Ce petit papier plié en quatre, précieusement gardé dans son portefeuille, lui redonne le sourire. Ce soir Amin (tous les prénoms ont été modifiés) dormira dans un centre d’accueil d’urgence géré par Emmaüs sur la rive gauche de Bordeaux. Cette solution est temporaire mais il espère qu’elle lui permettra de tourner la page et de se construire un avenir.
Comme 70 autres personnes, ce petit brun dynamique de 24 ans, originaire du Maroc, dormait en effet depuis près de deux semaines dans le hall de la Bourse du travail. Le Samu Social y a recensé fin juillet 58 personnes disposant en majorité du droit d’asile.
Mais ce sont les familles qui ont été orientées en priorité vers un hébergement. Désormais, a-t-on appris ce jeudi, la préfecture, l’OFII (office français de l’immigration et de l’intégration) et le 115 ont proposé des solutions d’hébergement à l’ensemble des occupants. Jointe par Rue89 Bordeaux, la préfecture n’a pas souhaité faire de commentaires.
Expulsés des squats par la préfecture, les occupants de la Bourse du travail avaient investi ce bâtiment de la mairie de Bordeaux, avec l’accord de la CGT qui y dispose de ses bureaux. Dans l’attente de propositions de relogement, il ont alors fait avec les moyens du bord et le soutien des syndicats CGT et CNT, d’associations telles qu’Ovale Citoyen, le réseau éducation sans frontière, Médecin du Monde ainsi que des collectifs et citoyens militants.
Chaque soir des bénévoles sont venus passer la nuit sur place afin d’assurer soutien et sécurité des migrants. Pendant la journée, c’est à quelques rues de là, à l’Athénée libertaire, qu’ils ont trouvé refuge. L’espace associatif militant ne désemplit pas depuis qu’il a ouvert ses portes à un accueil de jour, mi-juillet.
« Chaque matin est un combat »
Devant le grand panneaux blanc où sont affichés les adresses utiles, des offres d’emploi et les plannings d’ateliers, les uns et les autres s’inscrivent. Entre conseils juridiques, permanence d’orientation de santé, réparation de vélos ainsi qu’un atelier de cuisine autogérée, les réfugiés et leurs soutiens animent les lieux. Grâce à une cagnotte et aux dons alimentaires, ce sont en effet près de 150 repas qui préparés chaque soir et certains midis de la semaine.
« Depuis 3 semaines, on a eu la chance de ne pas avoir un seul jour sans manger » explique Lucas*, un souriant quadragénaire ivoirien, participant de la cuisine collective. « Une solidarité qui fait chaud au cœur » assure-t-il.
Ce fils de gendarme, diplômé en logistique et chauffeur poids lourd, distribuait de l’aide alimentaire en Côte d’Ivoire. Il se sent donc dans son élément ici.
« Chaque matin est un combat mais au moins ici tu oublies le stress, tu te sens utile. » Désignant des deux mains sa chemise impeccable, il ajoute: « Quand tu as traversé tout ce qu’on a traversé, la dignité ça n’a pas de prix. »
Membre du Collectif des Migrants de Bordeaux, il co-anime aussi la page Facebook qui relaie les événements, la liste des besoins réactualisée quotidiennement ainsi que les points réguliers sur l’évolution de leur situation. Devenu un outil central de la mobilisation, le collectif gère les différentes commissions d’organisation (santé, communication etc) et sillonne les marchés de la région afin de sensibiliser la population. Dimanche midi un stand d’information et une collecte seront organisés au Wanted café, place des capucins.
« Il y a un mois, je n’aurai jamais cru tout cela possible » lâche Pauline une bénévole du Collectif des Migrants de Bordeaux.
Une situation précaire
Même si les inquiétudes persistent. La Bourse du travail ferme ses portes, et avec elle son unique douche pourtant précieuse. Quant à l’accueil de jour, son activité n’est prévue pour l’instant que jusqu’à la fin du mois.
Or si tous les migrants rencontrés à la Bourse ce jour semblent avoir une solution d’hébergement pour ce jeudi soir, l’Athénée voit sa fréquentation se renouveler constamment. Trouver des solutions durables relève donc toujours de l’urgence pour les nombreux bénévoles rencontrés sur place. Contactée, la préfecture ne souhaite pas communiquer sur la situation.
« Les solutions de logement sont une avancée mais on pourrait re-remplir la Bourse ce soir (jeudi) », s’inquiète Jean-François Puech, président de l’association Ovale Citoyen.
« L’ensemble du dispositif social existant est saturé. On le voit bien le lundi et le vendredi quand l’atelier cuisine est fermé le midi, les autres structures ne peuvent compenser. »
Au tableau de l’Athénée libertaire, seules deux associations proposent l’entretien du linge. Et dans les faits, il repose essentiellement sur la volonté de bénévoles qui font des machines chez eux. Quant aux squats, ils ne permettent souvent pas des conditions d’accès aux sanitaires et à une alimentation optimale.
« Pour ceux qui ont obtenu l’asile, le logement relève des obligations de l’Etat mais pour ceux en attente d’une décisions administrative la situation reste très difficile » ajoute Jean-François Puech.
« Une bonne nouvelle pour les familles »
Insistant sur l’absence de statut juridique des mineurs lorsqu’il font un recours pour la reconnaissance de leur minorité, il s’inquiète de la situation à venir cet hiver. Il espère donc l’engagement d’une collectivité territoriale dans un bail précaire afin de créer une « zone tampon » destinée à héberger les personnes en attente de traitement de leur situation.
Quant à Corinne Versigny, secrétaire générale de la CGT 33, dont le bureau se trouve dans le bâtiment, elle estime que la solution de ce « drame humanitaire » est une « bonne nouvelle pour les familles » qui ont été logées sur des dispositifs pérennes.
Mais « cette situation est le révélateur d’une politique libérale et financière » et « les besoins sur l’agglomération sont tels que dès qu’une personne obtient un logement, une autre prend sa place » nous disait-elle aussi en début de semaine.
A l’instar d’Eric Chevance du collectif Bienvenue, dans une vidéo publiée il y a quelques jours, l’Union départementale CGT en appelait aux collectivités locales à recourir à leur pouvoir de réquisition des quelques 20 000 logements vides de l’agglomération. La situation semble donc loin d’être réglée.
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