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Comment l’extrême droite fait tache sur les Gilets jaunes bordelais

Certains leaders du mouvement des Gilets jaunes sont pointés du doigt pour leurs accointances avec le Rassemblement national ou les thèses complotistes. Rue89 Bordeaux a vérifié la présence dans le mouvement girondin des chapelles de l’ultra droite – FN, souverainistes, traditionalistes… Avec quelle influence ?

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Comment l’extrême droite fait tache sur les Gilets jaunes bordelais

Place de la Comédie, en ce jour d’acte 9 vers 17h, un face-à-face entre les Gilets jaunes et les forces de l’ordre promet de mal tourner. Les premiers arrivent par centaines par la rue Sainte-Catherine, les seconds bloquent le bas du cours de l’Intendance. Une première séance de gaz lacrymo et de sporadiques jets de pierres ont déjà mis tout le monde sur les dents.

Un mouvement de foule se déclenche côté allées de Tourny. C’est une bagarre qui éclate, à première vue entre gilets jaunes. Des coups de pieds et des coups de poing, certains dans le vide et d’autres qui font mouche. Une vingtaine de jeunes fuit le rassemblement vers le carrousel. Parmi eux, un prêtre. Derrière eux des cris s’élèvent : « Bordeaux antifa… Bordeaux antifa… »

« L’église partage elle aussi les préoccupations des Français et dénonce les injustices de ceux qui nous gouvernent », déclare à Rue89 Bordeaux le jeune prêtre d’une trentaine d’année, un gilet jaune par-dessus la soutane et un foulard blanc autour du cou.

Mon curé chez les Gilets jaunes

Il n’en dira pas plus. Ni si les « préoccupations des Français » avaient un rapport avec le mariage pour tous, ni si les « injustices » devaient être éradiquées chez les Français d’abord. Il expliquera à un autre Gilet jaune venu s’enquérir de son état après l’agression qu’il est rattaché à Saint-Eloi à Bordeaux. « Une église qui fait la messe en latin » précise-t-il. Et dépend de la Fraternité Saint Pie X, d’obédience traditionaliste.

Le prêtre de Saint-Eloi chassé avec un groupe de l’acte 9 des Gilets jaunes à Bordeaux Photo : WS/Rue89 Bordeaux

Dans le groupe chassé, un jeune fustige les manifestants en évoquant « l’intolérance » et « les racailles qui ont infiltré le mouvement pour le pourrir de l’intérieur ». Pendant que certains restent abasourdis par leur éviction, d’autres se rapprochent à nouveau des manifestants dans l’espoir de retrouver la foule. Finalement, tous rebroussent chemin.

Couleur politique

Ayant assisté à la scène, un gilet jaune, la cinquantaine, béret impeccable en Tweed marron-gris et moustache taillée au cordeau, approuve ceux qui ont chassé le groupe. « Ils ont bien fait je crois ». Pourquoi ?

« C’est ce qui s’appelle faire le ménage. Déjà que le mouvement devient un fourre-tout où chaque tendance vient réclamer ce qui l’arrange. »

Si plusieurs observateurs concèdent que le mouvement des Gilets jaunes n’a pas une couleur politique tranchée, la Fondation Jean-Jaurès s’interroge sur ses influences, dans un long article publié ce lundi sur son site, « En immersion numérique avec les Gilets jaunes » :

« Éric Drouet et Maxime Nicolle [deux des initiateurs du mouvement, NDLR] ne resteront peut-être pas les leaders incontestés des “gilets jaunes”. Cependant, tant qu’ils le seront, on pourra affirmer que le mouvement est de facto piloté par des sympathisants d’extrême droite. »

« … (vrais) Français »

C’est ce qu’affirme également Mounir (pseudo). Ce propriétaire d’un restaurant marocain sur la place Saint-Michel assure avoir remplacé le mobilier de sa terrasse au lendemain de l’acte 4, le 8 décembre 2018.

