Quand le téléphone sonne, c’est d’abord le silence qui s’installe. Olga Bedoya Campo regarde son mari Rodrigo Tamayo Arango et, avec un sourire crispé et un français approximatif, elle lâche : « On ne répond plus, c’est peut-être la police. »
Olga Bedoya Campo, 41 ans, se frotte les yeux, passe ses mains dans sa longue chevelure noire et tente une phrase en français. Elle esquisse quelques mots et, éprouvée par la fatigue, s’adresse finalement en espagnol à sa fille Claudia qui traduit :
« On voulait tout faire pour s’intégrer en France, sans forcément savoir ce qui allait vraiment se passer. Je travaille. Mon mari travaille. Nous déclarons nos revenus. Nos enfants sont scolarisés. Et depuis quelques jours, c’est la grande panique. Je ne dors plus et j’ai des douleurs dues à la fatigue et au stress. »
« Cette fois-ci, c’est bon »
C’est ensuite avec une voix calme et des gestes lents qu’elle tend ces relevés Cesu (chèque emploi service universel) pour des heures de ménage, les fiches de paie de son mari pour des travaux dans la vigne aux châteaux Carbonnieux et Smith Haut Lafitte, et l’avis d’imposition sur les revenus. Elle dresse chaque document avec insistance au bout des doigts comme pour conjurer le sort et faire annuler cette décision arrivée par courrier le 19 septembre à leur domicile : Obligation de quitter le territoire français le 15 octobre 2018.
Incrédule, Rodrigo Tamayo Arango, 46 ans, pose sur la table les consignes de la mission « éloignement » comprenant les modalités retenues pour le transport de chacun des membres de la famille : lui, sa femme, et ses deux enfants Antoine, 10 ans, et Danna, 8 ans.
Ses yeux bleus écarquillés, il montre les tampons de la préfecture où chaque lundi, assignés à résidence depuis cette funeste date de septembre, il devait se rendre avec toute sa famille à la préfecture de la Gironde. Sauf ce lundi, jour de l’aller simple pour Bogota, où ils ne se sont pas rendus ni à la préfecture, ni à l’aéroport.
« On venait d’avoir depuis juin le bail de location de la maison en notre nom, explique-t-il avec l’aide de Claudia. Après les foyers, les hôtels, les hébergements précaires, on trouve cette maison. D’abord en sous-location, on a tout fait pour qu’elle soit ensuite en notre nom. On s’est dit : “cette fois-ci c’est bon”. On était enfin soulagé avec les enfants d’être chez nous. »
Menaces et intimidations
Olga Bedoya Campo et Rodrigo Tamayo Arango, avec leur deux enfants, sont arrivés en France en décembre 2015. Ils se sont installés chez Claudia, fille d’Olga d’un premier mariage, arrivée elle en France en 2005 à l’âge de 12 ans pour rejoindre son père arrivé en 2000. En couple, Claudia, 26 ans, attend son deuxième enfant.
La famille, originaire de Cali, avait décidé de tourner définitivement le dos à son pays d’origine. Menacée par un cartel de la drogue, les quatre membres de la famille demandent l’asile dès leur arrivée en France.
« Notre grand-mère était installée sur un terrain en affermage depuis plus de vingt ans, raconte Claudia sous le regard grave de sa mère. Depuis quelques années, elle n’avait plus de nouvelle du propriétaire jusqu’à ce que des individus viennent demander son expulsion sans aucune preuve matériel de propriété. Elle porte plainte. Dès que la police s’en mêle, on découvre qu’il s’agissait de narcotrafiquants. Depuis, les menaces et les intimidations se multiplient envers tous les membres de la famille. »
Des menaces avec pistolet sur la tempe, des coups de fil anonymes… jusqu’à cette tentative d’enlèvement de la petite nièce à la sortie de l’école. Malgré les changements réguliers de logements, les menaces persistent. Olga Bedoya Campo et sa sœur décident de fuir avec leurs familles. Seule la grand-mère est contrainte de rester pour des raisons de santé. Arrivés en France, ils demandent l’asile à Bordeaux.
« Nous avons été notifiés d’un premier refus en juin 2017. Nous avons fait appel avec beaucoup d’espoir. On a continué à travailler, à scolariser les enfants, à chercher un logement, à apprendre le français, à vivre normalement… »
Ce qui n’a pas empêché la mauvaise nouvelle de tomber.
« Changer d’adresse »
Depuis, un élan de solidarité s’est formé autour de la famille. A l’école où sont scolarisés les enfants, les parents se mobilisent. Une initiative qui « a énormément surpris et réconforté » la famille colombienne.
« Ils sont Français de cœur et Bordelais d’adoption, argumente une parent d’élève. Ils veulent que leurs enfants grandissent ici, avec les nôtres, qu’ils continuent à jouer ensemble, à apprendre ensemble dans ce pays qui est désormais le leur. »
Dans l’urgence, les parents ont lancé une pétition qui a recueilli à ce jour plus de 600 signatures (lien ici). Des contacts ont été pris avec des élus dans l’espoir de susciter l’intérêt et trouver une solution suite à l’annonce « brutale » d’expulsion.
Dans l’attente, un conseil revient comme une ritournelle : « Vous devriez changer d’adresse pour échapper à une intervention de la police. » Un conseil que les Bedoya-Tamayo connaissent bien, comme une ironie du destin.
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