Un grand nuage de fumée rouge émane depuis lundi matin de plusieurs lycées de l’Académie bordelaise. Accompagnés de fumigènes, ce sont des dizaines d’enseignants et de lycéens qui ont décidé de bloquer leur lycée pour empêcher la tenue des E3C, nouvelles épreuves contestées du baccalauréat. Les lycéens en classe de première cette année essuient les plâtres.
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De façon quasi-unanime, les professeurs pointent du doigt la tenue de ces examens. Douze syndicats d’enseignants alertent sur les mauvaises conditions de ces épreuves continues. Transmission trop tardive des sujets aux professeurs, manque de temps de préparation pour les élèves ou encore problèmes de numérisation des copies… D’autant plus que ces épreuves pèsent lourd dans l’obtention du diplôme : 30% de la note finale contre seulement 10% pour les bulletins scolaires de première et de terminale.
« Bac 2e zone »
La réforme du bac pose aussi question sur la dimension nationale et égalitaire du diplôme, puisque les épreuves des E3C sont différentes selon les lycées, les départements et les régions. Olivier Ginestel, enseignant à Gustave-Eiffel, dénonce :
« Il y aura des bacs de première et de deuxième zone, selon les établissements dans lesquels on passe les épreuves. »
Ces épreuves continues sont également une source de pression permanente pour les lycéens. D’une à deux heures chacun, ces examens s’ajoutent à ceux déjà existants en fin d’année et aux contrôles semestriels. Ils s’étendent du 20 janvier au 28 février, avec une seconde session d’avril à mai. Au menu de ces E3C : histoire/géographie et langues vivantes pour la filière générale, les mathématiques en plus pour la voie technologique.
Alain Reiller, co-secrétaire de la Fédération Syndicale Unitaire (FSU) de Gironde et professeur de technologie au Lycée Gustave-Eiffel exprime son mécontentement.
« On en a ras-le-bol. Cela fait plusieurs mois que les profs ne sont pas entendus, ni sur le fonctionnement de l’école, ni sur les retraites. »
Epreuves perturbées mais pas annulées
Lundi matin au lycée Gustave-Eiffel à Bordeaux, une cinquantaine d’enseignants « en colère » a enchaîné les grilles de l’établissement pour empêcher la tenue des examens. Chaîne qui n’a pas tenu longtemps. Elle a rapidement été découpée depuis l’intérieur, à l’aide d’une disqueuse.
La porte est ouverte à la disqueuse par le personnel de Gustave Eiffel alors que des profs participent au blocage à l’extérieur. #greve #grevegenerale #bordeaux #greve20janvier #blanquer #E3C pic.twitter.com/HEGfigUmNl
— Valentin Stoquer (@val_stoquer) January 20, 2020
Une fois un portail latéral ouvert, la police a formé un cordon pour laisser entrer ceux qui le souhaitaient. Comme au Lycée Alfred-Kastler à Talence, les professeurs ont opté pour le barrage filtrant afin de dissuader les lycéens de rentrer.
« Vous n’êtes pas obligés d’y aller, c’est pour vous qu’on fait ça. »
A Talence mardi matin, ce sont les lycéens eux-mêmes qui ont tenté de mobiliser leurs camarades en criant « annulation, annulation ».
Des élèves et des profs scandent « annulation » alors que d’autres élèvent rentrent pour composer. #greve #grevegenerale #e3c #blanquer #greve21janvier #reformedubac #bordeaux pic.twitter.com/1bNrj3JXFA
— Valentin Stoquer (@val_stoquer) January 21, 2020
Malgré tout, plusieurs dizaines de jeunes ont décidé d’entrer dans leur lycée pour passer les examens. La plupart des lycéens sont inquiets.
« On doit aller en examen. On ne veut pas avoir 0 à une épreuve du bac », explique l’un d’entre eux.
Les épreuves ont été retardées voire reportées dans plusieurs lycées lundi et mardi. André, professeur au Lycée Alfred-Kastler à Talence, fustige la tenue des examens malgré le blocage.
