« C’est un projet simple, les galeristes se réunissent, décident d’une date, font une communication commune, en totale liberté », résume Nadia Russell Kissoon, responsable de la galerie mobile, Tinbox.
Depuis sa création par Marie-Christine Dulucq de la Galerie DX, le Weekend des galeries à Bordeaux en est ainsi à sa 5e édition, un anniversaire qui confirme son ancrage dans le paysage culturel.
Pour l’édition 2018, quatorze galeries ouvriront donc leurs portes du 23 au 25 novembre pour montrer des artistes certes, mais aussi affirmer leur apport à l’économie du marché de l’art.
Rue89 Bordeaux présente trois d’entre elles, séduit par les sujets et par la rareté des événements. Ce qui n’enlève rien à la qualité des autres expositions qui sont à visiter sans hésiter !
Galerie La Mauvaise réputation : « Moins X (et plus si affinités) » d’Éric Rondepierre
C’est un joli coup pour la Mauvaise réputation que d’inviter Éric Rondepierre. Pour sa première exposition à Bordeaux, l’artiste parisien, originaire d’Orléans, donne à voir ses « reprises de vue », ensemble représentatif de son travail connu pour ses profondes inspirations cinématographiques.
Avec un commissariat à quatre mains, Franck Piovesan (le galeriste) et Emilie Flory (commissaire indépendante ex-directrice artistique du centre image/imatge à Orthez) présentent une sélection qui confrontent la série Moins X (2003) à des images extraites d’autres séries, antérieures ou récentes. Le choix est toujours liée à l’érotisme, thème central de la série Moins X. Les images de celle-ci sont extraites de films classés X, passées ensuite en noir et blanc, procédé qui en brouille les codes et la lecture.
« L’érotisme est un thème présent dans mon œuvre, aussi bien dans mes livres que dans mes photos, confie l’artiste. Il est toujours là même s’il ressort plus ou moins dans certains travaux. »
Côté plus, certains gros plans ne laissent aucune place au doute. Côté moins, prenons le cas de l’image centrale dans la galerie, une image en couleur. Elle est extraite du film de Luis Buñuel, « Belle de jour ».
« Il n’y a rien d’érotique dans cette image, on n’y voit “rien”, explique Éric Rondepierre. C’est une scène banale, une scène de personnages dans un intérieur. Le choix de celle-ci est du au scénario du film qui raconte la perversion sexuelle d’une femme bourgeoise qui se transforme en prostituée pour assouvir ses fantasmes. »
C’est de l’entre-deux, de la transition. Ce que traque Éric Rondepierre entre les plans pour saisir l’instant où s’efface une scène pour laisser place à une autre, l’instant choisi au montage où le spectateur est porté par l’écriture cinématographique. Les photographies de l’artiste immortalisent cet instant qui dure généralement 1/24e de seconde et invisible lors de la projection du film. Il prend ainsi l’allure d’une coulisse dévoilée, un espace où l’on est rarement invité devenant ainsi voyeur par le caractère érotique des films.
Exposition jusqu’au 30 novembre
Galerie La Mauvaise réputation
10, rue des Argentiers à Bordeaux
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Rencontre avec l’artiste samedi 24 novembre à 18h30
Galerie Rezdechaussée : « Le Théâtre de la mémoire » d’Erwan Venn
Erwan Venn tutoie la mémoire depuis longtemps. Obsédé par son héritage, il ne cesse de l’explorer depuis la découverte du rôle de son grand-père dans les sombres périodes de l’histoire de la France. Une mémoire qui l’a forcé à se placer à distance en triturant de loin ses méandres. Il ne s’agit plus de « son » grand-père, mais « du » grand-père.
Ainsi, à la galerie Rezdechaussée, Erwan Venn, Breton devenu Bordelais depuis peu, re-déploie son interrogatoire du passé. Dans la vitrine de la galerie de la rue Notre-Dame, une œuvre de sa série « Headless » occupe les pleines mesures de la devanture. « En face de l’église, ces prêtres sans têtes fonctionnent très bien » lâche-t-il.
