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Retraite : quelles suites à la grève et à la marée humaine à Bordeaux ?

Ce jeudi 5 décembre, entre 20000 et 52000 personnes ont déferlé sur Bordeaux pour dénoncer la réforme des retraites. Les assemblées générales qui ont suivi ont conclu à la reconduction de la grève. Alors que certains manifestants ont essuyé des charges policières, de nouvelles actions sont d’ores et déjà annoncées.

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Retraite : quelles suites à la grève et à la marée humaine à Bordeaux ?

Spéciale dédicace à Alain Juppé. En décembre 1995, jusqu’à 50000 personnes ont manifesté à Bordeaux contre la réforme de la Sécu, et notamment des régimes spéciaux des retraites, portée par le Premier ministre, tout juste élu maire de la capitale girondine.

Ce jeudi 5 décembre, on a flirté avec un score similaire : 20000 manifestants selon la préfecture, entre 30 et 52000 selon les organisateurs, ont exprimé dans la rue leur hostilité au projet porté par le gouvernement d’Edouard Philippe, fils spirituel d’Alain Juppé.

Quel que soit le chiffre exact, c’est la plus importante manif à Bordeaux depuis sans doute 2003 contre… une réforme des retraites. En 1995, Alain Juppé avait reculé. Mais ni Jean-Pierre Raffarin en 2003, ni François Fillon en 2010 n’avaient abandonné leur projet.

Arrivée de la manifestation contre la réforme des retraite place des Quinconces (SB/Rue89 Bordeaux)

Catalyseur

Qu’adviendra-t-il de la réforme tendance Macron, dont les contours restent encore flous ? Si le projet de loi pourrait être présenté la semaine prochaine, les grandes lignes du rapport Delevoye, en charge du dossier, ont suffi à mettre des centaines de milliers de Français dans la rue.

La différence notable avec les derniers mouvements de protestation, c’est que les retraites servent de catalyseur à la colère générale perceptible dans le pays depuis le mouvement des Gilets jaunes. Des avocats aux pompiers en passant par les cheminots, les postiers, les enseignants ou les infirmières, de nombreux corps de métiers ont témoigné ce jeudi de leurs inquiétudes. 

Et pas que : les étudiants, pourtant pas les plus immédiatement touchés par un changement de régime des retraites, sont ce jeudi aux premières loges, dans la foulée du blocage des universités bordelaises pour dénoncer la précarisation des jeunes

« Tous concernés »

Après le défilé, plusieurs centaines de manifestants se sont d’ailleurs retrouvées au Campus Victoire de l’Université de Bordeaux, occupé depuis mercredi par les étudiants.

Anaïs Dumont est étudiante à Bordeaux Montaigne et souhaite devenir gendarme (CL/Rue89 Bordeaux)

« Tout le monde est concerné par cette réforme, déclare Anaïs Dumont, étudiante à Bordeaux Montaigne, qui souhaite devenir gendarme plus tard. Et manifester c’est notre droit de parler. »

Pour Pierre Lamotte, étudiant infirmier en 3e année, manifester c’est aussi « apporter un soutien aux autres métiers ». Mais c’est aussi protester contre le « manque de moyens et d’effectifs », assure Coralie, infirmière depuis 6 mois au CHU de Bordeaux.

Dans le secteur de la santé, c’est la catégorie C  (personnel soignant : aides-soignantes, agents des services hospitaliers ; personnel technique et logistique) qui ferait le plus les frais d’une réforme éventuelle des retraites.

« C’est à dire les bas salaires, atteste Magalie, aide-soignante et membre du syndicat Sud santé sociaux 33. Si cette réforme passait, je perdrais 200 à 300 € par mois sur ma retraite, alors que je gagne 1 600 € et je travaille 2 week-end par mois », calcule-t-elle.

Un point, c’est tout

Jocelyne, infirmière au centre hospitalier de Cadillac critique en outre le système de la retraite à points que souhaite le gouvernement :

« On voit déjà les effets avec le point d’indice dans la fonction publique : il n’a pas bougé depuis 10 ans, et nos salaires non plus, si bien que les infirmiers français sont parmi les moins bien payés des 29 pays de l’OCDE ! Le principe serait le même avec les retraites, avec une valeur des points laissée au bon vouloir des gouvernements. »

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Dans l’enseignement, « la perte financière serait énorme », avoue Olivier Balt, professeur de lettres en collège :

« Elle est chiffrée aux alentours de 800-900€ pour un enseignant alors que nos salaires ne sont pas très élevés, en comparaison à des métiers à diplôme égal. »

« On va mourir sur nos dossiers, en déambulateur »

Dépanneur informatique dans un technicentre SNCF, Stéphane, 37 ans, se dit « prêt à une grève illimitée et à perdre 1000€ d’ici Noël plutôt que des centaines par mois quand je serai à la retraite » :

« J’ai signé un contrat où je partais en retraite calculée sur les 6 derniers mois de salaire, je veux qu’il soit respecté. Mais on n’est pas des privilégiés, on se bat pour tout le monde. Moi je gagne 1800€ et je travaille 126 nuits par an pour que les TGV puissent rouler. »

Dans le privé, les régimes de retraite sont différents, mais le questionnement identique. « Comment vivre dignement en ayant travaillé toute sa vie au SMIC et avec une retraite de 900€ », se demande ainsi Romain Fougerolles, délégué CGT de Dassault aviation Mérignac.