« L’administration a tenté de réorganiser les épreuves sur un autre horaire que celui des convocations. Cela invalide d’autant plus la conformité de ces E3C. Nous réclamons leur annulation. »
La rectrice de l’Académie de Bordeaux a indiqué que près de 90% des 7 567 lycéens ont passé les E3C lundi. Une mobilisation qui a grandi le lendemain. Sur les 10 709 élèves devant passer leur épreuve mardi, 15% ne l’ont pas fait. Seuls 2 des 34 lycées de l’Académie ont reporté la tenue des E3C lundi, contre 3 des 38 établissements concernés mardi, affirme le rectorat.
Le feu au lycée Vaclav Havel
Au lycée Vaclav Havel de Bordeaux, les évènements ont failli très mal tourné. L’établissement avait anticipé les perturbations, établissant en amont un dialogue avec les délégués de classe, et mobilisant des personnels pour assurer l’ouverture du lycée, lundi matin. Mais peu après le début des examens à 10h, plusieurs alarmes ont retenti suite à des départs de feux dans les toilettes, interrompant l’épreuve. Celle-ci a pu reprendre quelques minutes après que l’incendie a été maîtrisé.
Dans un message sur Pronote, la plateforme d’échange entre les parents et les établissements scolaires, la direction de Vaclav Havel a condamné « très fermement ces faits qui relèvent clairement d’une intention criminelle et qui occasionneront un dépôt de plainte du lycée ».
D’autres tentatives d’entraver les épreuves se sont déroulées mardi, certains établissements étant plongés dans le noir par des coupures d’électricité, que la CGT Energies 33 a revendiqué dans un communiqué sur Facebook.
Deux lycées, Les Iris à Lormont et Alfred-Kastler à Talence, n’ont ainsi pas pu accueillir les examens à 8h, faute de courant. Le syndicat se joint au combat des enseignants au sujet des E3C, mais vise aussi le projet de la réforme des retraites. Les électriciens n’en sont pas à leur coup d’essai. Depuis le 5 décembre, date du début de la grève contre le projet de réforme, une dizaine d’actions similaires a été effectuée par la CGT Energies 33.
Quelques débordements
Dans l’engouement de la mobilisation, des débordements ont éclaté devant certains établissements. De nombreuses poubelles ont été incendiées, cours de la Marne devant le lycée Gustave-Eiffel lundi ou encore à Talence devant Alfred-Kastler mardi.
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La police et les pompiers sur place ont éteint de nombreux feux. Devant le lycée Gustave-Eiffel, deux lycéens ont été interpellés puis placés en garde à vue, comme l’a confirmé la préfecture. L’un pour « dégradation volontaire de biens publics » par incendie, l’autre pour « détention de produits inflammables » après avoir attisé le feu avec un déodorant. Avant d’être embarqué, les deux mineurs ont été soutenus par leurs camarades qui réclamaient leur « libération ».
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Des arrestations qui passent mal pour Alain Reiller, enseignant au lycée Eiffel.
« Un feu de poubelle, ce n’est pas bien, c’est vrai. Mais dès que des jeunes essayent d’avoir des revendications, ils sont intimidés et réprimés. »
Une mobilisation qui ne semble pas s’essouffler
D’autres actions sont prévues par les enseignants en signe de protestation. A l’appel de la FSU et de collectifs de lutte contre la réforme des retraites, ils ont donné rendez-vous mercredi à 14h devant le Grand Théâtre de Bordeaux pour une opération « l’éducation vide ton sac ».
Les enseignants sont invités à jeter leurs cartables, leurs vieux manuels et des portraits du ministre de l’éducation, Jean-Michel Blanquer.
Une marche aux flambeaux illuminera les pavés de la ville bordelaise jeudi soir. Et la manifestation nationale de vendredi contre la réforme des retraites sera également un moyen pour les professionnels de l’éducation de faire entendre leur voix.
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