Avec une énergie comme on les aime au théâtre, Yacine Sif El Islam se lance dans une interminable et délicieuse tirade. Julien Duval, Franck Manzoni, Olivier Pauls et Bénédicte Simon répliquent au millimètre près. Sur un ton ironique, voire cynique, ils s’en prennent à une certaine bien-pensance et visent les idées reçues. Le personnage du premier a la nostalgie des McDo, et aimerait bien une bâfrée de nuggets, au risque d’accointance avec le « fascisme de consommation ».
Cette scène se situe vers le milieu de « La Nostalgie du Futur », la dernière création mise en scène par Catherine Marnas. Le dynamisme de l’échange interpelle in extremis le public emporté par une succession de saynètes, tantôt tragiques, tantôt comiques, dans lesquelles la pièce semblait ronronner. Il ouvre enfin la voie à une deuxième moitié du spectacle incisive et cinglante à la hauteur de son sujet, ou plutôt à la hauteur de celui qui plane sur son sujet.
En effet, la directrice du TnBA (Théâtre national Bordeaux Aquitaine) ouvre sa nouvelle saison, dans le cadre du FAB (Festival International des Arts de Bordeaux métropole), en mettant à l’honneur Pier Paolo Pasolini, qu’elle surnomme son « Jiminy Cricket », comprendre sa bonne conscience.
« C’était mieux avant »
En 2002, Catherine Marnas avait adapté un roman de l’écrivain italien, « Premier conte sur le pouvoir ». Mais ce deuxième exercice, qui nécessite de brasser toute la pensée de l’intellectuel assassiné pour son homosexualité affichée et son discours anticonformiste dans l’Italie de l’après guerre, est bien plus difficile.
Elle fait alors appel à Guillaume Le Blanc qui connaît et étudie la question de la « critique sociale ». Le philosophe travaille à partir de certains entretiens et écrits de Pasolini, et du film « Uccellaci e uccellini » (1966). Le résultat est proche du documentaire, nourri de reconstitutions théâtrales et d’insertions incessantes de vidéos grand format.
Pour Guillaume Le Blanc, « le regard de Pasolini a quelque chose à nous apporter aujourd’hui dans notre époque » :
« L’idée de Catherine Marnas était de placer mon regard sur le monde actuel au cœur de la pièce et de construire une forme de dialogue et même de controverses avec Pasolini ; entre son regard des années 1970, lié à une forme de nostalgie des vies anciennes disparues, d’où le thème de la disparition des lucioles, et mon regard contemporain des années 2000-2010, qui s’efforce de saisir les créations minuscules de formes de vie qu’on ne voit pas en général. »
« Au début des années 60, à cause de la pollution atmosphérique, et surtout, à la campagne, à cause de la pollution de l’eau (fleuves d’azur et canaux limpides), les lucioles ont commencé à disparaître » ; « La télévision est une des manifestations les plus tapageuses de cette culture de masse que le capitalisme impose » ; « La réalité nous lance un regard de victoire, intolérable : son verdict est que tout ce que nous avons aimé nous est enlevé à jamais », ces écrits de Pasolini ravivent, dans un duel avec Guillaume Le Blanc, l’éternelle question du « c’était mieux avant ». Celle-ci n’est pas prête de trouver réponse.
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