« Les agents techniciens partent en retraite à 62 ans avec une décote. Nos 25 meilleures années sont comptabilisées pour calculer notre retraite. Même ceux qui sont en retraite vont être impactés, c’est écrit dans le rapport Delevoye ! Notre santé se dégrade à 62 ans. Quand va-t-on profiter de notre retraite en bonne santé ? »

Au barreau de Bordeaux, la colère se fait aussi ressentir. En grève, les avocats ont démarré la manifestation debout sur les marches de la cour d’appel, place de la République. 

Si le régime de retraite des avocats est un régime autonome, il reverse 100 millions d’euros par an à d’autres régimes, précise Nathalie Noël, du syndicat Avocats de France section Bordeaux. Fusionné dans un régime unique, il entrainerait « un triplement des cotisations », selon elle. Et la nécessité de travailler plus longtemps… 

« On va mourir sur nos dossiers, en déambulateur », souligne Nathalie Noël.

Dans le cortège, les avocats étaient mobilisés massivement (CL/Rue89 Bordeaux)

Travailler plus pour gagner moins

Travailler plus longtemps pour gagner moins, la perspective en chiffonne plus d’un. Chez les sapeurs-pompiers, en grève depuis 2 mois, cette réforme remettrait en cause, entre autres, l’âge de la retraite qui passerait « de 57 à 62 ans », avec une dégradation des conditions de travail.

« On est confrontés à des agressions, on nous affecte des missions partagées qui ne sont pas propres au métier de sapeur-pompier, lâche un membre du syndicat UNSA. On est mobilisés 24h/24 quand on travaille. Il faut qu’on soit prêt à intervenir rapidement. Ça va être difficile de tenir jusqu’à 62 ans. »

Même réflexion du côté de Sylvia, fonctionnaire à La Poste de Carbon-Blanc :

« On part à la retraite à 62 ans voire 64 et pour les nouveaux ils y seront à 70 ans ! C’est inadmissible. On perdrait 30% sur nos pensions de retraite si cette réforme passait. Il faut se battre. Pour les générations futures. »

Beaucoup de Gilets jaunes sont là au soutien, comme Adeline, gilet jaune, psychomotricienne en Ehpad.

« Cette grève, ce n’est pas que pour la retraite. C’est aussi contre la gestion aberrante du système, avec des responsables qui s’octroient des dépenses non maitrisées. Réformer ça ne me dérange pas mais il faut que ce soit fait dans l’équité et le respect. Or certaines personnalités cumulent les pensions !« 

Guérilla

A l’instar des cortèges de Gilets jaunes, la manifestation s’achève par des échauffourées avec la police. Peu après l’arrivée place des Quinconces, des centaines de manifestants, dont quelques Blacks blocs, se frottent aux CRS bouclant le Triangle d’or.

Quelques projectiles volent, entraînant leur réplique immédiate, et jugée disproportionnée par beaucoup de témoins, à coup de gaz lacrymogène et de grenades désencerclantes (et surtout, assourdissantes…). Une trentaine de personnes seront interpellées.

« Je suis pacifiste mais le pacifisme n’arrive plus à rien, estime Alexis, travailleur social suivant de près l’action. En décembre 2018, c’est quand ça a chauffé aux Champs-Elysées que Macron a fini par bouger. »

Jet de grenades lacrymogènes sur les militants place des Quinconces (SB/Rue89 Bordeaux)

Les forces de l’ordre repoussent progressivement les derniers groupes sur les quais, puis dans les rues du centre-ville jusqu’à la place de la Victoire. Là, dans l’Université de Bordeaux occupée par les étudiants, se tient en fin de journée une assemblée générale.

Grève reconduite

Malgré la crainte que la police évacue les lieux, comme elle l’avait fait l’an dernier, la ferveur de la journée est intacte. Les prises de paroles s’enchaînent, sous les applaudissements et les cris de « Révolution ! ».

« Une grève reconductible est en cours, c’est donc un mouvement qui démarre et c’est ce que craignait le gouvernement, résume Laurent Delage, délégué CGT à la Monnaie de Paris. Nous devons désormais réfléchir à comment se coordonner. »

Avant l’AG à l’université (SB/Rue89 Bordeaux)

Une assemblée générale à la Bourse du travail réunissant les syndicats FSU, CGT et Eudc’action vient en effet de voter à la quasi unanimité la reconduction du mouvement, tout comme plusieurs assemblées de secteurs – chez les enseignants du second degré ou les cheminots.  

De nouvelles actions sont d’ores et déjà prévues : ce samedi, les grévistes entendent participer à la manifestation nationale contre le chômage et la précarité. Dimanche, ils seront de la marche pour le climat. Et une journée   contre la réforme des retraites devrait avoir lieu dès mardi prochain.


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