Planes nous donne ce qui pourrait être des fragments d’un journal intime. En a-t-il tenu un ? Je ne sais pas ; mais je sais que nombreux sont ceux qui redoutent qu’un tel journal existe. Il ne manquerait pas de dévoiler quelques secrets et de décocher quelques flèches acérées sur ceux qui se croient protégés par leur pouvoir ou leur richesse. Malicieusement, Planes montre qu’en la matière il sait faire.
La mer jamais loin
Dans « Une vie de soleil », le prétexte peut sembler léger – les plages, le soleil, la mer, le farniente, les plaisirs. Mais qu’on ne s’y trompe pas ; Planes sait quel est le prix à payer pour cette insouciance passagère. Les fantômes des êtres aimés peuplent toujours l’évocation du passé – la silhouette du père vénéré, celle de la mère, de la sœur tant aimée, des amis, ceux qui lui furent fidèles, ceux qui l’abandonnèrent.
Pour qui vit à Bordeaux (même si Planes a fait quelques escapades à Ibiza ou à Madagascar), la mer n’est jamais loin, de l’île de Ré à la Côte basque, en passant par le Bassin d’Arcachon, le Pyla, côté riche, le Cap Ferret, côté snob. Aussi est-elle souvent mêlée aux jeux de l’enfance qui se poursuivent longtemps encore à l’âge adulte, jeux dans les vagues, jeux dans les dunes ; rêveries sur la Chambre d’Amour, souvenirs d’autres chambres également accueillantes mais moins tragiques.
L’on peut même, à quelques mètres de la brisure des vagues, travailler presque sérieusement comme lorsque Jean-Marie Planes prépare, sur le sable, l’oral de l’agrégation ou corrige les copies de ses élèves du Lycée d’Arcachon. Et l’on y revient toujours, lors même que les rêves se sont évanouis.
Tintin et Marie Laforêt
Jean-Marie Planes a croisé, au cours de sa vie, bien des gens célèbres du monde des lettres ; quand il ne les a pas interrogés pour la presse ou la télévision, quand il n’a pas entretenu avec eux des relations d’amitiés, il a lu leurs livres et ils font partie de ses familiers ; il n’en tire aucune gloriole et les traite avec la même distance amusée qu’il réserve à des rencontres plus éphémères.
A une exception près, qui nous vaut des pages pleines d’humour. Il est vrai qu’il s’agit de Marie Laforêt, dont Planes était amoureux quand il était adolescent (il n’était pas le seul…) et qu’une amie lui fait rencontrer, quelques cinquante ans plus tard.
« Dans sa cuisine, surveillant la cuisson des tagliatelles, encouragée discrètement depuis la chambre par un enregistrement de Cecilia Bartoli, elle chantait l’aérienne aria de Haendel, Lascia la spina. Eh bien, quand on a vu, devant ses casseroles, cette dame aux yeux d’or, avec un tablier blanc et, dans la main, une cuillère en bois, quand on a entendu la voix de couleur grise/ qui s’élève au lointain du chant qui s’est perdu, si l’on en croit le professeur Tournesol dans Objectif lune, page 4, découvrant dans son “périscope stroboscopique” la terre à dix mille kilomètres de distance, “quand on a contemplé pareil spectacle, eh bien, on peut mourir ! » Tintin et les autres passagers sont moins pressés. » (page 44)
Insolente bousculade
Qui peut, en quelques lignes, passer, comme en se jouant, d’Yves Bonnefoy évoquant Kathleen Ferrier à Marie Laforêt chantant en même temps que Cecilia Bartoli une aria de Haendel pour terminer sur une citation de Hergé, si ce n’est Jean-Marie Planes ?
Alors que tant d’autres nous auraient assommés de dix pensums, son art tout de retenue et d’élégance glisse sans appuyer. Les références de Planes montrent à l’envi sa liberté à l’égard des normes académiquement reconnues. La chanson, le cinéma, la bande dessinée, Mozart, Duras ou Julien Green, Rembrandt et l’Evangile, s’y côtoient en un mélange jubilatoire, en une insolente bousculade.
La mort, pourtant, est toujours présente, la douleur aussi, mais sans que jamais elles soient l’occasion d’un apitoiement sur soi – l’autodérision vient ébaucher un sourire quand les larmes sont proches.
On annonce beaucoup de livres en ce début d’année. On fait, à grand renfort d’articles et même de décorations, la promotion de tel ou tel. Il serait dommage que cela nous empêche d’entendre une voix, celle de Planes, qui sans rien renier de la beauté des choses sait nous en dire la fragilité – grande tradition, certes, mais un peu malmenée par les temps qui viennent.
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