avis défavorable de l’enquête publique (du 18 juillet 2016) sur le projet de demande d’autorisation d’exploiter, mais aussi sur le jugement du tribunal administratif de Bordeaux, qui stipule :
« Le moyen tiré de ce que la DREAL (direction régionale de l’environnement de l’aménagement et du logement) ne disposait pas d’une autonomie réelle à l’égard du préfet de Région, autorité compétente pour en autoriser l’exploitation, est, en l’état de l’instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté du 9 novembre 2017 autorisant l’exploitation de cette distillerie ».
L’arrêté préfectoral permettait à la distillerie Douence de produire 55 000 hectolitres d’alcool pur par an, contre 45 000 aujourd’hui. Après la suspension de l’expansion du tribunal administratif de Bordeaux, l’affaire sera jugée sur le fond.
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