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Au TnBA, « A Bright Room Called Day » prévient l’horreur en douceur

Catherine Marnas présente sa dernière création A Bright Room Called Day au Théâtre national Bordeaux-Aquitaine jusqu’au 18 janvier. Ce texte peu connu de Tony Kushner alerte sur la montée insidieuse des politiques menaçant la démocratie. Sur la scène de la salle Vitez, le message passe en douceur.

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Au TnBA, « A Bright Room Called Day » prévient l’horreur en douceur

Sur le plateau de la grande salle Vitez du TnBA, une scène dans la scène. Sur celle du milieu se déroule la lente décomposition d’amitiés sur fond d’épisode noir de l’histoire contemporaine. Sur la scène qui l’entoure, des intermèdes et des interruptions réclament à l’histoire sa réécriture, pour qu’elle ne se répète pas.

C’est A Bright Room Called Day que met en scène Catherine Marnas, une pièce de théâtre écrite en 1984 par le dramaturge américain Tony Kushner. Neuf comédiens se partagent la distribution : Simon Delgrange, Annabelle Garcia, Julie Papin, Tonin Palazzotto, Agnès Pontier, Sophie Richelieu, Gurshad Shaheman, Yacine Sif El Islam et Bénédicte Simon. La plupart est issue de l’Estba, l’école du TnBA.

Version attendue

La pièce, œuvre longtemps restée dans l’ombre d’un autre succès de l’auteur, Angels in America, a plusieurs fois été interprétée sur les planches, souvent aux Etats-Unis, peu en France. La première version française, on la doit à Hillary Keegin, comédienne, metteuse en scène et traductrice américaine vivant à Paris. En 2010, sa création sur la base de sa propre traduction cosignée avec Pauline Le Diset, passe inaperçue. 

La nouvelle création de la directrice du TnBA est donc attendue, avec d’importantes révisions de l’auteur qui se met en jeu et une traduction signée Daniel Loayza, traducteur et dramaturge.

A Bright Room Called Day est une pièce riche et intense qui annonce la couleur dès les premières minutes. Tony Kushner, homosexuel new-yorkais très engagé politiquement, a choisi de reposer son message sur un récit qui se déroule dans le Berlin des années 1930 pour évoquer les années 1980. Ce sont les années Sida, un mal que les Etats-Unis, comme partout ailleurs, n’ont pas su immédiatement en mesurer les conséquences. Ce sont les années de la présidence Reagan.

Dans cette version, une nouvelle dimension temporelle est apportée : celle de la présidence de Donald Trump. Il prend place avec son prédécesseur dans les interstices et les parallèles.

Toutes les photos sont de Pierre Planchenault

D’un président l’autre

Longtemps critiquées par la presse américaine, ces interruptions auraient pu trouver une meilleure pertinence avec le président américain actuel. Une chance pour l’analogie voulue entre les époques. Mais la question Trump est paradoxalement expédiée en deux tirades auxquelles s’ajoute la réaction incrédule de Sophie Richelieu, au poil dans le rôle de la New-yorkaise Zillah Katz .

Les années Reagan assez estompées, les intermèdes font la part belle aux tergiversations sur le sens du texte de l’auteur, embarqué dans la version actuelle, que Gurshad Shaheman incarne avec aisance et malice.

Pourtant le texte de la pièce « principale » est irréprochable. Dans l’appartement berlinois d’Agnes Eggling, interprétée avec beaucoup de sérieux par Julie Papin, une bande d’artistes et intellectuels assiste aux derniers jours de la république de Weimar et l’arrivée d’Adolf Hitler au pouvoir. La première scène raconte à travers un réveillon arrosé les premières heures de 1932.

Cette année-là, le glissement vers le point de non retour de la situation allemande de cette période sombre est progressif et efficace. Hitler va asseoir sa dictature avec une rapidité foudroyante. Lrévolution bolchevique tant attendue n’éclatera jamais. Une seule aubaine se présente : l’assassinat du chancelier. Raté. Baz en tireur lâche ne veut pas mourir et pour la subtilité du personnage, Yacine Sif El Islam est convaincant.

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Regard placide

Sur le papier, A Bright Room Called Day paraît facile à mener, avec ses revendications et ses provocations, ses tentations d’en faire trop, faire rebelle. En réalité, il n’en est rien. Il faut trouver un rythme et Catherine Marnas a le sien, tranquille. Comme un regard placide sur un danger imminent.

La pièce déroule ses trois heures, parfois avec fulgurances : Tonin Palazzotto en diable fort sympathique, et Annabelle Garcia en juste groupie prête à vendre son âme pour réussir. Pour un texte qui fleure bon la contestation, les personnages sont chics et le ton est doux. La scénographie signée Carlos Calvo est confortable avec un jeu de perspective qui happe le regard du spectateur vers le récit central. Le son, de la fidèle Madame Miniature, lui aussi se joue de l’écoute avec de subtiles variations entre passé et présent, entre la scène du milieu et ce qui l’entoure. 

Préserver la démocratie des menaces extrêmes : « Comment le théâtre peut aborder cette chose-là ? Quelle est notre place ou notre pouvoir si tant est qu’on en ait un ? » se demande Catherine Marnas. Sur la scène Vitez, elle y répond, tout en douceur.

Pour en savoir plus, le lien vers le site du TnBA


#démocratie

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