La sélection 2019 du FIFIB s’est positionnée sans thématique cette année mais nous interpelle avec cette question : Sauver l’amour ?
Et si sur ce sujet, les poissons nous en apprenaient bien plus que ce que nous pouvions imaginer ? Parce qu’aux origines du monde, il y a la vie aquatique, prêtons un plus attention à nos amis les poissons.
Poisson-zèbre
« Quand on comptabilise les poissons on ne parle pas d’individu, on en parle en poids, en kilos, en tonnes … » nous dit le réalisateur du film Poissonsexe, Olivier Babinet.
Il est vrai que le poisson est souvent mis au pluriel. Il vit groupé, apparaît dans les livres, les dessins animés et dans les filets de chalutiers en banc. On évoque le poisson au singulier uniquement lorsqu’il est rouge ou d’avril. Et si un jour il n’en existait plus qu’un ?
« Le jour où ça arrivera on mettra l’info sur Facebook, on regardera ça à la télé et on continuera à remplir notre frigo, à être martyrisé par un chef irascible, à avoir peur du chômage, à vouloir être amoureux, à vouloir un enfant… », ironise le réalisateur.
Dans Poissonsexe, le dernier animal marin est une baleine. La planète se connecte sur un site qui permet de suivre à travers les océans, la trace de cet animal désorienté à l’image des protagonistes.
Comment repeupler les océans dévastés ? Dans le film, les scientifiques de l’INRIS misent tout sur Adam et Eve : deux poissons-zèbres qui ont sur leurs épaules la survie de l’humanité. Puis Daniel (Gustave Kervern) le physicien du labo, va faire la rencontre d’un être étrange, une sorte de poisson à pattes, connu des scientifiques pour être un axolotl, ici baptisé Nietzsche.
« Le film peut paraitre loufoque mais il ne se base que sur des choses vraies, indique Olivier Babinet. J’ai commencé par lire beaucoup sur le dérèglement de la sexualité des poissons, les mutations, les disparitions d’espèces, les rejets médicamenteux dans l’eau, le pénis des humains qui rétrécit à l’échelle mondiale, la féminisation des espèces… »
Poisson sans fin
Pour avoir l’avis d’une spécialiste sur la question, nous avons contacté Laure Carassou, chercheuse en écologie aquatique à L’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (IRSTEA). Au quotidien, elle aborde le sujet des poissons comme des individus, elle étudie leur relation à leur habitat et leur environnement en général. Le discours de celle qui observe les poissons de l’Estuaire de la Gironde est sans équivoque :
« Il y a une dégradation générale des écosystèmes aquatiques. Au cours des dernières décennies on a observé de manière très évidente des modifications des conditions physico-chimiques et des populations de l’Estuaire. C’est toujours difficile d’identifier la cause principale qui provoque tous ces changements : il y a des causes globales associées au changement climatique et des causes plus locales associées aux activités de l’homme ; notamment la pêche intensive et différentes formes de pollution qui vont dégrader la qualité des eaux. Le dernier rapport de l’IPBES dresse un état des lieux alarmant sur l’état de la diversité mondiale. Il y a clairement une chute draconienne de la biodiversité à l’échelle planétaire et à une échelle plus locale on l’observe sur les poissons de l’Estuaire. »
La situation écologique est critique mais qu’on se rassure, les scientifiques interrogés nous ont garanti que la fin des poissons n’était pas pour demain.
« Je ne pense pas qu’il soit possible d’imaginer une forme consciente du refus de la reproduction par l’animal », nous répond Georges Debrégeas.
Directeur de recherche au CNRS, ce physicien travaille dans le domaine des neurosciences comportementales à travers un petit animal modèle très simple : le poisson-zèbre, le même que les Adam et Eve du film.
« La reproduction des poissons est un processus fragile. L’animal ne pond pas si les conditions ne sont pas favorables au développement de sa descendance. Mais la puissance évolutive est telle que le besoin de se reproduire sera la dernière chose qui disparaitra je pense. »
Entourloupe poétique
Georges Debrégeas a porté son regard scientifique sur le film. Il est ami avec Olivier Babinet et par le plus grand des hasards, il a commencé à étudier l’activité cérébrale des poissons au moment où le cinéaste travaillait sur son film. Le scientifique a ainsi été une ressource précieuse en fournissant des images de cerveaux de poissons en activité.
« Olivier montre le suicide collectif du monde animal par une forme de dépression massive qui les conduit à ne plus vouloir se reproduire. C’est de l’anthropomorphisme clairement assumé où on s’éloigne de la réalité. En tant que scientifique on fuit toujours l’anthropomorphisme. Ça crée un biais d’interprétation alors qu’on travaille sur le comportement animal, il ne faut pas projeter des sentiments humains dans ce que fait l’animal. »
Mais « en même temps », le physicien « trouve cette approche très pertinente d’un point de vue politique »:
« C’est difficile de traduire ce que représente pour nous humains la disparition d’espèces non humaines. La relation intime de Daniel à Nietzsche illustre très bien la perte globale de la relation de l’humain à l’animal. C’est une entourloupe poétique que je trouve très touchante.
