La découverte vendredi 26 juillet de 300 stères (300 mètres cubes) de grumes de pin fraîchement coupées a mis le feu aux poudres du côté des défenseurs de la forêt usagère de La Teste de Buch, site classé et protégé depuis 1994 au même titre que la Dune du Pilat. La réaction n’a pas tardé.
Ce dimanche matin, une dizaine de personnes ont éparpillé les piles de stères de pins entreposées le long d’un chemin forestier. Ils ont ensuite tronçonné les grumes afin d’empêcher leur commercialisation.
« Nous agissons pour entraver l’enlèvement et la vente de ce bois. C’est du vol… » s’indigne Christian Gousset, président de l’ADDUFU (Association de Défense des Droits d’Usage et de la Forêt Usagère de la Teste) qui rappelle le statut unique en France de la forêt usagère de La Teste, forêt privée grevée de droits d’usage consignées dans des « baillettes et transactions » depuis le XVe siècle.
« En forêt usagère, les propriétaires possèdent seulement le sol mais pas les arbres. Le boisement appartient à tous les usagers, c’est-à-dire les résidents des communes de La Teste, Gujan-Mestras, Arcachon et une partie du Cap Ferret. Ils ont le droit de prélever gratuitement du bois de chauffage. Pour prélever du bois de construction pour un projet personnel, il faut résider sur l’une des communes depuis au moins 10 ans et faire une demande auprès des syndics de propriétaires et d’usagers. Le propriétaire qui vient de procéder à cette coupe ne peut en aucun cas être considéré comme usager puisqu’il réside en Belgique. Il ne peut pas non plus commercialiser le bois qui appartient à tous les usagers. Il est donc dans l’illégalité la plus complète. »
« Les propriétaires doivent revendiquer leurs droits »
Thibaud Lemaire, le propriétaire belge incriminé par l’ADDUFU, qui ne s’était jamais exprimé jusqu’ici, a accepté de rencontrer Rue89 Bordeaux. Il n’infirme ni ne confirme la coupe de bois récente et ne souhaite pas dire s’il a demandé les autorisations aux syndics, à la Mairie ou encore à la DREAL (Direction Régionale de l’Environnement) compétente pour le site classé. Il s’appuie sur le guide de recommandations paysagères pour la gestion forestière du massif de La Teste de Buch de 2008
« Ce guide autorise des coupes de moins de 30% de tiges (arbres NDLR) en éclaircies, des coupes de régénération » affirme le propriétaire sur la foi d’un arrêté préfectoral de 2009 qui stipule que « les travaux dans les espaces naturels protégés de la commune de La Teste sont soumis aux prescriptions du guide. […] Le bois m’appartient puisque je suis l’unique propriétaire sur mon acte de vente ! »
Sur la question de sa nationalité belge qui l’empêcherait d’être considéré comme un usager de la forêt, il répond :
« La France est dans l’Europe et a signé tous les traités concernant la libre circulation et la libre installation des citoyens européens. Les baillettes et transactions ne peuvent pas être contraires au droit européen, c’est à la France d’adapter sa législation. »
Une vision des choses loin de convenir à l’association qui rappelle que le propriétaire belge est un récidiviste.
Quatre plaintes depuis 2018
En effet, Thibaud Lemaire, mis en cause par l’ADDUFU dans cette nouvelle coupe, fait l’objet de quatre plaintes depuis un premier abattage de pins réalisé en septembre 2018. Des plaintes déposées par l’ADDUFU, mais aussi l’association Bassin Arcachon Ecologie ainsi que les municipalités de Gujan-Mestras et La Teste. « La coupe et des irrégularités liées au site classé » avaient alors été constatées, comme la présence d’un mobil-home alors que toute construction est interdite dans le site classé. Un mobil-home toujours en place dix mois plus tard.
« Pour la deuxième fois consécutive en moins d’un an, ce propriétaire se permet de procéder à une coupe illégale de pins vifs. La lenteur du traitement des plaintes de la première affaire ne l’a pas découragé à recommencer… » regrettent les membres de l’ADDUFU présents ce dimanche. Ces derniers s’étonnent également que le bois coupé ait pu être entreposé dans la partie de la forêt appartenant à l’ONF (Office National des Forêts). « Les exploitants forestiers qu’ils sont ne peuvent pas ignorer l’origine de ce bois… »
Selon un document que Rue89 Bordeaux a pu consulter, le contrat passé en 2018 par le propriétaire et un exploitant forestier lors de la première coupe en septembre 2018, prévoyait un acompte de 20 000 € au profit du propriétaire pour la vente du bois.
« C’est notre forêt »
Patrick Raufaste est chef de battue à l’association communale de chasse agréée. C’est lui qui a découvert la coupe vendredi dernier lors d’une promenade :
« Le prix du bois a triplé en 10 ans, ces 3800 hectares de forêt naturelle attisent les convoitises… Ce bois ne peut pas être vendu, c’est notre forêt et on essaye de la protéger contre les promoteurs et tous ceux qui ne respectent pas les droits d’usage ! »
Thibaud Lemaire, propriétaire de 40 hectares depuis deux ans, affirme quant à lui avoir de grands projets pour la forêt :
« Je suis pour les droits d’usage. J’ai repris cette forêt pour relancer le gemmage, régénérer la forêt et y intégrer une série d’activités comme le vélo, la chasse, la marche à pied, et pourquoi pas créer des emplois. Les propriétaires doivent revendiquer leurs droits. »
Ce lundi 29 juillet, sous l’œil des forces de l’ordre, une soixantaine d’adhérents de l’ADDUFU ainsi que des élus, se sont rendus en forêt usagère. Ils ont rencontré le directeur et les employés de la société chargée de l’abattage des pins qui avaient repris le travail ainsi qu’un représentant de l’ONF. L’entreprise a accepté d’arrêter son chantier. L’association de défense des droits d’usage déposera plainte dans la semaine.
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