Média local avec zéro milliardaire dedans

Menacé de mort dans son pays, un journaliste tadjik réfugié à Bordeaux risque l’expulsion

Urmondzhon Sufiev a fui le Tadjikistan où il est harcelé par le régime suite à une enquête sur la corruption. A Bordeaux, sa demande d’asile avec sa famille vient de lui être refusée et une procédure d’expulsion est sur le point d’être engagée. Une pétition est lancée et un comité de soutien créé. Rue89 Bordeaux a rencontré le journaliste exilé.

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Menacé de mort dans son pays, un journaliste tadjik réfugié à Bordeaux risque l’expulsion

Il a voulu aller le plus loin possible de chez lui tellement il y était harcelé, intimidé, et menacé. En février 2019, Urmondzhon Sufiev arrive en France, pour lui « pays européen symbole d’humanité et de solidarité », et plus exactement à Bordeaux.

Accompagné de sa femme et de ses trois enfants, il n’a pas débarqué au port de la Lune parce qu’il avait un contact, un ami ou un membre de la famille, comme souvent pour les réfugiés qui choisissent de s’éloigner de leur pays d’entrée en Europe et bravent le règlement Dublin. Urmondzhon Sufiev et sa famille ont seulement choisi la « ville française la plus éloignée de Douchanbé », la capitale du Tadjikistan où ils vivaient et d’où ils ont fui. Vivant aujourd’hui dans un modeste logement à Bègles, ils ont vécu cinq mois à la rue à Bordeaux, s’y sentant tout de même en sécurité.

Né en 1964 en Ouzbékistan, Urmondzhon Sufiev est journaliste sous le nom de Zafar Sufi, rédacteur en chef et fondateur en 2007 de Ozodagon (« Libre » en français), groupe qui comptait une agence de presse, ainsi qu’un journal imprimé à 15000 exemplaires dont une version en ligne est toujours accessible mais plus mise à jour.

Une enquête qui dérange

Ozodagon est un des très rares médias indépendants tadjiks. Son fondateur exilé raconte à Rue89 Bordeaux :

« Il y a au Tadjikistan 150 médias environ. Plus de la moitié appartient à l’État et l’autre moitié est quasiment sous son contrôle. En plus d’Ozodagon, un autre média indépendant tentait de résister à la pression du gouvernement. Il s’appelait Nigah. Il a été contraint de fermer et son fondateur est aujourd’hui exilé en Pologne. »

Avec une rubrique politique très engagée, Ozodagon a fait un choix risqué dans le pays le plus pauvre de l’ex-URSS, peuplé de 8 330 946 habitants et tenu de main de fer par un dictateur depuis 25 ans :

« Le Tadjikistan est une république, enchaîne Urmondzhon Sufiev. Initialement un président était élu pour 5 ans, quinquennat qui a été transformé en septennat par l’actuel président Emomali Rakhmon. Ce dernier, faute d’opposition, assure finalement sa réélection sans obstacles. Il s’est autoproclamé guide suprême. Et il en a profité pour mettre en place un système qui bénéficie à lui et aux membres de sa famille. »

C’est justement une enquête d’Urmondzhon Sufiev datant de 2013 sur le beau-frère du président, grand manitou du système bancaire du pays et soupçonné de corruption, qui accroît la pression sur le journaliste et toute l’équipe de sa rédaction.

En 2015, lâchée par ses annonceurs harcelés à leur tour par le régime, la version papier d’Ozodagon disparaît et ses 50 journalistes fuient le pays.

La famille arrivée à Bordeaux en février 2019 (DR)

Famille harcelée

« Suite à cet article, je suis convoqué au tribunal, raconte Urmondzhon. L’audience étant publique, l’ambassadeur américain alerté est venu y assister en tant qu’observateur. Le régime est au courant et demande l’annulation des charges retenues contre moi ». 

C’est le début d’une série interminable d’intimidations : menace de torture et de mort, sabotage de la voiture, harcèlement des enfants à l’école et à l’université… La fille d’Urmondzhon Sufiev, Raufova, raconte la gorge serrée :

« Mes professeurs disaient devant les autres élèves que mon père était un ingrat qui insultait l’État alors que ses enfants profitaient de ses universités. J’obtenais des stages où on me disait que j’étais la fille d’un traître. J’étais souvent suivie sur le chemin de la maison par une voiture noire… »

Reporters sans frontières (RSF) a vérifié les récits du journaliste et apporté son soutien à la demande d’asile à Bordeaux du journaliste et de sa famille dans une lettre adressé à Fabienne Buccio, préfète de Gironde. « Le parcours de M. Sufiev illustre le caractère extrêmement préoccupant de la situation de la liberté de la presse au Tadjikistan », pays classé sur cette question par l’organisation 149e sur 180 en 2018, écrit l’ONG.

« La dérive répressive du président Emomali Rakhmon […] ne cesse de s’aggraver. Sous couvert de lutte antiterroriste, le pouvoir a réduit la presse au silence et éliminé l’opposition politique. Menaces téléphoniques, convocations par les services secrets, intimidations et chantage font partie du quotidien des derniers journalistes indépendants. Comme M. Sufiev, des dizaines d’entre eux se sont résolus à l’exil ces dernières années. »

Appel à l’assassinat

Le comité d’État pour la sécurité nationale (GKNB) n’a pas ménagé ses efforts pour inquiéter Urmondzhon Sufiev. Il a orchestré une campagne de dénigrement jusqu’à l’accuser de connivence avec le Parti de la renaissance islamique (officiellement interdit en 2015). Il est régulièrement parvenu à bloquer l’accès au site internet d’Ozodagon à partir de 2012.

En 2013, après l’affaire de son article, il se réfugie au Kirghizistan où il rejoint son fils parti faire des études. Urmondzhon Sufiev fonde alors une nouvelle agence de presse, Catoday. Il s’apprête à lancer une chaîne de télévision, SNT TV, mais doit fuir pour éviter une nouvelle arrestation commanditée par le régime tadjik.

Sa fuite le conduit en Iran, au Kazakhstan, puis en Russie. Il se résigne enfin a accepté le chantage du GKNB : fermer Catoday et obtenir en échange la sortie de sa famille du pays. Mais malgré l’exil, le journaliste reste exposé aux représailles dans les pays de l’ex-URSS très liés au Tadjikistan.

Une nouvelle arrestation est ordonnée dans des procédures judiciaires montées de toutes pièces contre lui. Les médias proches du gouvernement vont jusqu’à demander son assassinat. RSF, avec la complicité de Freedom House, une organisation de défense des droits humains, parvient à faire entrer Urmondzhon Sufiev et sa famille en Europe, via la Lettonie.

Mobilisation

Le 16 septembre à Bordeaux, alors que Urmondzhon Sufiev a demandé l’enregistrement de la demande d’asile sur le territoire français pour lui et sa famille (et non pas en Lettonie comme l’exige le règlement Dublin), le Tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa requête.

Désormais, il est sous le coup d’une décision de transfert qui peut intervenir à tout moment sur ordre de la préfecture. En effet, Urmondzhon Sufiev et sa famille sont assignés à résidence avec obligation de se présenter au commissariat de police tous les lundi.

Un recours est déposé sans pour autant être suspensif de la décision de justice. 

Au lycée Magendie où est scolarisé le plus jeune des enfants Sufiev, une pétition a été lancée et a déjà recueilli plus de 400 signatures, notamment d’enseignants. Par ailleurs, un comité de soutien a été créé ce jeudi et une pétition a été ouverte par le Réseau éducation sans frontières.


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