Ailleurs dans la ville, une autre vitrine fait le parallèle, la Vitrine des Essais, la galerie d’art du lycée Montaigne, 226 rue Sainte-Catherine. Ce volet a bénéficié de la contribution des étudiants d’hypokhâgne histoire de l’art.
Qui sont ces prêtres sans têtes ? C’est ce que l’artiste explore dans son passé après la découverte de vieux cartons contenant des photographies de famille devenant les indices des agissements du grand-père Breiz atao – autonomiste breton – pendant la Seconde Guerre mondiale. Inlassablement, l’artiste « purge ce passé sombre », « une tentative d’effacer par l’art ces souvenirs familiaux nocifs et tabous ».
« Ce sujet est porté sur la place publique, explique Erwan Venn. C’est l’écho à une extrême droite qui refait surface dans le monde contemporain. »
La mémoire pour alerter, c’est ce processus qui est entrepris par l’artiste jusqu’à la galerie Rezdechaussée.
« Il me semble important de regarder de ce côté-là au moment où les républiques en Europe deviennent de plus en plus autoritaires, où l’extrême droite s’installe avec le temps. »
Les murs de la galerie accueillent des dessins de blockhaus « disposés en nébuleuse en face d’un dessin du grand-père ». Des blockhaus de la Bretagne, du Cotentin, de la côté atlantique : Royan, Soulac-sur-mer… des endroits que l’artiste a explorés.
« C’est une super structure qui nous interroge sur ce qui reste de l’histoire du nazisme en France. Cette structure deviendrait une forme de structure mentale, quelque chose qu’on aurait encore dans la tête. »
Surtout aujourd’hui, en 2018, année du centenaire de la Première Guerre mondiale. Ironie du destin, l’exposition retrace un travail démarré en 2014. Une période 14-18 en quelque sorte, cent ans plus tard.
Exposition jusqu’au 4 décembre
Galerie Rezdechaussée
66, rue Notre-Dame à Bordeaux
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Galerie Tinbox : « Halte » de Margot Sokolowska
Depuis mercredi 21 novembre 2018, et pendant une semaine, Margot Sokolowska se lève à Lormont, à 7h, pour prendre le Batcub afin de se rendre rive gauche, place du Palais à Bordeaux, où elle réalise une performance de sept heures. Celle-ci se déroule sur sept jours et s’intitule Performance 49, chiffre multiple de sept.
« Je veux m’arrêter, dit-elle. Je n’habite pas la Tinbox, je m’y enferme. Il ne faut pas y voir une notion de souffrance, c’est un choix neutre. »
La galerie mobile Tinbox, conçue par Nadia Russell Kissoon pour l’espace public, met habituellement ses 6 m2 à la disposition des artistes. C’est la première fois qu’elle accueille une performance. Parallèlement, Margot Sokolowska présente l’exposition « Halte » dans cet espace réduit qu’elle a découpé en deux zones distinctes :
« J’ai décidé de traiter la Tinbox comme un tableau, de composer les taches et les couleurs comme sur un tableau. J’ai fait des cellules qui ont des fonctions différentes. La première est une galerie traditionnelle, la deuxième est une chambre réduite. »
C’est dans cette chambre réduite que l’artiste va créer un tableau vivant qui répond à ses peintures exposées où on la retrouve dans des postures « dynamiques ». Se considérant « meilleure matière pour travailler » et « modèle le plus docile » pouvant « être exploité », elle se met en scène, en peinture et en vrai.
Margot Sokolowska vit et travaille à Bordeaux depuis 12 ans. Elle est originaire de Łódź en Pologne où elle a fait ses études supérieures à l’Ecole nationale des Beaux-Arts. C’est la deuxième fois qu’elle expose dans une Tinbox. L’œuvre de la première exposition sera transportée début décembre en Inde, pour « jouer sur le don d’ubiquité » explique Nadia Russell Kissoon qui entend exploiter pleinement la mobilité d’un petit espace à une échelle planétaire.
Exposition jusqu’au 16 décembre
Galerie mobile Tinbox
Place du Palais à Bordeaux
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