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On sait enfin qui est la mystérieuse bordelaise peinte par Toulouse-Lautrec

Toulouse-Lautrec n’est pas seulement le peintre des plaisirs parisiens, il a aussi réalisé des œuvres durant ses nombreux séjours en Gironde. Deux d’entre elles sont méconnues et n’ont jamais été exposées en France. L’historien Sylvain Smague, auteur de « Toulouse-Lautrec en vacances, Bassin d’Arcachon – Château de Malromé », a réussi à identifier les personnages qui y sont représentés.

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On sait enfin qui est la mystérieuse bordelaise peinte par Toulouse-Lautrec

La première toile peinte à Bordeaux, intitulée Madame Marthe X, est conservée au musée japonais Ohara de Kurashiki.

La seconde peinte au bord du bassin d’Arcachon, à Taussat (commune de Lanton), portant le titre L’Enfant au chien, le fils de Mme Marthe et la chienne Paméla, est réapparue au grand jour en mai 2017 lors de sa vente par une fondation catholique américaine et se trouve actuellement en dépôt au musée d’art marin du Minnesota.

Qui sont donc ces personnages peints par Toulouse-Lautrec ?

À gauche : Madame Marthe X, Bordeaux. Huile 90×80 cm. Musée Ohara, Kurashiki, Japon. (DR)
À droite : L’Enfant au chien, le fils de Mme Marthe et la chienne Paméla, Taussat. Huile 127×70 cm, vendue en mai 2017 pour 1 207 500 dollars chez Christie’s à New York. (DR)

Paul Viaud : l’ami de la famille Lautrec

Deux indices principaux m’ont amené à considérer un certain Paul Viaud comme la clé du mystère pour identifier Marthe et son fils : d’abord le fait que Lautrec lui ait donné, entre autres, les deux tableaux cités ci-dessus, ensuite l’affirmation de sa petite-nièce, retrouvée à Vancouver, qu’il était mal considéré dans sa famille pour avoir eu un enfant illégitime et n’avoir pas assumé sa responsabilité.

En 1899, les parents du peintre ont chargé cet homme célibataire de 53 ans, connu depuis longtemps, de surveiller constamment leur fils sorti d’une cure de désintoxication alcoolique. C’est pourquoi lorsque Lautrec emménage à Bordeaux en 1900, Viaud le suit et loge avec lui, au n° 66 de la rue de Caudéran.

Ce n’est qu’en août 2019 que je découvre enfin à Bordeaux, dans les actes d’état-civil d’octobre 1889, une reconnaissance de paternité tardive faite par Christophe Viaud de deux enfants, une fille née en 1875 et un garçon né en février 1877. Eurêka ! Car le seul prénom donné à Paul Viaud à sa naissance est bien Christophe et la mère célibataire se nomme justement Marthe Virgile (Virgille à la naissance). Deux enfants naturels !

Un amour secret

Mais les choses se compliquent : le garçonnet peint par Lautrec en 1900 accuse à peine une dizaine d’années, alors que le garçon reconnu par Viaud a déjà 23 ans. En poursuivant mes investigations, je dénombre six enfants, dont deux décédés, nés de Marthe et portant son nom à leur naissance, les deux derniers en vie étant un garçon né en 1891 et une fille née en 1894.

Marthe Virgile est issue d’une famille pauvre de verriers de Moustey dans les Landes. Elle est venue trouver du travail comme tailleuse à Bordeaux. Elle est très belle. Un article ultérieur de Gil Blas sur « l’horizontalisme bordelais » décrit ses charmes et son élégance physique et même morale.

En fait, abandonnée en 1878 par Viaud sans doute sous la pression de ses parents armateurs, elle est devenue une demi-mondaine, cherchant un autre beau parti pour subsister. Mais Viaud, à la mort de son père, dix ans après, se retrouve complètement ruiné à la suite de la crise due au phylloxéra. Étonnamment, au printemps de 1891, on le découvre recensé dans la maison de Marthe, son premier amour ! Elle l’a recueilli généreusement chez elle, mais lui a fait reconnaître auparavant sa progéniture adolescente.

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Deux pères !

Cette vie commune n’empêche pas la belle dame célibataire d’être entretenue par André Rey, un riche courtier en vins bordelais des allées de Tourny, célibataire également, et de lui faire les deux derniers enfants cités plus haut, que le marchand va reconnaître à son tour plus tard et leur donner ainsi le nom de Rey.

Viaud s’éclipse bien vite à Taussat avant la naissance du garçon appelé Pierre, datée du 11 novembre 1891. En décomptant les mois de gestation, on pourrait d’ailleurs se demander qui est vraiment le père. 

En 1900, Toulouse-Lautrec peint donc à Bordeaux Marthe Virgile, la mystérieuse Marthe X, âgée de 44 ans, restée en bons termes avec Paul Viaud, et Pierre Rey, son fils, l’enfant au chien, âgé de 9 ans, à Taussat dans le jardin de la villa Bagatelle appartenant à Louis Fabre.

Marthe est décédée célibataire, en 1938 à Bordeaux, au n° 151 de la rue de L’église-Saint-Seurin (actuelle rue Georges-Mandel), dite « rue de l’aristocratie amoureuse », où Pierre, devenu comptable, vivait avec elle et sa propre fille.


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