« Ils étaient 4 ou 5. Ils cassaient les tables et les chaises en criant “vous n’avez rien à faire ici”. Je suis resté à l’intérieur du restaurant avec le personnel. On avait baisser le rideau et on regardait de l’intérieur. Il n’y avait pas de clients. De toute façon, depuis que les Gilets jaunes manifestent chaque samedi, il y a moitié moins de monde. »

« La France aux (vrais) Français » donc comme on a pu le lire sur le dos d’un Gilet jaune filmé par Karfa Sira Diallo, le directeur de l’association Mémoires et Partages, le 5 janvier lors de l’acte 8 à Bordeaux.

La vidéo postée sur Facebook montre des partisans du Rassemblement national (ex-Front national). Parmi eux, Arnaud Lagarve, un ancien candidat FN lors des législatives de 2012 et RN aux municipales 2014, et Thomas Begué, ancien secrétaire départemental jeunesse du Front National Bordeaux. Les deux, ainsi que d’autres, ont été identifiés par le Collectif Pavé Brûlant. Le groupe, d’une dizaine de personnes, a été pris à partie et exclu du cortège.

Nationalistes et Frexit

On peut également retrouver d’autres mouvances nationalistes qui, sur leurs pages Facebook, signalent leur présence aux manifestations des Gilets jaunes.

Prenons comme exemple Action Française Bordeaux, qui se vante d’un « soutien massif des automobilistes » pour avoir accroché une banderole « Macron démission » le samedi 12 janvier sur un pont qui enjambe la rocade, ou encore la Communauté du Menhir qui invite les nationalistes Gilets jaunes à la rejoindre : « Ne manifeste plus seul dans ton coin. Nous sommes tous les samedi dans les rues de Bordeaux. »

Les partisans du Frexit (sortie de la France de l’Europe) battent également le pavé. UPR Gironde brandit chaque samedi ses banderoles par une vingtaine de ses militants : « Sans Frexit pas de RIC », « Macron destitution », « Frexit, récupérons notre démocratie ».

Les partisans du Frexit, samedi 12 janvier Photo : BG/Rue89 Bordeaux

Le cas Baron

Une des anciennes figures du parti souverainiste de François Asselineau, Sylvain Baron, tente par ailleurs de prendre la main sur le mouvement girondin, où il effectue actuellement le tour des ronds-points. Anti-européen, il qualifie Emmanuel Macron d’ « usurpateur et collabo à la solde de l’Allemagne » dans un post aux relents complotistes sur le traité d’Aix-la-Chapelle, bientôt signé par le président avec Angela Merkel.

Très radical, il estime par exemple dans une autre publication que les Gilets jaunes n’iront « au bout de [leur] Révolution, que dès lors que nous aurons constitué un Gouvernement provisoire ». Mais il tente de rallier la police et l’armée à son projet, en annonçant qu’il va distribuer une lettre aux chefs de corps dans de nombreux régiments et bases militaires en France, durant les prochains jours. Il annonce, par ailleurs, la création d’un « alter-média » avec Vincent Lapierre, journaliste anciennement dévoué à Alain Soral.

Affichant son légalisme, Sylvain Baron s’affirme responsable des déclarations en préfecture pour une partie des manifestations à Bordeaux et publie régulièrement des vidéos pour donner des consignes. Ce qui lui attire les critiques d’autres Gilets jaunes, d’autant qu’il publie sans complexe des propos insultants contre certaines figures politiques aimées des Français, comme Simone Veil.

Oscar Cito

Un autre type d’infiltration se déroule également sur les réseaux sociaux. Le but n’est pas de gagner du terrain mais de l’embrouiller. Un de nos journalistes en a fait les frais. Déjà cible de la fachosphère sur les réseaux sociaux en réaction à ses articles sur l’extrême droite, puis physiquement pris à partie lors d’une manifestation, sa photo a été utilisée comme profil Facebook d’un certain Oscar Cito (l’image a été retirée depuis), troll aux idées douteuses.

Objectif : que notre confrère soit identifié comme un partisan de l’ultra-droite par les militants antifascites bordelais, et soit ensuite agressé dans les rassemblements du samedi.

A ses posts facebook, le présumé Oscar Cito intervient sur des forums comme ces commentaires postés sur un blog à propos de l’algarade entre Gilets jaunes et militants d’ultra-droite. Il y accuse l’extrême gauche de « gangréner » les Gilets jaunes.

Aujourd’hui, on ne saurait dire quel camp est le plus efficace dans cette guerre d’influence.


#gilets jaunes

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