Il y a un enjeu de l’art en général à traduire ce qu’est une catastrophe écologique qui est tout à fait illustré ici. La disparition des espèces c’est la perte d’un certain type de beauté, de relation au monde et une perte irréversible. »
Fantastique
Dans ce scénario catastrophe, on se laisse glisser avec délectation dans le registre fantastique et humoristique. Olivier Babinet maîtrise à merveille ce mélange des genres avec en personnage principal cette créature tout droit sorti d’un conte océanique : l’axolotl.
« J’ai été complètement fasciné par cet être, par son côté très expressif, raconte-t-il. On dirait qu’il sourit alors il est mignon et quand il ouvre la bouche il est presque effrayant ; il est carnivore, ressemble un peu à un sexe mais aussi à un Pokémon (d’ailleurs il y en a un qui porte son nom). J’ai aussi découvert qu’il avait des propriétés incroyables : s’il perd un membre son os va repousser, s’il perd un œil il se reconstitue, idem pour des parties de son cerveau. Ensuite, avec le coscénariste David Elkaïm, on a imaginé que la créature changeait de couleurs, avait des yeux phosphorescents et pouvait même être télépathe. »
C’est sa collègue et amie Isabelle Ribotta qui lui a parlé de l’étrange animal. Avec Olivier Babinet, elle était co-auteur du Bidule, une série d’anticipation de 78 épisodes diffusée sur Canal+ il y a 20 ans. Autant dire que l’anticipation est un genre dont est adepte le réalisateur de Poissonsexe :
« Elle permet de regarder aujourd’hui avec un peu de recul et de simplifier la réalité, ou faire apparaitre des choses. Dans Le Bidule, on était quatre auteurs : on décidait d’un sujet (le nucléaire, la prison, la torture, la privatisation du vivant…), on lisait tout ce qui le concernait, on se faisait notre idée, on s’engueulait, on se mettait d’accord sur un angle et après venait tout le coté loufoque et marrant. Mais on partait toujours de la réalité. La plupart des épisodes du Bidule n’ont pas vieilli, on dirait qu’ils parlent d’aujourd’hui. »
Un peu d’espoir
Parler d’aujourd’hui en imaginant demain définit une partie du travail cinématographique d’Olivier Babinet. Il est aussi un réalisateur qui s’engage à mettre à l’écran des questions de société. Avant l’écologie, il filmait l’adolescence dans une cité défavorisée pour son documentaire Swagger, présenté à Cannes en 2016 grâce à l’ACID (Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion).
Des personnages déprimés, voilà un autre élément commun aux œuvres d’Olivier Babinet. Ajoutez à cela une vision de fin du monde dans Poissonsexe… Garde-t-il le moral ?
« Moi je pense qu’il y a un peu d’espoir car le vivant renaît toujours. Même si nous humains disparaissons, il faut penser le futur au travers d’autres êtres vivants. Ce qui est rassurant c’est qu’on découvre de nouvelles espèces. L’océan est tellement profond ! Il y a aussi des choses incroyables : dans un lac où les eaux ont baissé et les femelles sont mortes, on a observé qu’un mâle pouvait changer de sexe pour perpétuer l’espèce. »
Au-delà de l’aspect fantastique et conte de l’histoire, le milieu de la recherche biologique et océanique est représenté de manière toute réaliste dans le film Poissonsexe.
« J’ai porté un regard sur la technologie qui est autour du sujet biologique. J’ai donné des indications sur le fonctionnement et le décor de laboratoire ; nous explique Georges Debrégeas. Dans le cinéma américain surtout, il y a un aspect très idéalisé du laboratoire, dans des espaces ultra modernes et propres, un peu comme un hôpital. C’est une vision pas du tout réaliste : le laboratoire et la recherche sont faits de tâtonnements, de bricolages, d’essais-erreurs permanents. Il y a un côté désordonné et très fouillis car on est sans arrêt en train d’essayer de chercher, d’améliorer de trouver… et ça n’est pas industriel. »
Et l’amour dans tout ça ?
L’autre registre du film est celui de la comédie romantique. Daniel est célibataire, à la recherche de la femme qui va pouvoir lui donner une descendance. Et l’avancée de ses recherches scientifiques vont avancer au même rythme que celles amoureuses.
Poissonsexe met en parallèle la reproduction artificielle des poissons et celle des humains, la fragilité des espèces face aux nouvelles technologies. Au centre des recherches évaluées en statistiques et probabilités, il y a toujours les individus, l’animal et l’homme en quête de survie.
Sans spoiler la fin du film, on peut déjà vous révéler la réponse donnée à cette quête : l’amour.
« L’un des premiers et des plus beaux retours que j’ai eu sur ce film (qui a été très peu vu encore), nous raconte Olivier ; c’est un monsieur de 75 ans qui l’a fait à une projection test : “Il y a quelque chose de fondamental dans votre film c’est qu’il faut aimer les poissons, arrêter de les considérer comme de la chair. Si on ne fait pas ça, l’humanité court à sa perte”. »
« Poissonsexe » d’Olivier Babinet
France-Belgique – 86 minutes – VO français
UGC Ciné Cité : dimanche 20 octobre à 20h et lundi 21 octobre à 14h
En présence d’Olivier Babinet, India Hair et Gustave Kervern (sous réserve)
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